Quoique ce spectacle ne lui fût pas nouveau dans sa longue carrière, ce n’en était pas moins chaque fois, pour le vieux loup, un nouvel étonnement. La louve le regardait avec inquiétude et ne perdait de vue aucun de ses mouvements. Elle grondait sourdement à tout moment, haussant le ton dès qu’il faisait mine d’avancer. Bien que pareille aventure ne lui fût jamais advenue, son instinct, qui était fait de la mémoire commune de toutes les mères-loups et de leur successive expérience, lui avait enseigné qu’il y avait des pères-loups qui se repaissaient de leur impuissante progéniture et dévoraient leurs nouveaux-nés. C’est pourquoi elle interdisait à Un-Œil d’examiner de trop près les louveteaux.
À l’instinct ancestral de la mère-loup en correspondait un autre chez le vieux loup, qui était commun à tous les pères-loups. C’était qu’il devait incontinent, et sans se fâcher, tourner le dos à sa jeune famille et aller quérir là où il le fallait la chair nécessaire à sa propre subsistance et à celle de sa compagne.
Il trotta, trotta, jusqu’à cinq ou six milles de la tanière, sans rien rencontrer. Là, le torrent se divisait en plusieurs branches qui remontaient vers la montagne. Il tomba sur une trace fraîche, la flaira et, l’ayant trouvée tout à fait récente, il la suivit aussitôt, s’attendant à voir paraître d’un instant à l’autre l’animal qui l’avait laissée. Mais il observa bientôt que les pattes marquées étaient de beaucoup plus larges que les siennes et il estima qu’il ne tirerait rien de bon du conflit.
Un demi-mille plus loin, un bruit de dents qui rongeaient parvint à l’ouïe fine de ses oreilles. Il avança et découvrit un porc-épic debout contre un arbre et faisant sa mâchoire sur l’écorce. Un-Œil approcha avec prudence, mais sans grand espoir. Il connaissait ce genre d’animaux, quoiqu’il n’en eût pas encore rencontré de spécimens si haut dans le Nord et jamais, au cours de sa vie, un porc-épic ne lui avait servi de nourriture. Cependant, il savait aussi que la chance et l’opportunité du moment jouent leur rôle dans l’existence. Personne ne peut dire exactement ce qui doit arriver, car avec les choses vivantes l’imprévu est de règle. Il continua donc à avancer.
Le porc-épic se mit rapidement en boule, faisant rayonner dans toutes les directions ses longues aiguilles, dures et aiguës, qui défiaient une quelconque attaque. Le vieux loup avait une fois, dans sa jeunesse, reniflé de trop près une boule semblable, en apparence inerte. Il en avait soudain reçu sur la face un coup de queue bien appliqué qui lui avait planté dans le nez un dard tellement bien enfoncé qu’il l’avait promené avec lui pendant des semaines.
Une inflammation douloureuse en était résultée et il n’avait été délivré que le jour où le dard était tombé de lui-même.
Il se coucha sur le sol et attendit, confortablement étendu à proximité du porc-épic, mais hors de la portée de sa queue redoutable. Sans doute la bête finirait-elle par se dérouler et, saisissant l’instant propice, il lui lancerait un coup de griffe coupant dans le ventre tendre et désarmé.
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