Frédéric Dard - La grande friture

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C'est l'histoire d'un pauvre diable de flic à la solde maigre. Entrant un soir dans une boîte sordide pour s'abriter de la pluie, il y rencontre une belle et vénéneuse jeune fille avec laquelle il fait une partie de pile ou face. Comme il perd une fortune, il signe un chèque en bois et se laisse aller à puiser dans le coffre-fort d'un vieux grigou assassiné.
Malheureusement, un Rital à la godille l'a vu et le fait chanter…
Que fait le pauvre diable de flic ? Il se défend… et c'est le maître chanteur qui l'a dans le baba !
Là où l'affaire se complique, c'est que la belle a besoin du flic pour accomplir une sale besogne. Et d'ailleurs, elle détient LA preuve qui ne lui laisse aucune chance ni de refuser ni de s'en tirer…
La Grande Friture
la Loupe
Les Éditions Fayard ont décidé de publier les titres de ces romans policiers qui, après leur première publication sous pseudonyme, n'ont pas été réédités.

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Frédéric Dard, alias Frédéric Charles

La Grande Friture

À Robert Hossein

de qui j’ai fait un gangster.

Affectueusement, F. C.

Remerciements à l’association des Amis de San-Antonio pour le concours qu’elle a apporté à la réédition de cet ouvrage.

PREMIÈRE PARTIE

CHAPITRE PREMIER

John Clay regarda autour de lui. La pluie tombant à verse enrobait les éclairages de Manhattan d’un halo de plomb. Son imperméable ruisselait et une gouttière s'était formée du côté de son feutre à larges bords. L'eau en tombait avec un glouglou ridicule de source.

C'était une belle charognerie de temps. Un temps à ne pas mettre un flic dehors.

Non, on ne pouvait pas mettre un flic dehors avec une pareille flotte ! Comme John Clay était inspecteur au commissariat principal, il devait, dans ces conditions, se mettre à l’abri.

Il se souvint alors que Jonas, le patron du Bastringue, une boîte de nuit dans le style faux Mont-martre, lui avait dit à plusieurs reprises de passer boire un pot chez lui.

C'était l’occasion ou jamais de profiter de l’invitation.

Il se dirigea vers le Bastringue en rasant les façades.

Un aboyeur transi faisait de vains efforts pour ne pas s’enrhumer sous un dais de toile pourpre rehaussé de dorures.

— Entrez, M’sieur ! invita l’homme. Nos attractions passent dans un instant. Vous verrez des danses apaches, juste comme à Paris, et les plus belles filles de tout New York… Consommations de premier choix…

Clay haussa les épaules et poussa la porte cloutée de la taule à Jonas. Une ambiance ouatée l’enveloppa. Il faisait doux et tiède et des flots de musique douce coulaient dans les oreilles comme un baume.

Une belle gosse, roulée façon déesse de cinéma, le débarrassa de sa pelure mouillée et de son chapeau. Clay s’épongea le visage, rajusta son nœud de cravate et son col de chemise défait.

Il tenait à son aspect physique. On a beau être flic, on surveille son standing, non ?

Il pouvait s’estimer satisfait. La glace lui renvoyait un reflet engageant. Ses trente-cinq ans le trouvaient dans la plénitude de sa force et de son charme. Il était grand, brun, bien découplé. Il avait le teint bistre, les yeux clairs, presque mauves. Des yeux qui chaviraient les filles… Des lèvres pulpeuses, ombragées par une moustache fournie aux reflets roux…

Un beau gars sur qui les souris se retournaient volontiers.

Il regarda l’heure : presque dix heures.

— Je peux téléphoner ? demanda-t-il à la préposée au vestiaire.

— Sûr ! répondit-elle.

Il entra dans la cabine, composa le numéro du commissariat.

— Ici Clay, annonça-t-il. C'est vous, lieutenant ?

Un grognement informe lui répondit : c’était bien cet ours toujours mal léché de lieutenant Ox. Toujours de mauvais poil, toujours hargneux et la langue prête à l’invective. Pas mauvais bougre pourtant ; il suffisait de ne pas se laisser abattre lorsqu’il vous regardait de son air de bulldog enrhumé.

— Rien de nouveau ? demanda Clay.

— Il y a toujours du nouveau dans un commissariat principal, grommela l’autre. Surtout à New York. Vous allez me dire que votre vieille tante est malade et vous réclame à son chevet, non ?

— Non, dit Clay. Simplement, je voudrais vous faire observer que ça tombe comme vache qui pisse et qu’un peu de chaleur ne me ferait pas de mal… Je passerai tard ; si vous avez quelque chose pour moi, laissez-le sur mon bureau. À moins qu’il y ait du pétard, hein ?

Ox fulmina :

— Ces jeunots sont des mauviettes, des résidus de braguette ! tonna-t-il. Un peu de flotte et ils disparaissent ! Jamais vu ça… Fallait travailler dans un ouvroir avec les vieilles cinglées qui tricotent pour les combattants de Corée au lieu de vous embarquer dans la police, mon garçon !

C'était juste le moment de le contrer, autrement il en aurait pour trois heures à vitupérer.

— Primo, dit Clay, je m’en voudrais d’être votre garçon ; deuxio, j’ai suffisamment fait le mariolle devant des balles en promenade dans la nature pour me garer de la flotte, vu ? Quand je suis entré dans la police, je croyais avoir pour chef un type à la hauteur, et non pas un pion de collège…

Ça, c’était la grosse astuce ! Ox poussa un rugissement et raccrocha. Clay en fit autant. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres.

Du plat de la main, il lissa sa chevelure d’ébène et souleva le rideau de velours pourpre séparant le hall d’entrée de la salle.

Cet état de grâce qu’il avait ressenti en pénétrant dans l’établissement s’accentua. La salle était de dimensions moyennes. Elle répondait exactement à l’idée qu’on se faisait de ces sortes d’endroits. Une piste de danse était aménagée au milieu et des tables la cernaient. Il y avait tout au fond un immense comptoir fait de rondins, qui évoquait vaguement un chalet montagnard.

C'est vers ce comptoir que se dirigea Clay.

— Hello ! La bonne surprise ! cria Jonas en l’apercevant.

C'était un gros homme à la peau blême, aux cheveux rares soigneusement collés sur son crâne curieusement plat.

Il avait l’œil jaunâtre comme un cheval malade. Son nez aux narines épaisses et aplaties lui donnait une sorte d’aspect négroïde.

Il tendit par-dessus le comptoir une main lourde, chargée de bagues. Clay serra avec répugnance cette livre de chair molle.

— C'est rudement gentil à vous de venir boire un glass, déclara le patron du Bastringue. Ça fait un bout de temps que j’espérais votre visite… Bon Dieu, je me disais que vous faisiez le fiérot…

Clay secoua la tête.

— Boulot, dit-il laconiquement.

Jonas eut un regard mélancolique. Il se disait que du boulot, pour Clay, cela représentait à coup sûr pas mal d’emmerdements pour des types comme lui. Mais Jonas était un malin, dans son genre, qui se débrouillait toujours pour garder le nez propre. Il avait des moyens et, par conséquent, pas mal d’appuis. Il savait louvoyer. Les flics du secteur ne l’ignoraient pas et le ménageaient.

Peut-être, en douce, broutait-il au même râtelier ? En tout cas, il avait le chic pour ne pas se faire d’ennemis.

— Du raide ? proposa-t-il.

— Gy ! fit Clay.

— J’ai un vieux bourbon, du spécial, réservé aux amis et… à mon usage personnel. Ça vous dirait de l’essayer ?

— Je suis là pour ça, gouailla le policier.

Jonas cligna de l’œil au barman et celui-ci comprit tout de suite qu’il fallait prendre la bouteille réservée et ne pas chicaner sur la dose.

— Comme pour des malades ! insista le patron.

Ils trinquèrent et se mirent à parler de la pluie en réservant le beau temps pour une conversation ultérieure.

Au troisième whisky, Clay se sentit tout à fait bien et décida qu’il pissait à la raie du lieutenant Ox. Du reste, il se promettait de le lui dire.

En voilà un qui commençait à le courir, avec ses manières de négrier. Après tout, il n’avait aucun droit sur ses subordonnés, et Clay était bien capable de lui foutre son poing sur le pif, un jour qu’il aurait quelques centilitres de rye en trop dans l’œsophage, quitte à se faire licencier.

Un serveur vint dire un mot à l’oreille de Jonas.

— Vous m’excusez ? demanda ce dernier à Clay. On me réclame pour une partie de passe anglaise…

Il cligna de l’œil :

— Si le cœur vous en dit…

— J’ai horreur des parties de dés, fit Clay.

Il regarda son hôte s’éloigner vers le fond de la salle où, dans une sorte de vaste loggia, des gens aux allures douteuses s’affairaient autour d’une table de jeu. Dans la loggia faisant face à celle-ci, un orchestre à cordes dévidait des écheveaux de musique tendre, un peu trop sucrée, qui mettait du vague à l’âme au cœur des donzelles.

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