Ses sanglots se calment. Ne restent que les larmes qui coulent sans relâche dans un silence de mort.
Ses muscles se détendent enfin. L’un après l’autre.
Ses paupières luttent encore.
Brûlées par les larmes, elles refusent de se fermer.
Il lui faut presque une heure pour gagner le combat.
Son visage martyrisé reprend forme humaine.
La bête recule enfin.
Doucement, elle se replie dans son antre secret. Cette caverne que Luc lui a patiemment creusée au fond de lui-même. Quelques grognements sinistres et elle disparaît derrière des nimbes noirs et vaporeux.
Oui, je sais.
Tu reviendras.
Jamais tu ne me quitteras.
Et un jour tu me tueras.
Ou je me tuerai pour me soustraire à ta tyrannie.
Pour abréger les supplices que tu m’infliges.
Mais l’heure n’est pas encore venue.
Aujourd’hui encore, j’ai été plus fort que toi.
Luc a cessé de pleurer.
Il vient de tomber dans le coma.
Quand il se réveille, il fait nuit.
Son premier réflexe est de chercher l’interrupteur de la petite lampe.
Enfin, la lumière le sauve du noir.
Coup d’œil sur sa montre : il est vingt-trois heures. Luc a dormi pendant douze heures.
Il s’assoit sur le bord de son lit avec une grimace de douleur.
Impression d’avoir été battu à mort.
En se levant, il manque de tomber. Les médicaments font encore effet. Ses nerfs sont sectionnés, ses muscles n’obéissent pas. Son cerveau baigne dans une eau tiède et sale, une étrange confusion. Ses yeux ont du mal à tenir le cap.
Il passe dans la salle de bains, remplit le lavabo et plonge la tête dedans jusqu’à manquer d’air. Il recommence plusieurs fois puis observe son visage dégoulinant dans le petit miroir. Ses yeux sont gonflés et rouges, son teint blafard.
Pas beau à voir.
Il se douche, gardant toujours appui sur le mur au cas où. Sans prendre la peine de s’habiller, il se plante devant la fenêtre et allume une cigarette.
Un vent léger s’est levé, rafraîchissant et bienfaisant.
Luc ferme les yeux pour savourer ce moment.
Cette impression de revenir d’entre les morts.
* * *
Maud consulte son portable pour la énième fois.
Pourquoi ne répond-il pas à mes messages ? Où est-il ?
Avec elle, bien sûr.
Avec cette Marianne. Qui a eu la chance de le rencontrer avant moi.
Font-ils l’amour, en ce moment ? Me trompe-t-il avec cette fille de malheur ?
Maud voudrait avoir une photo d’elle. Pouvoir mettre un visage sur son cauchemar.
Identifier l’ennemie.
Elle en est sûre, Marianne est bien plus jolie qu’elle. Plus intelligente. Plus âgée, aussi.
Elle imagine une trentenaire qui a réussi dans la vie. Une femme déterminée, élégante, cultivée.
L’instant d’après, elle change la bobine du film.
Marianne est une fille fragile que Luc a prise sous son aile. Si fragile qu’il ne sait pas comment la quitter. Peut-être menace-t-elle de se suicider dès qu’il s’éloigne trop longtemps d’elle ?
Maud est douée d’une imagination sans limite.
Elle tourne sur elle-même, suivant les circonvolutions de son cerveau.
Minute après minute, Marianne devient son obsession. La femme à abattre.
Il faut qu’elle connaisse son nom de famille, trouve son adresse. Il faut qu’elle voie son visage.
Maud se met à élaborer des stratagèmes délirants.
Engager un tueur.
Quelqu’un qui l’écraserait avec une voiture pendant qu’elle traverse la rue.
Trouver un poison. Le lui faire avaler de force.
Luc sera malheureux de la perdre. Alors Maud le consolera. Y passera le temps qu’il faut.
Avec la persévérance du chasseur, la patience de l’araignée.
Mais elle n’a aucun indice.
Peu importe, elle en trouvera. Questionnera habilement Luc, feignant de s’intéresser à la femme qu’il aime. Ou qu’il croit aimer.
Un jeu d’enfant.
Soudain, son portable vibre. Elle l’extirpe de sa poche, sa main tremble, son cœur s’emballe.
Je rentre dans une demi-heure. Désolé pour cette absence. Luc.
Elle sourit, même si elle aurait espéré un Je t’embrasse .
Je t’embrasse fort.
Mais l’important, c’est qu’il revienne.
Alors qu’il est près de minuit, elle est toujours habillée. Dès qu’elle entendra la moto approcher du portail, elle ira à sa rencontre. Le poussera à se confier, telle une amie sincère et inquiète.
Oui, Maud en est sûre : leur histoire ne fait que commencer.
Et Luc finira par l’aimer.
De force.
* * *
Maud passe discrètement devant la chambre de ses parents puis descend l’escalier.
En ce moment même, la Ninja se gare devant la dépendance.
Elle a l’impression que Luc est parti depuis des jours, des semaines.
Elle rectifie sa coiffure avant de pousser la porte.
Mais lorsqu’elle arrive près de la dépendance, elle entend des voix et s’immobilise.
Son père l’a devancée. Alors, Maud se cache derrière un buisson…
— Bonsoir, Luc.
— Bonsoir, monsieur.
Reynier était en embuscade sur sa terrasse. Impossible de lui échapper.
Vu l’heure, Luc espérait rentrer discrètement et se réfugier dans son petit appartement sans avoir à rendre de comptes.
Il s’assoit en face du chirurgien qui le dévisage sans relâche.
— Comment allez-vous ? s’enquiert Reynier.
— Mieux.
— Ce matin, vous m’avez fait peur… Je me suis inquiété pour vous toute la journée.
Reynier a l’air sincère et Luc ressent quelque chose d’embarrassant au fond de lui.
Une sorte de proximité coupable avec cet homme.
— Que vous est-il arrivé ?
— Désolé, je n’ai pas envie d’en parler.
— Je suis passé à la pharmacie Delantre, en fin de journée. J’avais une commande à récupérer.
Luc devient plus pâle encore.
— Les filles m’ont dit que ce matin elles avaient eu la visite d’un jeune homme… Un motard qui s’est évanoui au beau milieu de leur officine.
Luc allume une cigarette.
— Elles m’ont également dit que ce jeune homme avait un besoin urgent de Dimexat.
— Et alors ?
— Alors, je sais ce qu’est le Dimexat. Je sais à quoi il sert…
— Heureusement ! Vous êtes médecin, non ? rétorque Luc.
Reynier esquisse un sourire avant de continuer.
— J’ai demandé des précisions aux filles de la pharmacie et elles m’ont dit que le motard était un homme jeune, grand, avec des cheveux châtain clair et des yeux verts… Ça ne vous rappelle pas quelqu’un ?
Luc sourit à son tour.
— Ça me rappelle tout un tas de personnes, dit-il.
— Donc, vous n’êtes pas allé dans une pharmacie ce matin ?
— Je n’ai pas à vous dire ce que j’ai fait ce matin, monsieur.
Cette fois, le chirurgien le considère avec une tendresse inattendue.
— On a tous nos faiblesses, n’est-ce pas ?
— Sans aucun doute.
— Il vous reste du whisky ?
Luc hoche la tête avant de disparaître dans son studio. Il revient rapidement avec la bouteille, deux verres et de la glace.
— Ça devient une habitude, souligne-t-il.
Il se rassoit, fait le service.
Reynier lève son verre. C’est la première fois qu’il propose de trinquer.
— À votre santé, dit-il.
Luc ne répond pas, mais accepte de cogner son verre contre le sien.
— Je vous aime bien, dit Reynier après la première gorgée.
Luc est de plus en plus surpris. De plus en plus mal à l’aise.
— Je crois que quelque part, on se ressemble, vous et moi. Et je ne parle pas que du physique…
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