Cinq minutes plus tard, la voiture de Gloria Masure le dépassa, le frôlant de si près qu’il fut déséquilibré par le déplacement d’air.
Elle devait être furieuse.
Il sourit. En fait, c’était une très curieuse soirée. Il avait fait un chèque sans provisions pour avoir le plaisir d’embrasser et de gifler une jolie et riche héritière. Somme toute, il aurait pu n’en tirer aucun profit.
Dix minutes plus tard, il eut la chance de tomber sur un taxi en maraude.
Il le héla.
— Bureau central de police ! ordonna-t-il.
Le Lieutenant Ox devait commencer à la trouver saumâtre.
Clay serra les poings. Si cette grosse enflure lui cherchait des rognes, elle trouverait à qui parler.
John Clay s’en foutait, de tout balancer. Il était dans de sales draps, alors un peu plus, un peu moins…
Ox avait l’air lugubre. Sa tête dans ses grosses mains aux doigts boudinés, il mâchouillait un bout d’allumette en roulant des yeux mauvais.
Lorsque John Clay pénétra dans le bureau, il poussa un grognement.
— Tout de même ! grommela-t-il. Il est près d’une heure !
— Merci du renseignement, fit Clay.
Ox abattit sa grosse patte sur son sous-main maculé d’encre.
— Je ne vous conseille pas de faire l’esprit fort, Clay. J’estime qu’il est inadmissible qu’un inspecteur se permette des fantaisies de ce genre. Voilà trois fois que j’ai un appel d’urgence dans la dix-neuvième rue et je ne sais pas qui envoyer ! Tous les gars sont en mission, ce soir…
— Vous n’aviez qu’à y aller vous-même, répliqua le policier. Simplement histoire de vous faire maigrir.
Il se rendit compte immédiatement qu’il avait passé la mesure. Ox se leva d’un bond impressionnant par sa vélocité. Il se précipita sur Clay et l’empoigna par les revers de sa veste. Il était d’une force extraordinaire. Clay comprit que dans ces mains puissantes, malgré sa propre force et sa souplesse, il ne représentait pas davantage qu’un fétu de paille.
— Voilà des paroles qui vont vous coûter cher, avertit le lieutenant. J’en ai marre de vos grands airs, Clay. Si vous vous prenez pour le Président des États-Unis, vous faites erreur, et je vous le prouverai. Voilà assez longtemps que vous avez tendance à prendre vos supérieurs pour des épluchures de cacahuètes. Je n’en supporterai pas davantage. Dès demain, j’écrirai sur vous un rapport long comme un discours électoral, vous entendez ? Et si ce rapport n’entraîne pas votre révocation, je démissionne pour avoir le droit de vous casser votre jolie gueule, vu ?
Clay réprima sa rage.
— Attention, vous allez faire sauter mes boutons, dit-il. Un flic sans boutons, ça manque un peu de prestance, vous ne croyez pas ?
Il s’exprimait d’un ton glacé. La réaction fut immédiate. Ox le lâcha et, en épongeant son front que la colère avait superbement emperlé de sueur, il regagna son bureau. Il ouvrit un tiroir du haut, cueillit une bouteille de whisky et s’en administra une rasade carabinée.
Puis il tendit un papier à Clay.
— On me signale un coup de feu dans une maison située au 2.225 de la dix-neuvième, dit-il. Chez un certain Malisson, prêteur sur gages… Cavalez-y. S'il y a meurtre, téléphonez-moi et j’enverrai les gars de l’identité. Seulement, je ne puis le faire tant que je n’ai pas quelqu’un de chez moi sur place : j’aurais l’air spirituel !
Clay jeta un regard au papier portant l’adresse énoncée par son chef.
Il le glissa dans sa poche, serra la boucle de son imperméable et sortit sans dire un mot.
Il grimpa dans l’une des voitures de police stationnées dans la cour du commissariat principal. Il ne déclencha pas la sirène. À quoi bon ? Ce qu’il avait à faire ne nécessitait pas de poursuites à travers la ville. Simple constat : un job de tout repos, en somme !
Il était abattu. Décidément, il tenait une période de poisse, ça gazait mal pour lui… Ox était vraiment furibard et pouvait très bien établir le rapport qui entraînerait sa révocation. Ce serait chouette de se retrouver sur le sable ! Drôle de soirée… Avec ça, le chèque non approvisionné qui se baladait quelque part dans le sac à main de la môme Gloria et qu’elle ferait présenter à la première heure, le lendemain, dans l’espoir de coincer Clay !
Il se sentait entraîné dans un tourbillon maléfique. C'était une sacrée mauvaise passe !
Il tourna dans la dix-neuvième rue et la remonta jusqu’au numéro 2.225.
Un petit groupe de trois personnes stationnait devant la porte d’une boutique poussiéreuse dont le volet de fer était mis.
Il y avait là une grosse femme en robe de chambre qui ne parvenait pas à récupérer ses énormes seins dans le vêtement flottant, une fille à la tête hérissée de bigoudis et un homme entre deux âges qui devait être sicilien, à en juger par sa mine et son accent.
— Police, que se passe-t-il ? demanda sèchement Clay.
— C'est pas trop tôt ! glapit la grosse femme. Depuis qu’on vous a alertés…
Elle reprenait le refrain de Ox, ce qui déplut à John Clay.
— Vous, la vieille, vous allez me faire le plaisir de calter d’ici en vitesse, ou je vous fous un procès-verbal pour attentat à la pudeur. Et vous aussi ! dit-il à l’autre fille.
— Ça alors ! s’écrièrent les deux femmes.
Mais elles s’éloignèrent. Clay devina qu’elles allaient s’embusquer à leurs fenêtres. Il haussa les épaules. Ces gonzesses, jeunes ou vieilles, étaient toutes les mêmes. Elles aimaient les sales histoires comme les mouches aiment la charogne.
— Alors ? demanda-t-il d’un ton volubile.
— Maqué, c'était oun dramé ! Gesté nouité, yé entendou oun grandé cri… Jé mé souis mis à ma fénestra ; oun homme sortait dé chez Malisson… Il courait…
— Vous êtes entré ? demanda Clay.
— Niente ! Jé appelé lé vioux, parsonne m’y répondre… Jé n’ai pas osé rentrate. Madré de Dios !
Il se signa.
— O.K., fit le policier… Attendez-moi là.
Il essaya de pousser la porte du magasin et comprit alors pourquoi le Sicilien n’était pas entré, non plus que les commères. Le malfaiteur présumé, en partant, avait tiré la porte à lui ; celle-ci s’était refermée ; le bec-de-cane se trouvant à l’intérieur, on ne pouvait l’ouvrir de l’extérieur.
Clay sortit son pistolet et donna un coup de crosse dans la vitre à travers la grille du volet. Il y eut un fracas de verre brisé.
Il passa alors la main à travers la porte et actionna le bec-de-cane. La porte s’ouvrit… Il entra.
Le magasin était obscur mais une lumière venait de l’arrière-boutique. Clay s’y dirigea.
Le vieux prêteur sur gages était étendu par terre, la tête dans une mare de sang. Une bouteille brisée gisant à ses côtés expliquait clairement comment on l’avait descendu. En effet, une plaie béait au-dessus de sa nuque.
Clay avait vu suffisamment de meurtres pour ne pas s’émouvoir outre mesure. Il posa la main sur la poitrine du vieillard ; le cœur ne battait plus.
Il regarda autour de lui : il n’y avait nulle trace de violences, excepté le crime lui-même. Donc il n’y avait pas eu lutte. Rien ne semblait indiquer que le criminel eut fouillé le local.
Clay aperçut un coffre dans un coin de la pièce. Un coffre très simple, plutôt une sorte de placard blindé fermant par une simple serrure de sûreté. Ce coffre n’avait pas été forcé.
Certainement le prêteur sur gages, comme beaucoup de ses confrères, se livrait-il au recel. Un filou lui avait apporté un bijou quelconque, ce qui expliquait qu’il l’eût reçu en pleine nuit. Ils n’avaient pas dû se mettre d’accord sur le prix. La discussion s’était envenimée. Le vieillard devait exploiter honteusement la situation ; sans doute son « client » était-il un débutant qu’il avait essayé de rouler. Comme l’autre refusait ses conditions, il l’avait peut-être menacé de le dénoncer. Alors le filou, affolé, avait empoigné la bouteille qui se trouvait à portée de main et la lui avait brisée sur le crâne.
Читать дальше