Plus elle monte, plus ses souffrances deviennent minuscules.
Bientôt, elle ne les voit plus.
Déchirant le ciel telle une comète, elle grimpe jusqu’aux étoiles. À la vitesse de la lumière.
Les bras en croix sur son grand lit, Maud sourit.
Et sa main droite serre le manche d’un énorme couteau.
Dans la chambre voisine, Armand est assis sur son lit.
Il se demande pourquoi Maud est descendue. Sans doute avait-elle soif ?
Il ne parvient pas à trouver le sommeil.
Le canon de l’arme est toujours pointé droit sur lui.
Dans la ligne de mire d’un fou.
Un fou, vraiment ?
Reynier sait qu’il doit payer. Un jour ou l’autre, il faut régler l’addition.
Et ce jour approche.
Le temps de l’impunité est révolu.
Le temps des souffrances est venu.
Rappelle-toi…
Oui, il se rappelle.
Oui, il a tué un petit garçon. Mais ce n’était qu’une erreur.
Pourtant, il aurait dû sentir qu’il n’était pas en état d’opérer. Qu’il avait poussé trop loin ses propres limites.
Reynier aurait dû reconnaître sa faute. Il devait bien ça au père de cet enfant. Au moins ça.
Rappelle-toi…
Mais comment cet homme peut-il savoir cela ? Qui est-il vraiment ? Et depuis combien de temps Armand est-il dans son viseur ?
Assis sur son lit, Reynier laisse libre cours à ses sanglots. Comme un enfant en proie à ses démons.
La tête entre ses mains, le grand professeur pleure.
Et personne ne l’entend.
* * *
— Il paraît que tu as une petite amie ? murmure Amanda. C’est Maud qui me l’a dit… Marianne, c’est ça ?
Allongé près d’elle, Luc fume une cigarette.
— Oui, dit-il.
— Et tu la trompes souvent ?
Il tourne la tête vers elle. Son regard brille d’une colère soudaine.
— Je ne la trompe jamais.
Amanda éclate de rire.
— Ah bon ? Et qu’est-ce que tu viens de faire, alors ?
— Je viens de tirer mon coup avec une fille facile.
Le sourire d’Amanda s’efface lentement. On dirait qu’elle est en train d’avaler une potion particulièrement amère.
— Pardon ?
— Tu as très bien entendu, dit Luc.
Il écrase sa cigarette dans le cendrier et se lève. Il enfile son pantalon, sa chemise, et la regarde. Elle ressemble toujours à une panthère.
Mais sur le point d’attaquer.
— Fais pas cette tête ! ajoute Luc avec un sourire qui a quelque chose de cruel. Je plaisantais.
— T’es dégueulasse de balancer des trucs pareils !
Il se penche vers elle et murmure :
— Tu l’as cherché. Fallait pas me parler de Marianne… Faut jamais me parler d’elle, compris ?
Elle reste sans voix, tandis qu’il dépose un baiser sur son front.
— Bonne nuit, Amanda.
Reynier arrive à son bureau très en avance. Il n’a eu aucun mal à se lever ce matin vu qu’il n’a pas réussi à fermer l’œil de la nuit.
Il se prépare un café serré et s’installe devant son ordinateur. Il consulte son agenda, qui lui rappelle froidement qu’il doit opérer une demi-douzaine de patients aujourd’hui.
Dure journée en perspective.
Alors qu’il signe les courriers dans un parapheur déposé la veille au soir par son assistante, son portable sonne.
Numéro inconnu.
— Allô ?
— Professeur Reynier ?
— Lui-même…
— Tu as passé une bonne nuit ?
Armand sent son pouls accélérer.
— Qui parle ? rétorque-t-il.
— Tu le sais bien…
— Qu’est-ce que vous me voulez ?
— Ça aussi, tu le sais.
— Non, je ne le sais pas ! s’écrie Reynier.
— Vraiment ? s’étonne l’homme au bout du fil. Pourtant, je t’ai envoyé plein de petits messages qui ont dû te mettre sur la piste, non ?
— Écoutez, dites-moi ce que vous voulez et on va trouver un moyen de s’arranger…
— Un moyen de s’arranger ? Tu crois peut-être que c’est possible ?
Reynier prend une longue inspiration. Il décide de laisser l’inconnu abattre ses cartes.
— Eh bien, doc, tu as perdu la parole, ou quoi ?
Armand continue à garder le silence. Sa jambe droite bat la mesure sous son bureau.
— Tu es encore là ?
— Je t’écoute. Parle.
— Je suis sûr que t’as fait dans ton froc, hier soir… Je me trompe ?
— Oui, tu te trompes, affirme Reynier. Et si tu voulais me descendre, fallait en profiter.
— J’ai tout mon temps. Vraiment tout mon temps…
Les mâchoires du chirurgien se crispent douloureusement.
— Pourquoi tu m’appelles ?
— Un brin de causette, ça fait pas de mal, non ?
— J’ai autre chose à foutre ! rétorque Reynier. Alors si t’as rien d’intéressant à me dire, je raccroche.
— Holà ! Doucement, toubib… Tu ne voudrais pas que j’aille rendre une petite visite à ta fille, n’est-ce pas ?
La tension artérielle d’Armand monte en flèche. Jusqu’à atteindre des sommets.
— Laisse ma fille tranquille, espèce d’enculé !
— Reste poli. Sinon tu vas le regretter…
Dans un effort surhumain, Reynier s’impose le silence.
— Elle est si jolie, ta fille. Si jolie et si fragile, soupire l’homme.
— Elle est sous bonne garde, rappelle Reynier.
L’inconnu éclate de rire.
Un rire glaçant. Comme sorti des profondeurs d’une caverne humide.
— Tu parles du petit gars qui a peur de son ombre ? Allons, Reynier, soyons sérieux ! Tu crois quand même pas que c’est cet avorton qui va m’empêcher de baiser ta fille si j’en ai envie ?
Reynier ferme les yeux. Il a envie de hurler. De tuer. De serrer ses mains sur quelque chose.
— Maintenant, tu vas m’écouter attentivement, reprend l’homme d’une voix effrayante. Je sais tout des saloperies que tu as commises. Tout, tu entends ? Et si tu veux que je garde ça pour moi, va falloir te montrer généreux. C’est clair ?
Reynier sent une sorte de soulagement s’emparer de lui. Ce salaud veut du fric.
Et du fric, Reynier en a plein les poches.
— Combien tu veux ?
— Combien vaut la vie de ta fifille chérie ?
— Combien tu veux ? répète Armand d’une voix ferme.
— Deux cent cinquante mille euros, en petites coupures. Je te laisse vingt-quatre heures pour réunir la somme. Je te rappelle demain soir pour te fixer un rendez-vous.
— J’ai besoin de plus de temps ! s’insurge Reynier.
— Pas une minute de plus… Et si tu alertes les flics, je te jure que tu le regretteras jusqu’à la fin de tes jours. Parce que si tu les mêles à nos histoires, je viens chercher ta fille, je la découpe en petits morceaux et je te les renvoie par la poste. C’est bien compris ?
— Je n’appellerai pas la police.
— Parfait ! Alors à demain, professeur.
L’homme raccroche et Reynier se laisse aller en arrière dans son fauteuil. Il a l’impression qu’on vient de le tabasser à coups de crosse. Et lorsqu’il compose le numéro de Luc, sa main tremble encore.
Luc s’arrête pour décrocher.
— Oui ?
— C’est moi. Il vient de m’appeler…
— Vrai… ment ?
— Qu’est-ce qui vous arrive ?
— Je suis en plein jogging, explique Luc en reprenant son souffle.
— Désormais, vous éviterez de sortir de la propriété, ordonne Armand. Il menace encore de s’en prendre à Maud, vous ne devez pas vous éloigner.
— D’accord, promet Luc. Que vous a-t-il dit ?
Reynier lui fait un topo rapide. Luc sent une nervosité extrême derrière chacun de ses mots.
— Vous aviez donc raison, admet-il.
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