Frédéric Dard - Ne mangez pas la consigne

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Ne mangez pas la consigne: краткое содержание, описание и аннотация

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L'homme cagoulé est en train d'affûter la lame courbe d'un cimeterre. Le cimeterre marin dont causait Valéry. Ce cimeterre-là va m'expédier au cimetière sur une vraie meule. Une meule électrique, siouplaît, ce qui m'inciterait à penser que nous sommes dans un atelier.

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Quand je débarque dans son antre, il se livre à une occupation délicate. Au moyen d’un microscope à lentilles non triées et boîte à outils incorporée, il examine le dos d’un timbre-poste oblitéré afin de déterminer, grâce à la salive qui en humecta la colle, le sexe, l’âge, le prénom et les fonctions du zig qui a baladé ces 0,30F de République française sur ses muqueuses.

Je retiens mon souffle afin de ne pas troubler l’opération. Poilancatre note hâtivement le résultat de son examen. Il le multiplie par quatre, fait une règle de trois et relève sa belle tête d’intellectuel constipé. Ensuite il abaisse ses lunettes sur son nez et module :

— Oui ?

— Salut, toubib. J’ai besoin de vous.

Il me sourit, comme dirait l’abbé Jouvence.

— Je suis content de vous voir, commissaire, assure-t-il en fourrant le contenu d’une boîte de cachous dans sa bouche.

— Vous me flattez !

— Non, ce qui me plaît en vous, c’est que vous avez la tête sur les épaules.

— Tout le monde ne peut pas en dire autant, rétorqué-je, avec ce sens de l’à-propos qui m’a valu d’être flanqué à la porte de quatorze lycées.

Et je lui présente mes trois clés de consigne.

Il les prend, les regarde à la loupe et murmure :

— Ce sont des clés.

— Dix sur dix, doc.

Je me mets alors à lui bonnir ce que vous savez déjà. Il m’écoute en suçant ses cachous.

— C’est très intéressant, fait-il. Où sont ces têtes ?

Il s’attend à ce que je les sorte de mes poches, ce petit impatient. Je refrène son ardeur.

— Je les ai laissées en place, car je n’avais pas de filet à provisions pour vous les amener. Vous allez aller avec votre équipe à Saint-Lazare. Je passerai la consigne au chef de gare pour qu’il vous laisse le libre usage des siennes.

« Je vais lui demander qu’il barre le couloir où se trouvent les macabres casiers. Agissez discrètement. Les usagers doivent croire que vous vous livrez à des travaux de réfection. Je n’ai pas envie d’avoir toute la presse dans mes pattes. C’est le genre d’affaire trop excitante, vous comprenez ?

— Parbleu !

— Alors vous faites le grand jeu, toubib. Examen minutieux des casiers, puis rapport détaillé sur les têtes. Photos de celles-ci, en gros plan. Arrangez-vous pour qu’on ne s’aperçoive pas, sur les clichés, qu’elles sont sectionnées, d’accord ?

— Vu !

— Voilà, c’est tout.

On s’en serre dix et je le largue en lui abandonnant les clés numérotées.

Il est tout excité, votre San-Antonio, mes belles. On lui collerait Liz comme édredon, Brigitte comme oreiller et Lollo comme matelas qu’il ne le serait pas davantage.

Je dégringole jusqu’au bureau intérimaire et j’y trouve qui j’y cherche, à savoir le très révérend Pinaud.

Ce demi-siècle d’existence se roule une cigarette, ce qui constitue toujours un exercice délicat. Aucune compagnie d’assurances n’accepterait de couvrir contre les risques d’incendie la maison de Pinuchet, si elle le voyait faire ses cigarettes. Le fossile emploie deux feuilles de papier superposées. Il les plie dans le sens de la longueur, comme il se doit, y dépose quatre brins de tabac, roule le tout tant bien que mal (et dans son cas c’est beaucoup plus mal que bien), le lèche ardemment, comme une chatte qui aurait perdu, puis retrouvé ses petits ; et, ensuite, au moyen d’un vieux briquet fumeux, y met le feu.

Ça flambe d’un coup. C’est assez beau comme spectacle d’ailleurs. L’incendie n’est étouffé que par la moustache élimée de Pinaud. Alors ce qui subsiste de la cigarette se met à grésiller doucement, tandis que des flammèches volettent gracieusement autour de notre homme.

— En vieillissant ça ne s’arrange pas, remarqué-je sévèrement, tout en colmatant avec mes semelles un début de sinistre. Désormais, tu ne devrais fumer que dans la cour de la caserne Champerret [4] Caserne de pompiers parisienne. Note pour les gnaces de l’extérieur. .

Pinaud hausse ses épaules en bouteille d’eau minérale.

— Tu n’es qu’un fumeur d’occasion, déclare-t-il, tu ne peux pas comprendre.

— Tais-toi, pyromane ! Et ouvre toutes grandes les chicanes qui conduisent à ta couennerie.

Une fois de plus je lui bonnis mon historiette pour jeune fille lymphatique. Ça ne l’émeut pas, Pinaud. Il en a vu d’autres. Des plus ahurissantes, des plus sanglantes, des plus mystérieuses.

Il continue de téter son incendie avec volupté. Les poils de sa moustache rissolent comme des marrons dans une poêle trouée.

On pourrait croire qu’il n’a même pas suivi mes explications et que son esprit en pleine liquéfaction a épousé les méandres d’un rêve biscornu. Et pourtant il murmure, ce digne flic, avec une pertinence de vieux poultok à qui rien n’échappe, si ce n’est des incongruités.

— Le meurtrier n’a même pas cherché à retarder la découverte des têtes puisqu’il a laissé les clés après les casiers…

Croyez-moi, bande de consommateurs de mes livres, il ne faut pas être n’importe qui pour émettre une remarque de ce style.

— Ce que je vais te demander de faire, Pinuche…

— C’est de visiter les consignes des autres gares ?

Encore une fois il étale au grand jour les richesses de sa vaste expérience de matuche blanchi sous le harnois.

— Exactement. Tu feras les consignes automatiques ; explorer les autres, les vraies, serait une œuvre de titan. Munis-toi de pièces de cent balles anciennes ou, à la rigueur de un franc nouveau, je ne suis pas sectaire.

— Entendu. Je pourrai porter ça sur ma note de frais ?

— Oui, radin !

Il fourre son mégot dans sa poche, sans se donner la peine de l’éteindre.

— J’ai pas de cadeau à faire à l’administration, bougonne ce spécimen des temps anciens…

Il lui a déjà fait le don de sa personne, à l’administration, et croyez-moi, c’est un précieux cadeau.

Il boutonne son lardeuss jusqu’au menton, gratte de son ongle en tuile les coins farineux de son regard et rabat le bord de son vieux bitos exténué. En route ! Ce demi-siècle de bons et loyaux services se met en branle comme un vieux bourrin de fiacre de l’époque héroïque.

Il part accomplir son devoir, et on sait qu’il le fera de A jusqu’à Z. Ce qui ne représente pas grand-chose sur le clavier d’une machine à écrire [5] Sur le clavier universel, le A constitue la première lettre et le Z la seconde. Note pour les ceuss qui écrivent à la plume. .

Pinaud, c’est la haridelle de la Grande Maison. Son cheval des batailles gagnées, son étalon des peines perdues. Il est panard, il a la dent jaune, le pelage râpé, l’œil atone, le crin filocheux, l’oreille pendante, le sabot éculé, la virilité au-dessous du niveau de la mer (d’aucuns l’ont même baptisé « le Zuiderzee du plumard ») et la démarche dodelinante, mais il est plus efficace que douze poulets ordinaires perchés sur un bâton.

Je le rappelle :

— Pinaud !

— Mouais ?

— Tu fais ma joie, vieillard !

Il secoue son beau visage inexpressif.

— Y a des moments, Tonio, on se demande ce qui te passe dans le chou. Tiens, tu me rappelles un neveu de ma femme : Albert ! C’est un garçon de seize ans qui a toujours des réflexions ahurissantes depuis sa méningite…

Boum ! Servez chaud ! Si on a le malheur de mettre deux ronds dans le zinzin, voilà mon Pinuchet qui déballe son pedigree et celui de tous ses parents et alliés en remontant jusqu’à Charles VII (il descend de Jeanne d’Arc par les hommes).

En moins de temps qu’il n’en faut à cent trente gardiens de la paix pour briser la caméra d’un reporter, je le chope par le fond arachnéen de son futal et le propulse dans l’escadrin. Avec lui il faut procéder comme avec les coureurs sur piste : on doit le lancer à la main.

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