Jane Austen - Emma (Édition intégrale)

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Emma Woodhouse a vingt-et-un ans. Elle habite la belle demeure de Hartfield, près du gros bourg de Highbury, avec son père âgé, hypocondriaque et veuf, entourée d'amis fidèles, tel Mr Knightley, son beau-frère, propriétaire du riche domaine voisin de Donwell Abbey. Son ancienne gouvernante, Miss Taylor, vient d'épouser un veuf fortuné, Mr Weston, dont le fils a été adopté tout jeune par son oncle et sa tante, les Churchill, avec qui il vit à Enscombe, dans le Yorkshire. Emma, persuadée d'être à l'origine du mariage de Miss Taylor, et d'avoir des talents d'entremetteuse, décide alors, pour occuper sa solitude, de faire épouser la jeune et jolie Harriet Smith, dont elle s'est entichée, par Mr Elton, le vicaire de Highbury.

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Table des matières

Emma Jane Austen Emma

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

Chapitre 27

Chapitre 28

Chapitre 29

Chapitre 30

Chapitre 31

Chapitre 32

Chapitre 33

Chapitre 34

Chapitre 35

Chapitre 36

Chapitre 37

Chapitre 38

Chapitre 39

Chapitre 40

Chapitre 41

Chapitre 42

Chapitre 43

Chapitre 44

Chapitre 45

Chapitre 46

Chapitre 47

Chapitre 48

Chapitre 49

Chapitre 50

Chapitre 51

Chapitre 52

Chapitre 53

Chapitre 54

Jane Austen

Emma

Chapitre 1

Emma Woodhouse, belle, intelligente, douée d’un heureux naturel, disposant de larges revenus, semblait réunir sur sa tête les meilleurs dons de l’existence ; elle allait atteindre sa vingt et unième année sans qu’une souffrance même légère l’eût effleurée.

Fille cadette d’un père très affectueux et indulgent, elle s’était trouvée de bonne heure, à la suite du mariage de sa sœur aînée, investie du rôle de maîtresse de maison. Encore en bas âge elle avait perdu sa mère et ne conservait d’elle qu’un souvenir indistinct de lointaines caresses ; la place de Mme Woodhouse fut occupée par une gouvernante qui avait entouré l’enfant d’une affection quasi maternelle.

Mlle Taylor était restée seize ans dans la maison de M. Woodhouse, moins en qualité d’institutrice que d’amie ; très attachée aux deux jeunes filles, elle chérissait particulièrement Emma. Avant même que Mlle Taylor eût cessé de tenir officiellement le rôle de gouvernante, la douceur de son caractère lui permettait difficilement d’inspirer quelque contrainte ; cette ombre d’autorité s’était vite évanouie et les deux femmes vivaient depuis longtemps sur un pied d’égalité. Tout en ayant une grande considération pour le jugement de Mlle Taylor, Emma se reposait exclusivement sur le sien ! Les seuls écueils de la situation de la jeune fille étaient précisément l’absence de toute influence et de tout frein, et une prédisposition à avoir une confiance excessive en soi-même. Néanmoins, pour l’instant, elle n’avait aucunement conscience des désavantages qui menaçaient de ternir un jour son bonheur.

Le chagrin arriva sous une forme plutôt bénigne : Mlle Taylor se maria. Pour la première fois, le jour du mariage de son amie bien-aimée, Emma fut assaillie de pensées tristes de quelque durée. La cérémonie terminée et les invités partis, son père et elle demeurèrent seuls, sans la perspective d’un tiers pour égayer la longue soirée. M. Woodhouse s’assoupit après le dîner, comme d’habitude, et Emma put mesurer l’étendue de son isolement. Elle évoquait ces seize années d’infatigable affection : elle pensait avec tendresse à celle qui avait dirigé ses jeux et ses études, apportant autant d’ardeur à l’amuser qu’à l’instruire, et qui l’avait soignée avec un dévouement absolu pendant les diverses maladies de l’enfance. De ce fait, elle avait contracté vis-à-vis de Mlle Taylor une grande dette de reconnaissance ; mais Emma conservait de la période de parfaite confiance qui avait succédé, un souvenir encore plus doux.

Elle se demanda comment elle supporterait ce changement ? Malgré tous ses avantages personnels et sa situation, elle allait se trouver isolée intellectuellement ; son père en effet ne pouvait la suivre sur le terrain d’une conversation sérieuse ou enjouée ; la grande disproportion de leurs âges (M. Woodhouse ne s’était pas marié jeune) se trouvait augmentée par la suite de la constitution et des habitudes de ce dernier ; dénué d’activité physique et morale, il paraissait plus vieux qu’il ne l’était ; tout le monde l’aimait pour la bonté de son cœur et son aimable caractère, mais en aucun temps il n’avait brillé par son esprit.

La sœur d’Emma habitait Londres depuis son mariage, c’est-à-dire, en réalité, à peu de distance ; elle se trouvait néanmoins hors de sa portée journalière, et bien des longues soirées d’automne devraient être passées solitairement à Hartfield avant que Noël n’amenât la visite d’Isabelle et de son mari.

La petite ville d’Highbury dont Hartfield, malgré ses communaux, ses bois et son nom, dépendait en réalité, ne pouvait fournir à Emma aucune relation de son bord. Les Woodhouse étaient les gens importants de l’endroit ; Emma avait de nombreuses connaissances car son père était poli avec tout le monde mais il n’y avait personne qui fût en situation de devenir pour elle une amie. En conséquence elle appréciait à sa valeur la perte qu’elle venait de faire ; ses pensées étaient tristes mais elle prit l’air gai dès que son père se réveilla ; c’était un homme nerveux, facilement déprimé, très attaché à tous ceux qui l’entouraient, il détestait toute espèce de changement et nourrissait une aversion particulière pour le mariage – origine et principe de bouleversement dans la famille – ; il n’avait pas encore pris son parti de celui de sa fille aînée et continuait à parler d’elle avec un ton d’extrême compassion.

Dans le cas présent, son aimable égoïsme et son incapacité d’imaginer chez les autres des sentiments différents des siens le prédisposaient à juger que Mlle Taylor avait agi contre ses propres intérêts aussi bien que contre ceux de ses amis ; il ne doutait pas qu’elle n’eût été plus heureuse en restant à Hartfield.

Emma lui sourit et se mit à causer avec animation pour éviter qu’il ne pensât à ces pénibles conjonctures ; néanmoins, quand on servit le thé, il répéta exactement ce qu’il avait dit au dîner : « Pauvre Mlle Taylor ! Que n’est-elle encore avec nous ! Quel malheur que M. Weston ait pensé à elle !

— Il m’est impossible, papa, de partager votre avis, M. Weston est un si aimable, si excellent homme qu’il méritait bien de trouver une femme accomplie ; et vous ne pouviez pas souhaiter que Mlle Taylor demeurât avec nous toute sa vie à supporter mes caprices alors qu’il lui était loisible de posséder une maison à elle ?

— Une maison à elle ! Quel avantage y voyez-vous ? Celle-ci n’est-elle pas trois fois plus grande, et vous n’avez jamais de caprices, ma chère.

— Nous irons les voir très souvent et de leur côté, ils viendront continuellement à Hartfield ; nous ne tarderons pas à leur faire la première visite.

— Ma chère, comment voulez-vous que j’arrive jusque-là ? Randalls est à une telle distance ! Je ne puis marcher si longtemps.

— Aussi papa, n’est-il pas question que vous alliez à pied. Nous irons en voiture, naturellement.

— En voiture ! Mais James n’aimera pas atteler pour si peu ; et les pauvres chevaux, que deviendront-ils pendant que nous ferons notre visite ?

— On les mettra dans l’écurie de M. Weston : c’est une affaire entendue. Quant à James vous pouvez être sûr qu’il sera toujours enchanté d’aller à Randalls où sa fille est femme de chambre. J’appréhende même qu’il ne consente plus désormais à nous conduire ailleurs ! C’est vous, papa, qui avez eu la pensée de proposer Anna pour cette bonne place.

— James vous en est si reconnaissant ! Je suis sûr qu’elle deviendra une excellente domestique : c’est une fille polie, de bonnes manières ; chaque fois que je la rencontre elle me tire la révérence et me demande très gracieusement de mes nouvelles. Quand vous l’avez fait venir ici pour travailler, j’ai remarqué qu’elle ouvrait toujours la porte avec précaution et qu’elle prenait soin de la soutenir en la fermant. Ce sera une consolation pour cette pauvre Mlle Taylor d’avoir auprès d’elle un visage familier. Chaque fois que James ira voir sa fille, il donnera de nos nouvelles.

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