Frédéric Dard - J'suis comme ça

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Y'en a d'autres qui sont autrement, mais moi, que voulez-vous, j'suis comme ça !
Vous le savez, je suis habitué aux coups les plus durs et les plus vaches.
Mais celui qui m'arrive sur le coin de la hure est le plus bas que j'aie jamais encaissé : ON A KIDNAPPE FELICIE !
Si vous n'avez jamais vu un San-Antonio féroce, un San-Antonio effrayant de colère, vous allez être servis.
Avec Béru, on s'est bien juré que le premier des ravisseurs de ma mère qui nous tombera sous la paluche aura droit à une concession au Père-Lachaise…
Qu'on se le dise !

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San-Antonio

J'suis comme ça

À Andrée et à André Granier grâce auxquels on peut me traiter de « vendu ».

En toute amitié.

S.-A.

AVERTISSEMENT

— Levez la main droite et dites je le jure.

— Je le jure !

— Baissez la main. Les personnages de ce récit sont-ils purement imaginaires et fictifs ?

— Je le crois, mais comme disait une femme adultère : tout le monde peut se tromper.

— Toute ressemblance avec des personnages existant ou ayant existé ne serait-elle que pure coïncidence ?

— Sûrement pas, car tous les hommes se ressemblent. Ils sont groupés par catégorie. Il y a les c… ; les moins c… ; les pas trop c… et les autres, c’est-à-dire les très c… Il n’y aurait donc rien de surprenant si certains lecteurs se reconnaissaient dans ces pages.

PREMIÈRE PARTIE

Faut-il vous l’envelopper, vous allez loin ?

CHAPITRE PREMIER

Il y en a d’autres qui sont autrement, mais moi, que voulez-vous, j’suis comme ça !

Et c’est parce que je suis comme ça que tout est arrivé. Vous y êtes ?

C’est pas qu’on soit rupins, Félicie et moi, mais on a un jardinier. Si nous nous offrons ce luxe c’est, vous l’avez deviné, parce que nous avons un jardin.

Il n’est pas très grand. (Je parle du jardin). Le jardinier non plus d’ailleurs. Il a fait son école d’horticulture dans « Rustica » et il a du mal à différencier les poireaux des oignons, mais pour retourner la terre y en a pas deux comme Julius (c’est son blaze authentique, dûment homologué par l’état civil et même par les militaires).

Quarante piges, une voix de petite fille et pas plus de barbe qu’un flacon d’ambre solaire, inutile de se casser le chou pour le diagnostic : ce sont ses glandes endocrines qui battent de l’aile. Il pourrait se balader en costume marin, Julius, avec un cerceau à la pogne, comme les petits enfants sages d’autrefois, personne ne songerait à s’étonner.

Les endocrines, je vous dis. Comme jouvence on fait pas mieux.

Une tranche de vie, quoi ! Aussi fade qu’une tranche de potiron. Fils d’alcoolique ; l’assistance avec une visiteuse antisociale qui venait lui filer une avoinée chaque mois histoire de se rendre compte de ses réflexes… On ne pouvait pas souhaiter mieux dans le genre cauchemar.

Son père avait tué sa sœur, jadis. Motif : pour sa fête elle lui avait écrit : « Papa, je t’aimes » sur son ardoise. Ce « S » à je t’aime, ça l’avait mis dans tous ses états, le daron. Il ne badinait pas avec le premier groupe. Un puriste, quoi. Il avait brisé l’ardoise sur le crâne de la gosse : y a des fan’s de la grammaire…

Faut les comprendre.

Du coup, les glandes à Julius, vous pensez si elles sont passées inaperçues. On l’a baptisé « Grosse Tronche » et tout a été dit. Comme thérapeutique, c’est plutôt sommaire, non ?

Il crèche près de chez nous, dans le lavoir couvert. C’est pas que ce soit confortable, mais y a l’eau courante. Et puis personne ne le fait tartir vu qu’à notre époque tout le monde a sa Bendix et lave son linge sale en famille.

Dans le quartier, on l’emploie pour les menus travaux : c’est Julius qui vide les fosses d’aisances, qui noie les chats et installe les bancs pour le marché. Ça lui permet de subsister. Félicie, ma brave femme de mère, lui fait « remuer » le jardin, quand la saison est propice. Ensuite elle s’occupe de semer, de planter, de sarcler parce que, pour les besognes délicates, il n’est pas partant, Julius.

Ce jour-là, comme je rentrais de mission, je l’ai aperçu qui s’escrimait sur sa bêche.

Fallait le surveiller. Si on n’y prenait garde il bêchait tout le quartier.

Un moment d’inattention et on trouvait un champ labouré à la place de la rue principale. Un vrai petit bulldozer dans son genre !

Je lui ai serré la dextre, ce qui nécessitait de ma part un certain courage…

— Alors, Julius, ça usine ?

J’essaie de me mettre à sa portée, mais c’est plutôt duraille. Quand il a une idée dans la tête, ça fait un bruit de grelots.

Il me décoche un rire béat, rayonnant d’une infinie sérénité. Il ressemble à un mec qui aurait lu Claudel et qui l’aurait compris.

— Oui, M’sieur.

Je lui vote une cigarette. Il se la cloque dans le clapoir et se met à la ruminer sans ôter le papier, afin sans doute qu’elle lui fasse plus d’usage.

Ayant souscrit aux exigences de ma bonté congénitale, j’abandonne Julius pour aller embrasser M’man. Vous pensez que Félicie m’a déjà reniflé. Elle est sur le perron, avec son air heureux et son châle noir croisé sur la poitrine.

— Mon Grand, je ne t’espérais pas de sitôt…

On se fait une bise, deux bises, trois bises et elle m’annonce une blanquette de veau pour midi.

Votre San-Antonio préféré se met en pantoufles, accroche son veston au portemanteau et dépose dans un fauteuil Voltaire la partie de lui-même réservée à cet usage.

Ce qu’on est bien chez soi quand on vient de se farcir quinze cents bornes en bagnole sans respirer.

— Tu veux un peu de café ? questionne Félicie.

— Non, merci : je m’en suis gavé tout le long de la route…

— Tu devrais te coucher, Antoine : tu as l’air fourbu.

Je branle du chef.

— Auparavant, il faut que j’aille au rapport, M’man. J’ai des documents de la plus haute importance à remettre au Vieux.

— Ça ne presse pas à quelques heures, objecte doucement Félicie.

Je réfléchis. Il est dix plombes. Je peux effectivement me payer quelques moments de répit. Entre nous et la face nord de l’Everest je ne les ai pas volés. Après tout, je n’étais pas forcé de foncer comme un damné sur la route, ni de faire Barcelone-Paris en une seule étape.

— Écoute, M’man, je vais me reposer un couple d’heures dans ce fauteuil. Prépare le repas pour midi pile. À deux heures, il faut que je sois dans le bureau du boss.

La voilà, toute frémissante, qui file dans sa cuisine. Je me relaxe. Il fait beau, l’air est pur. Dehors, le brave Julius fouille l’écorce terrestre avec acharnement en chantant de sa voix aigrelette une scie à la mode : la Marseillaise.

Je me dis soudain que je fumerais bien une cigarette. J’ai absorbé tellement de caoua le long du chemin pour me tenir éveillé que j’ai le système nerveux complètement chanstiqué. Oui, je crois qu’une cousue me fera du bien. Malheureusement, la dernière que je possédais séjourne actuellement dans la bouche du jardinier. Pas d’erreur, mon San-Antonio joli, si tu veux faire des ronds de fumant il faut que tu t’emmènes jusqu’au bureau de tabac du coin. Après tout, un peu de marche à pied me décoincera les jointures.

J’annonce mon intention à Félicie. Elle me propose d’aller en mon lieu et place jusque chez le marchand de nicotine tandis que ses oignons reviennent dans le beurre. Je repousse la proposition. Manquerait plus qu’ça !

Comme dirait Charpini : ce serait le monde renversé.

Je décroche ma veste. Dans la poche intérieure il y a une grosse enveloppe de papier kraft. Son contenu n’a pas de prix.

Je la retire de ma poche et la dépose dans un hideux cache-pot de cuivre ciselé qui nous vient à la fois d’un oncle et du Maroc. Et me voilà parti.

Le gars Julius a déjà terminé la partie gauche du jardin (in english « the garden ») et attaque la partie droite après avoir hésité à bêcher l’allée de ciment.

Je quitte notre pavillon et longe d’un pas mou l’avenue plantée d’arbres conduisant au centre du patelin. Tout est paisible, quiet, prometteur. On entend, venant d’une école voisine, le bruit merveilleux d’une récréation. Les chocs d’un marteau sur une enclume… Le crachotement sifflant d’un poste de soudure chez le carrossier d’en face. Un type passe à moto. Il a sur la selle arrière une cage à oiseaux avec un serin à l’intérieur. Comme ça le zoziau n’a pas d’efforts à fournir pour se balancer sur son perchoir. Un privilégié !

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