Les galeries se trouvent en partie à plus de 2000 mètres d’altitude, et traversent parfois la montagne jusqu’au côté espagnol. Nous n’y sommes jamais rentrés très loin, car il y a parfois des puits perpendiculaires, bien sûr non sécurisés ! Le minerai était acheminé dans la vallée dans des wagonnets par les téléphériques pour une première transformation. La mine la plus connue est celle du Mail de Bulard, appelée la ‘mangeuse d’hommes’ parce que sa construction et son exploitation ont causé la mort de nombreuses personnes. Mais à part ‘des hommes et du fer’, le pays avait besoin de plomb, de zinc, de tungstène, de cuivre, soit d’abord pour la guerre, soit plus tard pour la reconstruction.
Le site est devenu un énorme self-service. Les machines, les voitures, les générateurs disparaissent. Des amis à nous ont rempli un camion entier avec, plus des tôles ondulées et des poutres de bois. Ils sont rentrés la nuit pour ne pas être vus. Mais à Carérat, qui se trouvait là ? Les flics ! Puisqu’il était tard, ils les ont laissé partir après une brève inspection, avec l’obligation de passer au poste avec le véhicule le lendemain ! C’est ce qu’ils ont fait, mais seulement après avoir déchargé tout ce qui était précieux chez eux. Quand les gendarmes ont examiné ce qu’il restait de la cargaison, ils ont constaté qu’il n’y avait rien d’utile et ont laissé tomber la plainte pour vol. Mais ils les ont raccompagnés aux mines où ils ont dû tout décharger, heureux que ça se termine comme ça ! Les 4x4 étant difficiles à embarquer, ils ont par la suite enlevé les moteurs.
Après des années, le site devait être ‘sécurisé’. « Enfin ! » Pensaient les riverains. Donc une entreprise a posé une clôture en grillage tout autour et érigé des panneaux. Les décennies ont passé, la clôture a été découpée pour récupérer les métaux précieux des câbles électriques encore sur le site ou pour célébrer des fêtes à l’intérieur. La végétation et l’oubli ont lentement caché cette catastrophe écologique.
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Un dimanche, une voiture s’arrête dans notre cour. En descend la vieille boulangère de Sentein, immédiatement reconnaissable par sa taille, puis une autre dame âgée et deux personnes un peu plus jeunes. J’ai tout de suite une idée de qui il s’agit ! Heureux, nous descendons les accueillir. Comme on pouvait s’y attendre, l’autre femme âgée est la petite-fille du dernier fermier de chez nous. Elle est accompagnée de son fils avec sa femme. Ces deux-là ne connaissent la propriété que par les récits de leur mère.
La mère de la dame, Joséphine, était partie en Amérique en 1908 quand sa fille n’avait même pas un an. Elle avait laissé l’enfant chez des proches à Arey, qui eux-mêmes n’avaient pas d’enfants. Plus tard, ils l’emmenèrent à Paris, où elle alla à l’école et travailla ensuite à la Poste. C’est là qu’elle a rencontré son mari, avec qui elle a déménagé à Girons où elle avait encore de la famille, juste avant de prendre leur retraite.
Pendant son enfance, ses parents adoptifs l’envoyaient chaque année chez les grands-parents pendant les vacances d’été et parfois même pendant les autres vacances. Avec le chemin de fer, une véritable aventure ! Plus tard aussi, elle venait souvent les voir, y compris sa tante et les oncles qui vivaient tous à la ferme. Elle n’avait que de beaux souvenirs de cette époque, parce qu’elle était le seul enfant à la ferme et avait été gâtée par tout le monde. Nous l’amenons à travers la maison, un peu fiers quand elle nous raconte comment tout était avant et à quel point elle s’étonne des changements ! À l’époque, ils allaient chercher l’eau à un peu plus de 200 mètres plus loin, là où j’ai capté la source et conduit l’eau jusqu’à la maison. Je lui dis qu’elle peut boire l’eau de la fontaine, c’est cette même source ! C’est ce qu’elle fait, se mouillant aussi le visage et elle nous raconte : « A l’époque, il y avait toujours un verre à la source, où chaque personne qui passait buvait. Par contre, le ruisseau à côté de la maison, servait à abreuver les animaux, ainsi qu’à se laver et à laver le linge. Ça arrivait deux fois par an.
Au cours de l’année, les cendres du feu de la cheminée étaient recueillies à cette fin. En fait, tout était gardé et rien n’était jeté parce que tout pouvait être utile à un moment donné ! Par exemple ses grands-parents conservaient les saucisses et les jambons au grenier, dans des cendres dans des caisses en bois. Les mouches et autres parasites ne pouvaient ainsi pas les abîmer. Pour laver le linge, les cendres étaient d’abord tamisées. La grand-mère mettait une couche de linge dans le chaudron, la lessiveuse, puis elle répandait une fine couche de cendres, puis une autre couche de linge, puis des cendres et ainsi de suite jusqu’à ce que le récipient soit plein. Puis elle y versait lentement de l’eau bouillante, qui s’infiltrait dans le linge. La lessiveuse était équipée en bas d’un robinet par lequel, après un certain temps, l’eau sortait, puis, souvent, après avoir été réchauffée, était de nouveau versée par le haut. L’eau devenait ainsi une solution alcaline puissante. La nuit, on fermait le robinet pour que le linge trempe. Ça durait parfois deux ou trois jours. Le linge était ensuite rincé avec l’eau du ruisseau à l’arrière de la maison et puis posé bien étiré dans les prés pour sécher et blanchir. Les tissus qui devaient être les plus blancs étaient aspergés plusieurs fois par jour avec un peu d’eau, afin qu’ils soient bien blanchis.
Sinon, on évitait de gaspiller de l’eau pour le lavage. Les vêtements étaient parfois lavés dans le ruisseau, la vaisselle essuyée avec un morceau de pain. Quand il y avait de la soupe, tout le monde y versait un peu de vin rouge vers la fin et faisait ‘chabrol’ (ou ‘chabrot’), comme on disait, et remuait l’assiette avec le vin avant de le boire.
Étant une enfant de la ville, ma famille me considérait comme fragile, peut-être à cause de ma couleur pâle au début des vacances. Alors on me donnait le ‘repas des hommes’ ! Ils devaient penser qu’on n’avait pas assez à manger en ville, c’était l’opinion dominante à la campagne. Les hommes, probablement à cause du travail pénible qu’ils faisaient, mangeaient mieux et plus que les femmes qui travaillaient le plus souvent à la maison. Quand on travaillait dans les champs, on ne retournait pas à la maison à midi et on mangeait ce que les femmes avaient emballé. C’était des pommes de terre cuites, du fromage ou du fromage blanc et un oignon, parfois un œuf. Le tout accompagné d’un vin rouge âpre, souvent bien dilué avec de l’eau, parce que ce n’était pas tout le monde qui avait quelques ceps, comme le voisin du Graviaret, qui les avait fait monter sur un poirier. Ce qui rendait la récolte, qui était faite par les enfants, un peu difficile, mais les raisins étaient bien sucrés, car ils avaient eu beaucoup de soleil !
La viande était rare, sauf quand un animal devait être abattu. La viande était plutôt pour les hommes, les femmes en mangeaient peu. En hiver, on tuait un cochon, le deuxième était vendu pour avoir un peu d’argent, pour payer les impôts ou les baux à la fin de l’année. Bien sûr, c’était toujours une grande fête, où tous les voisins se réunissaient ! Parce que déjà pour tenir le cochon quand il était saigné, il fallait beaucoup de bras forts ! Comme il couinait, je me bouchais toujours les oreilles avec les mains ! Quand il était pendu et vidé, les femmes se rendaient à Graviaret avec les boyaux, car il y avait une autre source propre, stockée dans un grand bassin muré, mais ouvert en haut. Le bassin avait une sortie en bas, où simplement avec le jet de l’eau les femmes retournaient les boyaux pour les nettoyer avant de les remplir avec du sang ou de la chair à saucisse. Que ça sentait bon quand le boudin flottait dans l’eau chaude ! Si l’eau était trop chaude, le boyau éclatait parfois et le sang solide flottait dans l’eau, donnant à la soupe, qui était ensuite cuite, une couleur rouge et un meilleur goût. C’était toujours des jours de fête quand le cochon était tué ! Le soir, on chantait, on dansait, on racontait des histoires. Et chaque voisin recevait un bout de boudin ! Les autres enfants du quartier étaient là aussi.
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