Depuis cet incident, je suis presque devenu allergique quand des gens viennent nous voir avec une chèvre dans le coffre de leur voiture pour la faire saillir, parce que les particuliers ne sont pas obligés de faire faire des prélèvements de sang sur leurs animaux, seulement les paysans ! De ce fait, les épizooties se limitent souvent à de tels animaux. Deux fois j’ai trouvé une chèvre étrangère au milieu de notre troupeau. Les propriétaires l’avaient simplement lâchée parce qu’ils n’avaient trouvé personne à la ferme et ils sont repartis. Plus tard, ils ont passé un coup de fil pour dire qu’ils récupéreraient la chèvre dans quelques jours, une fois pleine. J’ai insisté pour qu’ils viennent tout de suite la récupérer, et j’ai menacé de la chasser dans les bois. « On te paiera la saillie, si c’est pour ça! » Mais je ne m’intéresse pas aux 10 Francs, mais à la santé de nos animaux, à notre propre survie !
Le printemps est là. Pour le premier mai un marché au ‘muguet’ est prévu à Castillon. Doris finit l’étable, je pars pour trouver une place.
Dans la rue principale où le marché a lieu, c’est chaotique. Des camionnettes sont garées en plein milieu de la rue parce que les commerçants montent leurs stands. D’autres véhicules veulent passer. Il me semble que je suis un des derniers. Je trouve un trou d’à peine 2 mètres, où je dépose juste mes affaires pour garer la voiture quelque part. Puis je commence à monter mon stand. « Qu’est-ce que tu vends ? », veulent savoir les voisins les plus proches. D’une certaine manière, je ressens qu’ils sont méfiants, jaloux de tout nouveau concurrent. Je réponds : « Du fromage et du miel ! » « C’est parfait ! Je vends du pain, je m’appelle René ! » L’autre voisin vend des légumes, alors ils n’ont rien contre moi.
En passant, j’ai déjà aperçu quelles autres marchandises sont étalées. En fait, il y a plein de nourritures différentes, et il y a plusieurs stands de fromages. Au début du marché se sont installés les quincailliers ainsi qu’à l’autre bout de la place, au-dessus de l’école, où sont attachés des animaux. Et pour le reste, des stands colorés de marchands de vêtements, entre autres avec des saris et d’autres vêtements indiens. Nos amis Emil et Rosa ont également trouvé un petit endroit où ils proposent des produits portugais bon marché, des chaussures faites avec des semelles en pneus de voiture, des sacs en cuir, et des restes du stock venant de leur ancienne boutique à Lindau. Je leur dis bonjour en passant.
Puis je commence à ériger le stand. J’ai trouvé deux tréteaux en bois pliables comme base, puis j’ai mis des planches de 2 mètres de la cave, dessus une nappe cirée sur laquelle sont posés les fromages, la moitié recouverte d’un torchon à carreaux. En tout cas ça a l’air rustique ! A côté, je pose les pots de miel sans les empiler parce que la route est inclinée, et j’ai peur qu’ils ne tombent. J’ai remarqué un autre apiculteur qui a empilé ses pots en pyramides. Il a bien calé son stand. C’est un peu osé, mais je dois admettre que ça attire le regard des clients ! Mais si quelqu’un le heurte… Un peu derrière nos pots de miel, je pose le petit panneau en bois avec notre adresse. La balance à côté. Derrière celle-ci, je pose la caisse. J’ai pris l’habitude de ne pas la fermer à clé sur le stand, car ainsi, si quelqu’un la saisit pour la prendre, elle s’ouvre, faisant tomber l’argent. Derrière la pile de fromages, il y a une planche de cuisine et un long couteau pour couper le fromage et une pile de papier parchemin pour l’emballer. J’ai un parasol rond que je pose un peu sur le côté pour empêcher le soleil de chauffer le fromage. A celui-ci j’accroche un cadre avec une douzaine de photos de notre ferme. Ce sont elles qui attirent le plus l’attention des passants et même des commerçants.
Je coupe un fromage en deux et le pose de façon à ce que les passants puissent bien voir comment est l’intérieur. Je coupe une tranche épaisse de l’autre moitié, la débite en bandes que je pose sur une feuille de papier. Avec ça, je vais chez les voisins et je leur offre une petite collation. Ça détend en quelque sorte l’atmosphère qui était un peu tendue, on parle, on me propose des fruits ou une dégustation de leurs produits. En tout cas, c’est encore bien calme, il n’y a pas beaucoup de clients devant les stands qui se suivent très serrés d’un bout à l’autre de la rue. Mais c’est comme ça sur tous les marchés. Les commerçants arrivent bien trop tôt, certains dorment même la nuit dans leur camionnette pour avoir les meilleures places ou attraper les premiers clients…
Quelqu’un d’un stand de vin débouche une bouteille, d’autres coupent un pain ou une saucisse, et avec mon fromage, cela fait un petit déjeuner joyeux. En même temps, j’essaye de voir les prix du fromage et du miel, mais je n’ai pas trouvé beaucoup d’informations. Tout le monde semble attendre que l’autre fixe d’abord son prix afin de pouvoir s’aligner. J’ai un peu le trac, car des marchés, je n’en ai quasiment jamais fait jusqu’à présent, plutôt du porte à porte, où, au plus tard à la deuxième tournée, on connaît l’acheteur.
Lentement, je reviens vers mon stand par l’autre côté de la rue. J’observe le comportement des marchands. L’un d’eux se mouche avec les doigts dans le caniveau et puis s’essuie la main sur son pantalon. S’il vendait des plantes vertes, ça leur ferait de l’engrais. Un autre se touche les couilles pour la troisième fois ou se cure le nez avec son pouce. D’autres fument une cigarette. C’est bizarre ce qu’on fait quand on n’a pas de clients devant son stand ! Je décide de rester vigilant pour ne pas devenir pareil, car cela peut avoir pour effet que le client passe son chemin ! Même si quelqu’un est assis derrière son stand ou discute avec d’autres, certains clients ne semblent pas vouloir déranger et continuent. Le pire c’est quand certains commerçants passent la matinée au bistro et que leur stand reste inoccupé. Mais leurs clients connaissent généralement leur bar habituel, ou s’y trouvent déjà…
Notre petit stand
J’examine également de plus près les différents systèmes des stands. Il y a les plus simples, disons sans système, quelques caisses ou cageots vides avec des planches sur lesquelles les jardiniers proposent leurs marchandises, jusqu’à la remorque que l’on n’a qu’à ouvrir, et où tout est déjà en place. Un vendeur de vêtements s’est servi d’une sorte de base en tubes carrés en harmonica sur laquelle il a déroulé un treillis en lattes. La plupart d’entre eux utilisent des tréteaux de découpe de papier peint avec des panneaux de contreplaqué dessus. Le plus important, c’est que ça rentre dans le véhicule. Les stands qui sont fermés avec une bâche à l’avant me semblent les plus beaux, parfois avec une image ou une inscription dessus, qui masque ainsi les caisses placées derrière. C’est ce qui me donne de nouvelles idées pour améliorer et surtout pour embellir notre propre étal, parce que les beaux stands, tout comme les plus laids, sautent immédiatement à l’œil !
J’ai apporté un fauteuil de camping où je me mets à l’aise en attendant la suite. Et le premier qui arrive est le placier, le garde champêtre, comme il se présente. Il veut savoir si je suis inscrit au marché. Bien sûr que non. Comment aurais-je pu le savoir ? Et comme je l’apprends des autres commerçants, eux aussi sont venus comme ça, partout il est affiché qu’aujourd’hui c’est le grand marché ! Quand il me dit que dans ce cas, je dois remballer mon stand, je monte un peu le ton. Tout de suite les voisins viennent à mon secours en lui expliquant que sur un marché chacun a le droit de s’installer ! Intimidé, il me demande la longueur de mon stand et me fait payer 20 Francs. Puis il part encaisser les autres. « Tu n’es pas d’ici ? », me demande l’un des commerçants. « Si ! », et je pointe du doigt mon panneau en bois ‘Aurein’ ! « L’escroc ! Il le sait bien que ceux du canton ne payent pas pour leur stand, et il te fait payer quand même ! »
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