Une fois à Athènes, le mal a empiré. C'est elle, toujours, qui m'a conduit chez un toubib, prétendument ami de son père.
Le doc a voulu procéder à une « neurasthénie » partielle, dirait Béru pour anesthésie, et c'est pendant que j'étais vaponé qu'il a effectué cette implantation !
Je glaglate dans mon for intérieur. Pourtant, t'es pas une limace, mec. Flouzer dans tes loques serait contraire à tes principes.
A quoi aurait servi que le maréchal Pétain ait gagné, derrière son burlingue, la bataille de Verdun, si tu te répands en apprenant que tu as un explosif contre ta burne droite, hein ?
Tiens, au fait…
Je palpe le haut de ma cuisse où me vint le maudit abcès. Effectivement, je perçois une induration. Au début, la chose m'inquiétait vaguement. Et puis je m'y suis habitué. Un homme, que fait-il d'autre, sinon accepter toutes les couilleries de l'existence ?
La femelle me défrime par écran interposé. Seigneur, qu'elle a l'expression fumière ! Un outil pareil, c'est bon à équarrir vite fait ! « Un coup de tavasson derrière la tronche », assurait pépé Gégène, qui n'aurait pas fait de mal à une mouche.
— Vous sentez, sous le bout de vos doigts ? demande-t-elle.
Elle brandit son déclencheur si près de l'objectif que son image en est brouillée.
L'index à l'ongle peint caresse le détonateur.
— Je presse, et vous avez un cratère plus large qu'un saladier à la place du bas-ventre.
Je lui adresse un doux sourire fait d'innocence et de pureté.
— Vous aimez détruire, votre sœur et vous. Comme c'est étrange, de la part de femmes belles, faites apparemment pour l'amour.
— Ceci n'empêche pas cela, ricane-t-elle. Son visage le pétrifie. Je t'épargne les comparaisons de circonstance, ayant trait : au serpent, à l'hyène, au rapace, à la peste bubonique et autres charmanteries du genre.
« Elle va me buter ! me dis-je, intensément. S'amuse de préambules, mais ma mort est programmée et cet entretien ne s'achèvera pas autrement ! »
Me tiens (en hâte) le raisonnement suivant : tant que vous parlerez, elle ne pressera pas le « bouton fatal [21] Ne jamais oublier que t'es dans un book à trente balles, mon Antonio, les poncifs doivent rester souverains !
». C'est le silence, ton ennemi de l'instant.
Je la devine hésitante ; puis, tout de go, elle me déclare :
— Si je pouvais être sûre que ma sœur soit crevée, je serais soulagée !
Mon signal d'alerte générale vibrionne dans mon cassis. « Gaffe, l'Antoine ! Gaffe bien : elle prend un biais pour t'amener aux aveux ! »
— Ma chère, repartis-je, il ne doit pas être tellement difficile de retrouver quelqu'un sur un territoire à peine plus vaste que la place de la Concorde entouré de Chine comme une écharde l'est de viande !
— On peut le quitter par air ou par mer !
Je cherche un truc quelconque à objecter, ne trouve rien de valable et laisse quimper.
— Je suppose que vous faites le nécessaire pour découvrir sa trace ? finis-je par demander.
D'un ton courroucé elle me lance :
— Cessez d'aller et venir dans votre chambre pendant que nous parlons !
— Je vous prie de m'excuser, chère madame, peut-être comprendrez-vous que je sois sur les nerfs ? Dites-moi, quelque chose m'intrigue en ce qui me concerne. Vous m'obligeriez en éclairant ma lanterne, comme nous disons en France.
Elle me fixe. Son strabisme léger prend de l'importance.
— De quoi parlez-vous ?
— De ceci : votre excellente sœur avait l'intention de me faire trucider et j'ai subi quelques attentats de ses gens auxquels j'ai miraculeusement échappé.
— Eh bien ?
— Elle ignorait donc que ma destruction se trouvait implantée dans ma chair et qu'il suffisait de presser un bouton pour m'anéantir ?
Là, elle cille ; je note également un léger retroussis de sa lèvre supérieure.
— Regardez ! m'ordonne-t-elle en approchant à nouveau le contacteur de l'objectif. Ne perdez pas cette petite touche rouge des yeux car c'est elle qui va déclencher votre mort.
Sadique femelle dont la main ne frémit même pas.
J'emporterai donc, dans l'au-delà, cet index posé sur un bouton, avec, en arrière-plan, des yeux dilatés par une sauvagerie effroyable.
Une sèche détonation retentit, dont les ondes de choc n'en finissent pas de vibrer.
Dans la chambre, San-Antonio s'écroule, ruisselant de sang.
Elle dépose son appareil sur un meuble de verre et se dirige vers le bar du living pour se servir un porto exceptionnel, réservé uniquement à son usage personnel.
Le rare breuvage a été transvasé dans un flacon ingrat pour passer inaperçu. Quand elle a des invités, elle leur sert un scotch de qualité, puis se verse une forte dose de son nectar, laissant entendre à ses hôtes qu'il s'agit d'une vague mixture, presque d'une médication. Elle va jusqu'à réprimer une grimace de dégoût en l'avalant.
Son verre en main, elle revient à sa télé interne. Une petite fumée, assez faible, inscrit ses volutes dans la geôle.
Elle actionne la touche chargée d'élargir le champ. Plan général de la pièce. L'Anglaise découvre son prisonnier au sol. Il gît, à demi déculotté et baignant dans son sang.
Lors, elle achève son rarissime porto et se rend dans la chambre du meurtre télécommandé.
Odeur d'explosif et de mort.
Elle en raffole. Une griserie l'emporte. Elle regarde la pièce dévastée, confusément surprise par les caprices de l'explosion. Le lit de cuivre déchiqueté en son milieu ; l'homme foudroyé a eu la région du bas-ventre saccagée. Il continue de perdre son sang en abondance.
La Britiche vient jusqu'au cadavre d'un pas glissant. Trouve le spectacle d'une réelle beauté. Ce sexe magnifique, dont les proportions la rendent nerveuse, n'a pas abdiqué et reste dilaté, tendu dans l'agonie. Des spasmes l'agitent. Tableau tragique, féroce ! La meurtrière s'agenouille, trempe le bout de ses doigts dans l'affreux liquide avant de porter la main à sa gorge et d'y tracer des arabesques pourpres. Puis, suce sa dextre shakespearienne en poussant des râles de jouissance.
Elle agit avec une lenteur indicible, de plus en plus proche de la pâmoison.
Après avoir réitéré de nombreuses fois cette répugnante manœuvre, elle prend le phallus dans sa bouche et lui accorde une fellation que les plus suaves courtisanes des XVII esiècle et arrondissement n'ont même pas soupçonnée.
Qu'en découle-t-il ? si l'auteur libertin peut s'exprimer ainsi.
Le blessé passe de la mort « cruelle » à la mort « voluptueuse ».
Mais oui, messieurs-dames, c'est comme ça.
J'étais commotionné par l'explosion : le cerveau dévissé ; les yeux en billes de grelot ; la notion de tout submergée par la notion de rien ; les feuilles de chou débranchées ; des fourchettes à escarguinche enfoncées dans les tympans ; la manne liquoreuse tournée sauce gribiche.
Malgré cela, je me devais la vie sauve.
A moi et à personne d'autre. Sais-tu porqué ?
Parce qu'à la révélation de la bombinette implantée dans ma cuisse, je n'ai fait ni douze ni treize. Ai sorti, en douce, mon Opinel, l'ai ouvert, et me suis livré, sans défaillir, à un charcutage de ma personne. Dur, dur, mon pote, d'enquiller de l'acier dans sa viande et de s'y découper un morcif d'homme de trois centimètres de diamètre sur deux d'épaisseur. Sans me vanter, je connais pas des masses de gus capables d'une telle automutilation.
La Mémé ne se pose pas de questions. Elle me démoniaque le nougat en fauvissant du tarbouif. Une lionne en rut !
Cette décapeuse d'aubergines, mamma mia ! Elle dévore, fouissant, rugissant, glapissant, tout en se barbouillant de mon raisin.
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