Maud le connaît depuis à peine une semaine, croit qu’elle est amoureuse de lui. Elle le trouve beau, drôle, différent des autres.
Il est pourtant affreusement banal.
Quand il commence à la déshabiller, elle se dit qu’elle est prête, sans doute. Prête à franchir le pas, à devenir autre chose qu’une adolescente névrosée qui suffoque sous les preuves d’amour que lui donne son père.
Oui, elle est prête, n’est plus une enfant.
Pourtant, l’excitation, l’exaltation laissent bien vite la place à un sentiment étrange, mélange de peur et de culpabilité.
Si papa me voyait…
Si papa savait…
La suite, elle aussi, est affreusement banale.
Le plaisir attendu se fait attendre. Ce parking lui semble soudain un endroit sordide.
La situation, glauque.
Mathéo, maladroit.
Ça ne dure pas très longtemps. Ça fait mal, un peu.
Ils se rhabillent en silence, au cœur de cette nuit différente.
Indifférente.
Mathéo raccompagne Maud chez sa copine de classe. Elle ne le reverra plus jamais, pleurera quelques jours durant, puis l’oubliera doucement.
Elle ne l’aimait pas, finalement.
Rien n’a vraiment changé, finalement.
Maud est toujours une adolescente névrosée qui suffoque sous les preuves d’amour que lui donne son père…
Reynier actionne la télécommande du portail et la Porsche s’élance sur le goudron. Mais dix mètres plus loin, il freine en apercevant Luc qui revient vers la maison à petites foulées.
Armand baisse sa vitre, Luc s’arrête à sa hauteur.
— Bonjour, monsieur.
— Bonjour, Luc… Vous avez terminé votre footing ?
— Oui, je rentre.
— Combien de kilomètres ? interroge le professeur.
— Une dizaine.
— Le footing, c’est pas terrible pour les articulations.
— Je l’ignorais.
— Maintenant, vous le savez. Bon, je dois y aller…
— Bonne journée, monsieur.
— À vous aussi.
La Porsche s’éloigne et Luc rejoint la propriété en marchant. Après une douche rapide, il s’aventure jusque dans la cuisine. Amanda s’y trouve, occupée à vider le lave-vaisselle.
— Salut ! dit Luc en lui déposant un baiser furtif sur la bouche.
Il se prépare un café et s’installe devant une panière de pain toasté. C’est alors que la gouvernante lui tend une enveloppe.
— Tu as une lettre de ta maman ! dit-elle avec un sourire tendrement moqueur.
— Comment tu sais que c’est ma mère ?
— C’est marqué Madame Garnier au dos de l’enveloppe ! Et comme tu n’es pas marié…
Luc met la lettre dans sa poche et étale une épaisse couche de beurre sur une tartine.
— Elle t’écrit souvent, souligne Amanda.
— Et alors ?
— Avec l’adresse au dos, j’ai vu qu’elle habitait Nice. Je trouve ça curieux, c’est tout.
— Tu as remarqué que je suis ici vingt-quatre heures sur vingt-quatre ? rétorque Luc avec un sourire crispé. Je peux difficilement passer la voir !
— C’est sûr, mais… Les gens, aujourd’hui, préfèrent téléphoner.
— Eh bien ma mère préfère écrire. Elle a toujours aimé ça… Parce qu’un coup de fil, ça disparaît. Alors qu’une lettre, ça se garde.
— C’est pas faux, concède la gouvernante.
— Maud n’est pas encore levée ?
— Non, répond Amanda.
Luc termine son petit déjeuner et se hâte de retourner dans son studio. Il ouvre l’enveloppe blanche perlée et déplie la feuille.
Mon chéri,
Avec cette canicule, j’espère que l’endroit où tu loges est climatisé ! Ici, dans ma petite maison, je dois dire que je souffre de la chaleur, surtout la nuit.
Tu sais que j’ai du mal à dormir depuis longtemps. Depuis que ton père…
Mais à mon âge, quelques heures de sommeil suffisent amplement !
J’ai fait du tri dans les photos, hier. J’ai eu tant de plaisir à te revoir lorsque tu étais enfant ! Et ça m’a replongée dans les souvenirs…
Tu te souviens, l’été où nous sommes partis en vacances en Auvergne ? Nous avions loué une maison dans un minuscule hameau, perdu dans les montagnes. Tu avais neuf ans, tu étais déjà très dégourdi. Tu avais rencontré une petite fille de ton âge, la fille du menuisier du village. Et je ne te voyais quasiment pas de la journée ! Chaque matin, juste après le petit déjeuner, tu prenais un petit sac à dos et tu courais la retrouver. Et le soir, tu me racontais tes balades avec elle dans la forêt toute proche. J’ai tenté de me rappeler son prénom, mais ma mémoire commence à flancher… Impossible de m’en souvenir. J’ai retrouvé une photo où vous posez tous les deux et j’en ferai faire une copie pour te l’envoyer. Ou bien tu la récupéreras lorsque tu passeras me voir. Ta chambre est toujours prête, tu le sais.
Je t’embrasse fort,
Maman
Luc ferme les yeux et sourit.
La petite fille s’appelait Audrey…
* * *
Lorsque Luc s’aperçoit qu’il y a quelqu’un dans la piscine, il hésite.
Puis, finalement, il s’approche d’un pas discret. Charlotte est en train de nager la brasse coulée. Dans un mélange de puissance et de grâce. Le jeune homme ne peut s’empêcher d’admirer ce corps parfait glissant dans l’eau pure comme si tel était son élément.
Il s’assoit sur le muret et allume une cigarette. Lorsque Charlotte repart dans l’autre sens, leurs regards se croisent. Elle continue à nager jusqu’aux marches et sort de l’eau.
Vision éblouissante.
Luc se hâte de récupérer un drap de bain et de le lui déposer sur les épaules.
— Merci, sourit Charlotte.
— Je vous en prie, madame.
Elle se sèche rapidement les cheveux et s’allonge sur un bain de soleil. Sûre d’elle, de son charme, elle dégage un étrange pouvoir d’attraction.
— Venez, dit-elle.
Luc attrape une chaise et vient s’installer près d’elle. Elle est sur le dos, une jambe repliée. Sur sa peau, une multitude de gouttelettes scintillent sous le soleil de ce début d’après-midi.
— Comment allez-vous ?
Il n’a pas vu Charlotte depuis deux jours. Depuis qu’elle a pris une autre sorte de bain.
Un bain de sang.
— J’y pense constamment, murmure-t-elle. Ça fait un drôle d’effet, vous savez… J’ai beau prendre des douches ou nager dans la piscine, j’ai toujours l’impression d’être sale. L’impression que je baigne dans cette horreur…
Elle tourne la tête vers lui avant d’ajouter :
— Je ne connaissais pas l’odeur du sang. Maintenant, oui… Et je ne suis pas près de l’oublier.
— Désolé, dit Luc. Je comprends.
— Eh bien moi, je n’y comprends rien… Que nous veut ce type ?
— Nous ne le savons pas, madame. Il reproche quelque chose à votre mari, mais nous ignorons quoi.
— Mon mari le sait, objecte Charlotte. Je n’ai aucun doute là-dessus.
— Ce n’est pas ce qu’il m’a dit, rétorque Luc sans aucune conviction.
— C’est le plus grand menteur que la Terre ait jamais porté, soupire-t-elle.
Embarrassé, Luc préfère se taire.
— Je vous choque ?
— Vous avez une drôle de façon de parler de votre mari.
Elle lui offre un sourire amer.
— Vous avez raison, je ne devrais pas. Mais lui et moi, ce n’est plus qu’une façade… Une façade qui cache des ruines.
— Navré de l’apprendre, madame.
— Madame, madame… Quand allez-vous m’appeler enfin par mon prénom ?
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