Frédéric Dard - Ne mangez pas la consigne

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Ne mangez pas la consigne: краткое содержание, описание и аннотация

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L'homme cagoulé est en train d'affûter la lame courbe d'un cimeterre. Le cimeterre marin dont causait Valéry. Ce cimeterre-là va m'expédier au cimetière sur une vraie meule. Une meule électrique, siouplaît, ce qui m'inciterait à penser que nous sommes dans un atelier.

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San-Antonio

Ne mangez pas la consigne

Bien entendu, les personnages de ce récit sont fictifs.

Où serait le charme, sinon ?

S.-A.

A M. André DUBOIS, mon préfet préféré.

S.-A.

CHAPITRE PREMIER

On n’en fait qu’à sa tête

C’était exactement le genre de jour où il n’arrive rien. Dès le lever vous vous sentez désespérément quotidien. Le temps est gris ; le café a le goût de cafetière ; et vous ne trouvez dans votre courrier que la revue du Touring Club et l’avis de mariage de gens dont vous vous foutez abominablement.

En arrivant à la Grande Taule, des cris de polissons m’apprirent que nous étions jeudi. Comme il faut bien que ce soit jeudi une fois par semaine, je n’avais pas d’objections à formuler sur ce point.

Un instant, je regardai des petites filles d’agents de police faire la ronde en chantant : « Et ron ron ron, petit Papon ». Elles avaient des menottes beaucoup plus délicates que celles de leurs vaillants papas et elles ne sentaient pas, comme eux, la couverture de cheval, mais la robuste eau de Cologne d’épicerie à trois balles la bonbonne.

Sous un porche, des amoureux se goûtaient le suc gastrique avant de se séparer pour aller au labeur. Oui, tout baignait dans une grisaille rassurante. Les garagistes s’apprêtaient à vivre leur journée de cinquante heures (sur facture). Les garçons de café polissaient leurs percolateurs et les garçons d’honneur cherchaient leurs boutons de col sous les armoires. Les mécanos d’Air France faisaient le plein des réservoirs et les sacristains celui des bénitiers. Le samovar à goudron des Ponts et Chaussées s’apprêtait à faire le trottoir tandis que les gagneuses de la rue Caumartin le faisaient déjà. Tout ceci pour vous donner une idée de l’atmosphère régnant sur Pantruche ce matin-là.

Cela étant posé, MM. les lecteurs sont priés d’attacher leurs ceintures, car nous allons amorcer un virage grammatical et passer de l’imparfait au présent sans modifier notre vitesse de croisière. L’imparfait, comme son nom l’indique clairement, n’est pas satisfaisant, et son emploi est à déconseiller dans des récits aussi vivants que les miens.

S’il fait plus d’usage que le présent, son entretien est très coûteux ; la pièce de rechange est hors de prix et lorsqu’il attrape un subjonctif chronique, on est obligé de faire appel à la main-d’œuvre spécialisée, ce qui grève encore son prix de revient. Certains littérateurs de ma connaissance se sont fait mettre l’imparfait au mazout, prétextant une diminution de la consommation ; d’autres ont cru éluder la question en achetant des verbes du premier groupe par grosses quantités et en les faisant imparfaire par des nègres ; certains, même, ont fait venir des États-Unis une machine à imparfait électronique (mais allez donc caser des imparfaits anglais dans de la prose française !) ce ne sont là qu’expédients ou caprices de snobinards. Les choses étant ce qu’elles sont, comme on dit à la maison Tuparle-Sijevouzécompry (Transports en commun, France et outre-mer), il reste que le présent offre certains avantages aux fins stylistes dont je suis, ceux entre autres de n’appartenir ni au passé ni au futur et d’être exonéré des droits de succession et de la surtaxe sur les participes.

Donc, suivez bien mon conseil, pour vos rapports si vous êtes gendarme, pour vos recettes de cuisine si vous êtes Tante Laure, pour vos lettres d’amour si vous n’êtes pas onanistes, employez le présent. Vous aussi, amis journalistes ; vous m’en donnerez des nouvelles !

Bon, on continue ?

Je ne grimpe pas à mon burlingue car il est en réparation. En haut lieu on a trouvé qu’il ressemblait trop à une porcherie mal tenue. Depuis le temps que Béru s’y préparait des tripes-mode sur des réchauds suintants et que Pinuche s’y entraînait à faire de la mobylette, le pauvre bureau avait fini par s’identifier à des ouatères gratuits.

Largesse de l’Administration : on s’est décidé à le ripoliner. En attendant sa résurrection, je crèche dans une petite pièce minuscule, aux murs garnis de classeurs, et qui n’est aérée que par le trou de la serrure.

Cet endroit conviendrait admirablement pour servir de décor à Huis clos, mais avec mes célèbres duettistes on y joue plus volontiers du Feydeau que du Sartre.

Ce bureau de fortune n’est que la plaque tournante de mon activité. J’y viens chercher les ordres de mes supérieurs et y déposer mes rapports, un point c’est tout.

Ce matin, R.A.S. Il ne se passe pas plus de choses à la Maison Poulardin que dehors. La même apathie morose flotte dans l’enceinte fortifiée des semelles à clous. Par acquit de conscience je passe un coup de grelot au Vioque afin de lui demander s’il a quelque chose à me confier et il me répond que non. On joue : « Nuit-Calme-sur-l’Ensemble-du-Front », ce qui revient à dire que j’ai quartier libre. Un des agréments de mon job, c’est son incertitude. Parfois, lorsqu’on est sur un coup coriace, on passe cinquante heures sans dormir. Et puis il y a des périodes creuses au cours desquelles on peut, aux frais de la princesse (celle qui porte un bonnet phrygien en guise de couronne), pêcher à la ligne, visionner des films ou s’assurer de l’élasticité des jarretelles des dames.

Je me demande ce que je vais fiche de cette journée. Les aiguilles de ma montre ont beau tracer un V triomphal sur leur cadran en indiquant dix heures dix, leur lenteur me terrifie.

J’examine les différentes possibilités de distraction et je n’en trouve pas une qui soit satisfaisante. Mes petites amies sont au labeur, les cinémas ne commencent qu’à quatorze heures, et, avec ce temps-à-visiter-les-musées une balade à la cambrousse n’a rien d’aguichant.

J’en suis là de mes maigres cogitations lorsque la porte s’ouvre (en grand) sur Bérurier. Le Gros a mis ses plus beaux atours. Il étrenne une gabardine gris éléphant qui le fait ressembler à un éléphant précisément, et il a mis son bitos des grandes occases : un taupé noir avec un ruban large comme une ceinture de flanelle. On dirait un maquignon endimanché.

— Et alors, Grosse Pomme, m’exclamé-je, tu es reçu à l’Élysée ou quoi ?

— Parlez-moi z’en pas ! sourit-il, j’suis t’invité à un mariage.

Je note alors sa chemise blanche (mais oui), sa cravate lie-de-vin à rayures vertes, le pli approximatif de son bénard et ses lacets de soulier flambant neufs.

— Et qui a l’idée saugrenue de convoler un jour comme aujourd’hui, Béru ?

— Mon ami, Alfred, le coiffeur.

— Quoi ! m’égosillé-je. Le Merlan se marie ?

— Textuel.

— Mais je croyais qu’il était l’amant de ta femme ? ne puis-je m’empêcher d’objecter.

Le Gros soulève le bord de son bada et gratte d’un ongle attristé sa ride médiane.

— Depuis quelque temps il ne l’est plus tellement ; et d’une ! assure-t-il. Deuxio, je t’abjecte une chose, San-A. : c’est que même si ça serait, ça n’empêcherait pas.

Frappé par la puissance du raisonnement, je ne puis que baisser pavillon, ce qui est moins indécent, à tout prendre, que baisser culotte.

— Et qui épouse-t-il, ton coupeur de cheveux en quatre ?

— Sa shampouineuse !

— Il n’a pas fini de se faire laver la tête !

— Une fille très bien, démarre Béru. De la jument de race, si tu vois ce que je veux dire.

Et d’écarter ses grosses pognes velues. Mon imagination délirante comble l’espace vide par un séant de shampouineuse. Si j’en crois l’écartement des mains béruriennes, l’épousée a tout ce qu’il faut pour s’asseoir, et on ne saurait trop lui conseiller de le déposer dans du Louis XIII.

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