Frédéric Dard - Fais gaffe à tes os

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Fais gaffe à tes os: краткое содержание, описание и аннотация

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Derrière moi, il y a le passage à niveau où l'homme se fit ratatiner par un rapide… Je laisse ma voiture sur le bord du fossé et je me mets en quête du numéro 12… Pas marle à dénicher… C'est une petite construction sans étage, couverte d'ardoise… M'est avis qu'il s'agissait d'un pavillon de chasse situé au fond d'un parc. La voie ferrée a coupé le parc et on a vendu le morcif de terrain avec la masure. Schwob l'a fait réparer, mais il y a un certain temps, car elle n'est plus très fraîche… Les volets sont clos… Dans la lumière blafarde de la lune, ce pavillon a quelque chose d'inquiétant. J'ai comme l'impression de l'avoir déjà vu sur la couverture de
!

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San-Antonio

Fais gaffe à tes os

À Marguerite Desguine,

cette prose à enfermer

dans son armoire à poisons.

Affectueusement

S.-A.
ATTENTION

La persécution étant une maladie au moins aussi répandue que le rhume des foins ou la blennorragie, des dégourdis croient se reconnaître dans mes bouquins et portent le pet .

J’insiste énergiquement sur le fait que mes personnages sont fictifs. Toute ressemblance avec des tordus existants ou ayant existé ne serait, comme dit l’autre, qu’une coïncidence .

S.-A.

Première manche

CHAPITRE PREMIER

Nous nous installons dans la petite salle de projection de la Maison. Il y a une douzaine de fauteuils confortables. L’écran est un tout petit peu plus grand qu’une carte de visite vu le manque de recul.

Le Vieux se tourne vers la cabine de l’opérateur et fait claquer ses doigts noueux.

— Allez ! crie-t-il.

Bérurier, le troisième spectateur, ôte sa godasse gauche parce que c’est une habitude qu’il a contractée depuis ses débuts à la « Circulation ». Dès qu’il s’installe au ciné, il enlève ses pompes pour donner de la liberté à ses cors.

Une odeur de chaussette grimpe mollement jusqu’à nos tarins blasés. Le Vieux pince les lèvres avec écœurement.

Enfin l’obscurité se fait et le film se déroule. On voit un meeting d’avions. La bande n’est pas sonore et si ce n’était l’avant-gardisme des prototypes qui évoluent dans les nuages, on se croirait plongé à l’heureuse époque du muet.

En ce temps-là, lorsqu’on jouait les Croix-de-Bois , y avait un peigne-cul qui imitait le bruit du canon en martyrisant une grosse caisse en bas de l’écran. Des fois, à la quatorzième séance, il s’assoupissait et le coup de ronfionfion venait au moment où le valeureux poilu roulait le patin 14–18 à la Madelon du coin.

L’objectif suit fidèlement les évolutions des zincs, mais, de temps à autre, pique sur la foule afin de capter les réactions des spectateurs. On voit des alignées de frimes attentives. Soudain le Vieux hurle :

— Stop !

La bande se fige sur une image et les gnaces groupés dans le champ restent bouches ouvertes, les lampions écarquillés…

Le Vieux se lève alors. Il tient une longue règle à la main et il s’approche de l’écran. La règle levée projette un trait noir sur la toile. Elle se pose sur une face d’homme.

— Voilà l’homme ! déclare le chef…

Bérurier se dresse pour mieux voir. J’en profite pour filer un coup de savate à son soulier. La godasse va se baguenauder à l’autre bout de la petite pièce.

Je bigle l’écran. L’homme que la règle du Vieux nous désigne est un type de taille moyenne, d’âge moyen, avec un tas de choses moyennes qui sont, si j’ose dire, les caractéristiques du parfait espion.

Le visage est ovale, les cheveux, autant qu’on en puisse juger, sont gris. L’homme porte une moustache fournie, de genre britannique…

Tel un prof faisant une démonstration au tableau noir, le boss commente :

— Un ancien déporté de guerre qui assistait à une séance au cinéma de son quartier a reconnu cet homme. Il est revenu trois fois au cinéma afin d’en avoir le cœur net.

« Enfin, certain qu’il ne se trompait pas, il a écrit à nos services pour nous signaler sa découverte. Nous avons visionné à notre tour la bande d’actualités indiquée et nous avons acquis la certitude que l’ex-déporté ne se trompait pas.

« L’individu que vous voyez ici se nomme Frank Luebig. C’était le bras droit d’Himmler. Ce qu’il a fait durant la guerre lui aurait valu mille fois la potence lors du procès des criminels de guerre allemands. Quelques jours avant l’écroulement de l’Allemagne, il s’est tué — c’est du moins ce qu’on croyait jusqu’à présent — dans un accident d’auto. Sa voiture était tombée dans un ravin et avait pris feu. On avait sorti des décombres des corps carbonisés. À certains objets personnels, on avait cru identifier celui de Luebig. Il faut croire qu’on s’était trompé.

« Le fait que ce malfaiteur de l’humanité (voilà le Vieux qui se gargarise avec ses grandes phrases pêchées dans Qui ? Détective !) soit vivant est déjà inquiétant. Mais le fait qu’il assiste à ce meeting d’aviation du Bourget est alarmant.

Il crie :

— Lumière !

La clarté crue des tubes de néon nous éclate dans la poire. Tous trois nous clignons des yeux. Enfin, nos mirettes s’accommodent de la lumière. Du reste, elles sont conçues pour ça !

Le Vieux nous fixe intensément.

— Le travail que je vais vous confier est délicat, dit-il… Délicat et… difficile… Cette bande filmée a été prise il y a exactement quatorze jours. Il faut coûte que coûte retrouver Luebig ! J’ai fait tirer des photos du personnage d’après ce film. C’est tout ce que j’ai à vous offrir comme base de départ… Ça, et la certitude qu’il y a quatorze jours il se trouvait au Bourget. Vous avez carte blanche !

Bérurier me regarde en faisant une grimace qui ravirait le chef de publicité des pilules Pink. Ensuite de quoi il se met à la recherche de sa godasse.

— En admettant que nous parvenions à le retrouver, commencé-je…

Paroles malheureuses ! Les narines du Vieux se pincent.

— Vous le retrouverez ! promet-il.

Il en a de bonnes, ce grand Chinois vert ! Les lattes sous son burlingue, ça ne lui coûte pas chérot, des présages de cet ordre… Il attend au milieu de sa forêt de téléphones en dessinant des canards à trois pattes sur le buvard de son sous-main ; tu parles, Charles !

— Bon, fais-je tranquillement, vaincu par sa confiance totale. Et après ?

— Après, fait le Vieux, il faudra savoir ce qu’il manigance…

— Et… après, patron ?

Il n’aime pas employer certains mots pénibles…

— Je considère que cet homme a vécu dix ans de trop…

Compris. C’est l’équarrissage qu’il veut, le Vieux… Probable qu’il a des ordres de M. Haut-Lieu !

Bérurier remise ses cors dans sa godasse récupérée.

— Bon, dit-il en soupirant… On va voir s’il y a moyen de moyenner…

— Les photographies ont été agrandies, dit le Vieux… Elles sont à votre disposition au laboratoire…

— Merci…

Il reprend :

— Inutile de faire la tournée des hôtels et autres garnis… J’ai fait présenter l’image par le service spécialisé, personne dans la région parisienne ne se souvient de cette tête…

Décidément, ça promet…

Il nous tend sa main fine, aux ongles ovales.

— À bientôt, et bonne…

Bérurier l’interrompt, débonnaire :

— Prononcez pas le mot, patron, ça porte la cerise…

Le Vieux hausse imperceptiblement les épaules et quitte la salle de projection.

Nous restons seuls, le Gros et moi, devant l’écran d’un blanc laiteux… Ce carré de toile immaculée est l’image même de l’affaire telle qu’elle se présente. Du blanc… Une pâle figure surgie du passé, arrivée du fin fond de l’oubli, y a flotté un instant et s’est anéantie… Ça fait déjà quatorze jours de ça !

Et il faut que nous retrouvions ce visage flou et neutre. Nous avons mission d’arrêter un fantôme…

Je me tourne vers Bérurier. Il a une moue pensive aux lèvres. Son œil globuleux est noyé dans de l’extase. Son nez teinté par le beaujolais remue comme celui d’un lapin.

— Alors, Gros, je murmure, qu’est-ce qu’on raconte de neuf ?

Il soupire :

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