Frédéric Dard - Bosphore et fais reluire

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Bosphore et fais reluire: краткое содержание, описание и аннотация

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Ma Félicie chérie,
Je t'écris d'Istanbul où je vis des choses que tu auras du mal à croire lorsque je te les raconterai. Jamais, de toute ma carrière, je n'aurai eu tant d'ennemis sur le dos à la fois. On peut dire que je bois le calife jusqu'à l'hallali ! Je travaille en « poule » avec Violette, une nouvelle inspectrice « ormée » par le Vieux. Béru a complètement défoncé le fondement d'une employée du consulat. Mathias a les poches bourrées de gadgets qui ridiculiseraient James Bond. Quant à Jérémie Blanc, il devient raciste ! Mais comme dit Violette : « L'un dans l'autre, on s'en sort. » Je ne me souviens pas si, la dernière fois tu m'as fait une blanquette, tu avais bien mis un jaune d'œuf dedans ? Le mieux est que tu m'en refasses une autre quand je rentrerai. En attendant, je Bosphore.
Grosses bises, Ton fils pour la vie.
Antoine.

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San-Antonio

Bosphore et fais reluire

A Christian DOMBRET,

Pour lui dire ma reconnaissance et mon amitié,

SAN-ANTONIO

Quand on dit d'un homme qu'il est expert en la matière, cela ne veut pas fatalement dire qu'il est expert en merde.

Patrice DARD

Il portait un costume gris anthracite, un plastron noir, un col romain, et une croix d’argent épinglée à son revers confirmait ses fonctions ecclésiastiques. Ses cheveux blancs et son embonpoint achevaient de le rendre plus que respectable : intimidant.

Un jeune homme grand et pâle l’accompagnait, qui coltinait son sac de cuir à soufflets, car le vieux religieux se déplaçait en s’aidant d’une canne à pommeau d’argent. Le jeune secrétaire était vêtu d’un pantalon sombre et d’un blazer noir dépourvu de tout écusson ou bouton fantaisie. Ses lunettes cerclées d’acier renforçaient son aspect « rat de bibliothèque mal portant ».

Ils descendirent le large escalier roulant, l’un — derrière l’autre. Campé au sommet de l’escalator, le religieux dégageait une espèce de souveraineté impressionnante. Il promenait sur la foule des voyageurs un regard intense, s’appliquant à ne pas perdre de vue un élégant quadragénaire en pardessus de vigogne dont, quelques minutes plus tôt, la délicate eau de toilette avait, au passage, charmé ses narines. Malgré son état qui invitait au renoncement, il était sensible aux parfums de qualité et il lui arrivait de s’attarder sur les pas d’une jolie femme pour savourer les fragrances qu’elle répandait.

Au bas de l’escalier, s’offrait un tapis roulant permettant de parcourir sans se fatiguer l’interminable couloir conduisant aux satellites d’embarquement. Les deux hommes l’empruntèrent, mais marchèrent un peu pour activer leur déplacement, ce qui leur permit de recoller à l’homme qui les intéressait.

Lorsqu’ils furent sur ses talons, le jeune secrétaire doubla le religieux, puis le quadragénaire au somptueux pardessus. Au passage, il lui administra, comme par mégarde, un coup de sac dans la pliure du genou. Le voyageur tourna la tête et son expression mécontente intimida le garçon.

— Pardonnez-moi, fit celui-ci, très vite.

Il pressa le pas et sa rapidité conjuguée à celle du tapis le happa littéralement pour l’emporter loin de l’homme.

Ce dernier tenait sa jambe endolorie légèrement relevée. Il se massait non pas le jarret, mais le talon, au-dessus de son mocassin italien. En même temps que le choc causé par le sac ventru, il avait ressenti une piqûre dans cette région du pied.

L’ecclésiastique le doubla à son tour sans le regarder. L’homme se frotta encore un peu, puis laissa retomber sa jambe. Un petit garçon turbulent s’amusait à prendre le tapis à contre-courant malgré les admonestations de sa mère. Comme il parvenait à la hauteur de l’homme au pardessus de vigogne, il dut stopper car ce dernier venait de s’écrouler sur les lamelles d’acier du tapis. L’appareil emporta son corps vers son estuaire. La tête calamistrée du mort frottait contre la paroi, ce qui la faisait osciller de façon déplaisante.

Le religieux et son secrétaire arrivaient à l’extrémité du chemin mécanique. Ils obliquèrent vers le couloir de gauche pour gagner la porte 44 qui permettait d’accéder à la salle d’embarquement de l’avion pour Istanbul.

VIANDE FROIDE

Le docteur Chaudelance se redressa et nous tendit sa main gantée de caoutchouc vert. L’extrémité des doigts était maculée de sang. Il réalisa la chose et corrigea son geste en arrachant le gant d’un claquement sec qui fit songer à une détonation. Nous pressâmes sans enthousiasme excessif sa dextre dénudée qui venait de barboter, louche canard sanieux, dans des entrailles froides.

— Mes respects, monsieur le directeur, fit-il au Vieux.

Achille au nez léger tenait sa fine pochette de soie plaquée sur ses voies respiratoires. Il considérait le mort avec écœurement et rancune.

— Superbe cadavre ! exulta Chaudelance. Voilà un homme qui cultivait sa forme. Vous avez vu ces muscles ? Une statue d’Apollon ! Pas un pouce de graisse. Son foie est impeccable : on en mangerait ! Le cœur était fait pour fonctionner un demi-siècle encore. Et les poumons, dites ! Ça c’est du poumon ! Ce bonhomme n’a jamais fumé ; pas le plus léger brouillard.

— Bref, conclus-je, c’est un mort pétant de santé que vous tailladez, docteur !

— Exactement ! approuva le légiste.

Il était tout rond, tout chauve, tout content de vivre en explorant de la barbaque d’homme. Il raffolait des liqueurs ; tu pouvais pas lui être plus agréable qu’en lui offrant une grande bouteille de Cointreau [1] Publicité gratuite. .

Le Dabe retira un court instant sa pochette pour demander :

— Les causes du décès, docteur ?

— Injection massive de cyanure.

— Où ça ?

— A deux centimètres du talon d’Achille, répondit Chaudelance en souriant. Vous vous rappelez « le coup du parapluie » à Londres ? Et ensuite ce film de Gérard Oury qui s’en inspirait ? Eh bien, ça !

Il revint à son patient :

— Belle gueule, n’est-ce pas ?

— Il pouvait ! grommela le Vieux : un cousin de la famille royale d’Angleterre, merci du peu !

Pour cette baderne bourgeoise, tout individu qui charriait du bang bleu dans ses veines était automatiquement beau comme un dieu grec, eût-il le nez camard, les pieds bots, une cyphose plus marquée que celle de Quasimodo et des bubons plein la frite.

J’interviens, très flic :

— Quelque chose à signaler, docteur ? Une particularité physique, voire une anomalie ?

— Je la gardais pour la bonne bouche, fait Chaudelance, car elle est de taille !

Je frétille des roustons.

Le Vénérable a remis son tampon de soie sous son rabouif. Il attend, glacé.

Le légiste se penche. Sous la table de dissection, il y a une tablette de verre supportant ses instruments. Il se saisit d’une petite cuvette émaillée. Dans celle-ci se trouve une espèce de capsule de la dimension d’un cocon de ver à soie. L’objet est plus ou moins souillé de matière brunâtre.

— J’ai trouvé cette chose dans l’intestin du cousin, déclare-t-il, toujours rigolard. Je crois qu’il s’agit d’un étui en fibre de verre.

Il présente la cuvette à Chilou.

— Prenez, monsieur le directeur.

Tu verrais sa frime, au Dabuche ! Sûr qu’il va gerber !

Il se recule, apeuré, comme si cent un dalmachiens lui montraient leurs crocs.

— Occupez-vous de « ça », San-Antonio !

San-Antonio se saisit de la cuvette et examine désespérément la pièce de dissection carrelée. J’aperçois ce qu’il me faut : un évier. Je vais ouvrir le robinoche d’eau chaude et présente la cuvette sous le jet impétueux. Au bout d’un moment, je collecte plusieurs feuilles de papelard à vaisselle à un rouleau opportun et nettoie la capsule. N’ensuite je glisse la trouvaille du doc dans le compartiment monnaie de mon larfouillet.

Le Dirlo se trouve maintenant à bonne distance du cadavre.

— Vous pouvez « me » le recoudre proprement ? fait-il à Chaudelance.

— Je ne lui ai pas encore scié le crâne, objecte le légiste.

— Gardez-vous-en bien, malheureux ! J’ai reçu des instructions, en haut lieu : on va le rapatrier en Angleterre après l’avoir rendu le plus pimpant possible. Pas de vagues ! Aux Affaires étrangères, on exige un maximum de discrétion. Officiellement, Lord Kouettmoll est décédé d’une rupture d’anévrisme, tout comme notre fabuleux De Gaulle. Je vais prévenir l’ambassade de Grande-Bretagne de ce regrettable incident. Si j’avais appris plus tôt l’identité de la victime, j’aurais interdit qu’on pratique l’autopsie. Grâce au ciel, vous n’avez pas commencé par la tête !

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