Il arrive sans prévenir. Impitoyable et féroce.
Au creux de son ventre, dans chacun de ses muscles, chaque filament de sa chair.
La soif.
La faim.
Le manque.
Maud prépare une ligne d’héroïne sur le petit miroir. Avant de la sniffer, elle voit son visage se refléter autour de la poudre.
À cet instant précis, elle sait qu’elle est condamnée.
À cet instant précis, elle se déteste.
Comme jamais elle n’a détesté personne.
— C’est moi, dit Reynier.
— Salut, répond Charlotte.
— Comment tu vas ?
— Très bien… Je viens de finir de déjeuner, je suis au bord de la piscine.
— Eh bien moi j’attaque ma journée ! se lamente Armand.
— Tu n’avais qu’à venir avec moi, rétorque sa femme d’un ton cinglant.
— C’était impossible, tu le sais bien ! Avec tout ce qui se passe ici…
— Il s’est manifesté ?
Reynier avale une gorgée de café avant de répondre.
— Oui. Il m’a même tiré dessus…
— Tiré dessus ?
— Je ne suis pas blessé, mais je t’avoue que j’ai eu la trouille de ma vie !
— Ça s’est passé comment ?
— J’étais en voiture, il a tiré au travers du pare-brise. Mais il a juste voulu me faire peur, m’intimider. Et hier matin, il m’a appelé pour me demander du fric…
— Un maître chanteur ?
— Apparemment.
— Combien veut-il ?
— À quoi bon… ?
— Combien ? répète-t-elle.
— Deux cent cinquante mille. Pour nous foutre la paix.
— Espérons-le, répond Charlotte d’un air légèrement détaché.
Comme si tout cela ne la concernait plus.
— Ce soir, je vais récupérer l’argent à la banque et Luc m’accompagne. Il doit passer me chercher à la clinique vers seize heures.
— Pourquoi vient-il avec toi ? s’étonne Charlotte.
— Il dit que c’est risqué de se balader seul avec une telle somme.
— Il est sensé, ce garçon ! C’est vrai que si tu te faisais piquer l’argent avant même de le lui avoir donné, ce serait vraiment con… Et ensuite ?
— Ensuite, j’attends qu’il m’appelle pour me fixer un rendez-vous. Bon, faut que je te laisse, j’ai une intervention. Profite bien de ta journée. Je t’embrasse.
— Moi aussi.
— Et… j’ai hâte que tu rentres.
Charlotte raccroche sans ajouter un mot.
* * *
Luc se sert un deuxième café, tandis qu’Amanda prépare une liste de courses qu’elle fera livrer dans l’après-midi.
— Tu as besoin de quelque chose ? demande-t-elle.
— Ton joli petit cul m’irait très bien, répond Luc d’un air très sérieux.
Amanda se retourne et lui offre un sourire flatté.
— Désolée, mais va falloir que tu t’en passes.
— Il t’a fait chier ?
Elle hausse les épaules.
— Il paraît qu’on n’est pas dans un bordel , ici ! fait la gouvernante en mimant son patron. Et que ni toi ni moi ne sommes payés pour baiser sous son toit !
Ils partent tous les deux dans un fou rire un peu nerveux qui dure plusieurs minutes. Puis Luc reprend sa respiration et ajoute à voix basse :
— Il aurait bien voulu être à ma place, ce vieux pervers !
— Tu crois ?
— J’en suis sûr.
— Bon, en tout cas, faut qu’on fasse vachement gaffe maintenant.
— C’est clair, acquiesce le jeune homme. J’ai pas envie qu’il te vire à cause de moi…
Elle termine sa liste de courses et partage un café avec lui.
— Y a du courrier ? demande Luc.
— Oui, mais pas de lettre de maman pour toi, ce matin ! répond la gouvernante d’un ton légèrement moqueur.
Un peu vexé, Luc hausse les épaules.
— C’est quoi ton programme aujourd’hui ? reprend-elle.
— J’ai plus le droit de sortir faire mon jogging et j’ai des fourmis dans les jambes ! Alors je vais aller dans le garage me défouler un peu… Et puis à seize heures, je dois aller récupérer le boss à la clinique.
— Pourquoi ? Il est parti à pied ?
— Non, c’est un de ses collaborateurs qui est venu le chercher et moi, je prendrai la Porsche.
Face au regard interrogateur de la gouvernante, Luc essaie de trouver une explication plausible sans toutefois lui révéler la vérité.
— Il veut que je l’accompagne ce soir pour un rendez-vous à sa banque. Il doit retirer une somme importante, je crois. Et il préfère que je sois là au cas où. C’est mon boulot, après tout…
— Il devient parano, ou bien ? Ce type, celui qui a agressé Maud, il représente toujours un danger ?
— On ne sait jamais… Et comme il ne veut pas laisser Maud ici toute seule, il va falloir que je l’emmène.
— Elle n’est pas seule, je suis là, rappelle Amanda.
Luc sourit.
— Je ne suis pas sûr que tu sois un garde du corps efficace !
Elle se pose sur ses genoux, passe ses bras autour de son cou.
— J’ai d’autres qualités, non ?
— D’innombrables qualités, concède Luc en l’embrassant.
* * *
L’homme rentre dans son appartement avec un sac de supermarché à la main. Il dépose tout sur la table de la cuisine puis ouvre la fenêtre. Aujourd’hui, temps superbe, températures encore chaudes.
Aujourd’hui, c’est jour de paye.
Bien sûr, il aurait pu demander plus. Car Reynier est richissime. Mais cela aurait immanquablement incité la banque à alerter la police.
Bientôt, il aura une coquette somme d’argent à dépenser et doit songer à ce qu’il va en faire.
Il pourrait quitter ce taudis et s’offrir un petit appartement neuf, bien à lui. Avec un bout de jardin, peut-être, histoire que le chat qu’il compte adopter puisse se dégourdir les pattes.
Un bout de jardin où le petit garçon pourrait s’amuser après avoir fait ses devoirs.
Il pourrait s’offrir une belle voiture, aussi. Et un nouveau canapé.
Il pourrait quitter le pays. D’ailleurs, ça vaudrait mieux, vu ce qu’il s’apprête à faire…
S’installer dans un pays chaud où la vie coule doucement, au rythme des vagues et des rires d’enfants.
Il n’a pas encore décidé. Y réfléchira une fois la mission terminée.
Du sac, il sort un paquet de pâtes, un bocal de sauce, un pack de yaourts aux fruits, quelques tranches de jambon, une baguette de pain et un fromage industriel. Sans oublier le pot de Nutella qu’il range consciencieusement à côté des autres sur l’étagère.
— Tu vois, dit-il au petit garçon, je n’ai pas oublié ! Et pour midi, j’ai prévu des penne rigate avec une sauce aux champignons. Comme tu aimes ! Pour le dessert, yaourt. Ça te va ?
Alors qu’il espère une réponse, son portable se manifeste bruyamment. Lorsqu’il voit le numéro, il sourit et décroche.
— C’est moi, dit la voix.
— Je sais. Alors, comment va notre cher professeur ?
— On dirait bien qu’il flippe comme un malade !
— Tant mieux ! se réjouit l’homme. Et il n’a pas fini d’avoir les foies…
— J’y compte bien !… J’ai quelques infos intéressantes pour vous, continue la voix.
— Je vous écoute, dit l’homme en s’asseyant en face de la photo.
* * *
Luc frappe trois coups et patiente.
Comme il n’obtient pas de réponse, il frappe à nouveau.
— Maud ?
Il est pourtant sûr qu’elle n’a pas quitté sa chambre depuis le déjeuner. À moins qu’elle n’ait filé en douce ?
Il teste la poignée qui ne lui offre aucune résistance et entrouvre la porte.
— Maud ?
La pièce est plongée dans la pénombre mais il distingue la jeune femme étendue sur son lit. Il s’approche, un peu embarrassé, et s’arrête net en voyant qu’elle a les yeux ouverts et arbore un drôle de sourire.
Читать дальше