LES TEMPS DIFFICILES Charles Dickens LES TEMPS DIFFICILES Édition intégrale
CHAPITRE PREMIER. La seule chose nécessaire. CHAPITRE PREMIER. La seule chose nécessaire. « Or, ce que je veux, ce sont des faits. Enseignez des faits à ces garçons et à ces filles, rien que des faits. Les faits sont la seule chose dont on ait besoin ici-bas. Ne plantez pas autre chose et déracinez-moi tout le reste. Ce n’est qu’au moyen des faits qu’on forme l’esprit d’un animal qui raisonne : le reste ne lui servira jamais de rien. C’est d’après ce principe que j’élève mes propres enfants, et c’est d’après ce principe que j’élève les enfants que voilà. Attachez-vous aux faits, monsieur ! » La scène se passe dans une salle d’école nue, monotone et sépulcrale, et le petit doigt carré de l’orateur donnait de l’énergie à ses observations en soulignant chaque sentence sur la manche du maître d’école. L’énergie était encore augmentée par le front imposant de l’orateur, mur carré qui avait les sourcils pour base, tandis que les yeux trouvaient un logement commode dans deux caves obscures, ombragées par le mur en question ; l’énergie était encore augmentée par la bouche large, mince et sévère de l’orateur ; l’énergie était encore augmentée par le ton inflexible, dur et dictatorial de l’orateur ; l’énergie était encore augmentée par les cheveux de l’orateur, lesquels se hérissaient sur les côtés de sa tête chauve, ainsi qu’une plantation de pins destinée à préserver du vent la surface luisante du crâne, couverte d’autant de bosses que la croûte d’un chausson de pommes, comme si cette tête eût à peine trouvé assez de place dans ses magasins pour loger tous les faits solides entassés à l’intérieur. L’allure obstinée, l’habit carré, les jambes carrées, les épaules carrée de l’orateur, voire même sa cravate, dressée à le prendre à la gorge avec une étreinte peu accommodante, comme un fait opiniâtre, tout contribuait à augmenter encore l’énergie. « Dans cette vie, nous n’avons besoin que de faits, monsieur, rien que de faits ! » L’orateur et le maître d’école, et le troisième personnage adulte qui se trouvait en scène, reculèrent un peu pour mieux envelopper dans un coup d’œil rapide le plan incliné où l’on voyait rangés en ordre les petits vases humains dans lesquels il n’y avait plus qu’à verser des faits jusqu’à ce qu’ils en fussent remplis à pleins bords.
CHAPITRE II. Le massacre des innocents.
CHAPITRE III. Une crevasse.
CHAPITRE IV. Monsieur Bounderby.
CHAPITRE V. La tonique.
CHAPITRE VI. le cirque de Sleary.
CHAPITRE VII. Madame Sparsit.
CHAPITRE VIII. Il ne faut jamais s’étonner.
CHAPITRE IX. Les progrès de Sissy.
CHAPITRE X. Étienne Blackpool.
CHAPITRE XI. Pas moyen d’en sortir.
CHAPITRE XII. La vieille.
CHAPITRE XIII. Rachel.
CHAPITRE XIV. Le grand manufacturier.
CHAPITRE XV. Père et fille.
CHAPITRE XVI. Mari et femme.
CHAPITRE XVII. Effets dans la banque.
CHAPITRE XVIII. M. James Harthouse.
CHAPITRE XIX. Le Roquet.
CHAPITRE XX. Les frères et amis.
CHAPITRE XXI. Ouvriers et maîtres.
CHAPITRE XXII. La disparition.
CHAPITRE XXIII. Poudre à canon.
CHAPITRE XXIV. Explosion.
CHAPITRE XXV. Pour en finir.
CHAPITRE XXVI. L’escalier de madame Sparsit.
CHAPITRE XXVII. Plus bas, toujours plus bas.
CHAPITRE XXVIII. La culbute.
CHAPITRE XXIX. Il fallait encore autre chose.
CHAPITRE XXX. Très-ridicule.
CHAPITRE XXXI. Très-décisif.
CHAPITRE XXXII. Perdu.
CHAPITRE XXXIII. Retrouvé.
CHAPITRE XXXIV. Clair de lune.
CHAPITRE XXXV. Chasse au roquet.
CHAPITRE XXXVI. Philosophique.
CHAPITRE XXXVII. Final.
Charles Dickens
LES TEMPS DIFFICILES
Édition intégrale
CHAPITRE PREMIER.
La seule chose nécessaire.
« Or, ce que je veux, ce sont des faits. Enseignez des faits à ces garçons et à ces filles, rien que des faits. Les faits sont la seule chose dont on ait besoin ici-bas. Ne plantez pas autre chose et déracinez-moi tout le reste. Ce n’est qu’au moyen des faits qu’on forme l’esprit d’un animal qui raisonne : le reste ne lui servira jamais de rien. C’est d’après ce principe que j’élève mes propres enfants, et c’est d’après ce principe que j’élève les enfants que voilà. Attachez-vous aux faits, monsieur ! »
La scène se passe dans une salle d’école nue, monotone et sépulcrale, et le petit doigt carré de l’orateur donnait de l’énergie à ses observations en soulignant chaque sentence sur la manche du maître d’école. L’énergie était encore augmentée par le front imposant de l’orateur, mur carré qui avait les sourcils pour base, tandis que les yeux trouvaient un logement commode dans deux caves obscures, ombragées par le mur en question ; l’énergie était encore augmentée par la bouche large, mince et sévère de l’orateur ; l’énergie était encore augmentée par le ton inflexible, dur et dictatorial de l’orateur ; l’énergie était encore augmentée par les cheveux de l’orateur, lesquels se hérissaient sur les côtés de sa tête chauve, ainsi qu’une plantation de pins destinée à préserver du vent la surface luisante du crâne, couverte d’autant de bosses que la croûte d’un chausson de pommes, comme si cette tête eût à peine trouvé assez de place dans ses magasins pour loger tous les faits solides entassés à l’intérieur. L’allure obstinée, l’habit carré, les jambes carrées, les épaules carrée de l’orateur, voire même sa cravate, dressée à le prendre à la gorge avec une étreinte peu accommodante, comme un fait opiniâtre, tout contribuait à augmenter encore l’énergie.
« Dans cette vie, nous n’avons besoin que de faits, monsieur, rien que de faits ! »
L’orateur et le maître d’école, et le troisième personnage adulte qui se trouvait en scène, reculèrent un peu pour mieux envelopper dans un coup d’œil rapide le plan incliné où l’on voyait rangés en ordre les petits vases humains dans lesquels il n’y avait plus qu’à verser des faits jusqu’à ce qu’ils en fussent remplis à pleins bords.
CHAPITRE II.
Le massacre des innocents.
« Thomas Gradgrind, monsieur ! L’homme des réalités ; l’homme des faits et des calculs ; l’homme qui procède d’après le principe que deux et deux font quatre et rien de plus, et qu’aucun raisonnement n’amènera jamais à concéder une fraction en sus ; Tho – mas Gradgrind, monsieur (appuyez sur le nom de baptême Thomas), Tho – mas Gradgrind ! Avec une règle et des balances, et une table de multiplication dans la poche, monsieur, toujours prêt à peser ou à mesurer le premier colis humain venu, et à vous en donner exactement la jauge. Simple question de chiffres que cela, simple opération arithmétique ! Vous pourriez vous flatter de faire entrer quelque absurdité contraire dans la tête d’un Georges Gradgrind, ou d’un Auguste Gradgrind, ou d’un John Gradgrind, ou d’un Joseph Gradgrind (tous personnages fictifs qui n’ont pas d’existence), mais non pas dans celle de Thomas Gradgrind ; non, non, monsieur, impossible ! »
C’est en ces termes que M. Gradgrind ne manquait jamais de se présenter mentalement, soit au cercle de ses connaissances intimes, soit au public en général. C’est en ces termes aussi que Thomas Gradgrind, remplaçant seulement par les mots filles et garçons celui de monsieur, vient de se présenter lui-même, Thomas Gradgrind, aux petites cruches alignées devant lui pour être remplies de faits jusqu’au goulot.
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