San-Antonio
Fais pas dans le porno…
une œuvre exceptionnelle
et néanmoins bon marché
A Camille DUTOURD
de l’Académie française par alliance,
avec la tendresse de l’imbicornable
San-A.
PREMIÈRE PARTIE
VOYAGE AU BOUT DE L’HORREUR
Une pièce de séjour dans un immeuble bourgeois. C’est cossu, moelleux, traditionnel.
Monsieur Lagrosse (45 ans environ) lit son journal devant la cheminée.
Son épouse, Nathalie (la quarantaine), enfile la veste de son tailleur Chanel.
Martine, la jeune soubrette, vêtue en femme de chambre de comédie, entre, portant le plateau du café.
NATHALIE (à Martine) :
Je n’en prendrai pas. J’ai rendez-vous avec mon dentiste et je suis en retard.
Elle va déposer un baiser distrait sur le front de son époux.
NATHALIE:
Au revoir, Georges; tu seras là pour le dîner?
GEORGES (sans cesser de lire):
Bien sûr.
Nathalie prend son sac à main sur un meuble et gagne la porte.
MARTINE:
Au revoir, Madame.
NATHALIE:
Vous n’oublierez pas de passer chez le teinturier prendre mon ensemble de soie bleu.
MARTINE:
Non, Madame.
Elle s’empare d’une soucoupe munie de sa tasse et va la présenter à M. Lagrosse.
MARTINE:
Votre café, Monsieur.
Lagrosse laisse tomber un côté du journal et s’empare de la tasse.
MARTINE:
Je remplis?
LAGROSSE:
A ras bord, j’ai besoin d’un coup de fouet.
La soubrette verse le café, trop généreusement puisque le liquide brun déborde et ruisselle sur le pantalon de son patron.
LAGROSSE:
Vous ne pouvez pas faire attention, idiote!
MARTINE:
Je vous demande pardon, Monsieur! Ne bougez pas!
Elle va reposer la cafetière sur le plateau et sort précipitamment pour revenir aussitôt avec une serviette humectée.
MARTINE:
Vous permettez?
La jeune fille s’agenouille auprès de Lagrosse et se met à fourbir avec une savante énergie la tache située dans la région de la braguette.
MARTINE:
Ça part, Monsieur…
LAGROSSE (d’une voix changée):
Moi aussi!
(un temps, il ferme à demi les yeux)
Vous avez vu, un peu, l’effet que vous me faites?
Effectivement, une protubérance significative dilate son pantalon au point de frottement.
MARTINE (stupéfaite):
Ah! ben ça, alors!
LAGROSSE (parti, en effet):
Continue, continue!
MARTINE:
Mais qu’est-ce qui vous arrive?
Lagrosse extrait de ses frusques un sexe surdimensionné. Martine a un mouvement de recul devant l’énormité de l’appareil.
MARTINE:
Ça existe, un membre pareil!
LAGROSSE:
La preuve! Allez, occupe-t’en, petite salope! Ne me laisse pas en panne!
MARTINE (pleurant):
Pourquoi que vous me traitez de salope! Je suis une honnête fille!
LAGROSSE:
C’est une maladie dont on guérit vite! Tu vas me déguster, oui ou merde!
Résignée, la petite bonne prend l’objet dans sa bouche sans cesser de pleurer.
LAGROSSE:
Pleure pas la bouche pleine, tu vas t’étouffer!
Elle essaie de se justifier, mais ses moyens d’élocution sont trop perturbés pour qu’elle puisse s’exprimer distinctement, aussi renonce-t-elle pour se consacrer à sa tâche.
Lagrosse y prend un plaisir extrême. Il se renverse le plus possible dans son fauteuil en émettant des râles de plaisir.
Au plus fort de son bonheur, la porte s’ouvre et Nathalie réapparaît.
NATHALIE (dans le mouvement):
J’avais oublié mon…
Elle reste coite devant le spectacle.
La petite bonne interrompt sa fellation.
MARTINE:
Madame! C’est… Je…
Nathalie sourit et s’avance.
NATHALIE:
Ne vous dérangez pas pour moi, ma fille! Continuez, le tableau est charmant.
Résignée, Martine retourne à son occupation. Les gémissements de Lagrosse vont crescendo. Nathalie s’approche de la soubrette et lui retrousse sa robe noire, découvrant un adorable slip blanc arachnéen, des bas et un porte-jarretelles noirs, le tout mettant en valeur un exquis fessier.
NATHALIE (troublée):
Et elle met des porte-jarretelles! C’est délicieux!
Elle s’agenouille derrière la petite bonne et…
FAIS PAS DANS LE SENSIBLE!
Ecœuré, je balance le scénario sur la moquette.
— Ça te plaît pas? s’étonne Toinet.
— Où as-tu trouvé cette saleté?
— C’t’un type qui me l’a donnée à lire; t’as tort de pas aller plus loin: ça devient pilpatant. La patronne fait minouche à la bonne, seulement voilà que deux déménageurs arrivent pour livrer un piano, et alors ça tourne cosaque; magine-toi qu’ils plongent dans la mêlée avec des gourdins gros comme le bras; bientôt, on n’sait plus qui est qui. La vieille concierge se pointe, alertée par le chahut. La partouze l’excite comme une folle et la brave Mâme Michu se fait un doigt de cour… Et puis…
— Ça suffit! hurlé-je.
Surpris par la violence de mon éclat, le garnement reste bouche bée.
— Dis, Antoine, tu vas pas chiquer les pères-la-pudeur, avec toutes les conneries que t’écris! finit-il par articuler.
— Je fais dans le gaulois, pas dans le porno, môme; si la nuance t’échappe, je te l’expliquerai. Quel âge as-tu?
— Bientôt douze balais!
— Et tu lis des insanités pareilles!
— Ben quoi, c’est marrant. Note que je pige pas tout…
— Ah! bon, me rassuré-je. Par exemple, qu’est-ce que tu n’as pas compris?
— Simplement le mot fellation; pour le reste ça a joué.
— Qui t’a prêté ce truc immonde?
— Un type, je te dis. Paraît qu’il est scénarien et il écrit des sujets de films «X». Moi, franchement, je le trouve doué.
— Où l’as-tu connu?
— Place de l’Eglise, là qu’on va jouer avec les copains le mercredi aprème. Il est assis sur un banc. Souvent il nous parle. Moi, il m’a pris à la chouette, c’est à cause qu’il m’a prêté son scénar.
— Il n’a jamais essayé de t’entraîner chez lui… ou ailleurs?
— Non, jamais.
— Il vous parle, mais pour vous dire quoi?
— Il nous demande comment ça marche l’école, si on est forts en dissertes, si on a des bonnes amies et si on les touche; des conversations ordinaires, quoi!
— Et pourquoi t’a-t-il passé ce scénario?
— Pour me montrer le genre de films qu’il écrit.
— Tu dois le lui rendre quand?
— C’t’aprème, puisqu’on est mercredi.
— S’il te proposait d’aller avec lui pour acheter des gâteaux ou je ne sais quoi, tu le suivrais?
Toinet me considère avec commisération.
— T’sais bien que non, Antoine, à force que vous me rabâchiez de jamais suiv’ personne, m’man et toi, ce serait malheureux. Et pourtant, tu vois, c’t’un type sympa; tu le connaîtrais, t’aurais confiance.
— Peut-être, admets-je évasivement.
Pour le connaître, je vais le connaître, ce sale coco!
Je me promets, pour commencer, de lui faire manger ses dents, qu’elles soient vraies ou fausses; ensuite on discutera à baston rompu.
Comme le môme reconnaîtrait ma chignole, je la laisse dans ce que Béru appelle «une rue agaçante», et c’est à pinces que je gagne la place de l’Eglise (en anglais The Church Place).
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