— Ah… eh bien te voilà rassurée, alors !
— Ça t’embête que je sois venue ? Tu n’avais pas envie de me voir ?
— Si, ça me fait plaisir, prétend-il.
Soudain, ils entendent la Porsche monter l’allée.
— On dirait que ton père rentre plus tôt, dit Luc en consultant sa montre.
— C’est bizarre. Il ne rentre jamais avant vingt heures…
Après le ronronnement du moteur, c’est un bruit de pas qui approchent de la dépendance. Puis trois coups contre la porte.
— Aïe ! murmure Luc. Je sens que je vais encore me prendre une rincée…
Lorsqu’il ouvre la porte, il tombe nez à nez avec le chirurgien.
— Bonsoir. Je peux entrer ?
Comment lui dire non ?
— Je vous en prie, répond Luc en s’effaçant.
— Il faut que je vous…
Reynier s’interrompt net en apercevant Maud sur le canapé, une bière à la main. Il la détaille de la tête aux pieds, remarque évidemment sa tenue.
Luc essaie de désamorcer la bombe.
— Maud est passée me voir pour me dire qu’elle…
Reynier l’arrête d’un simple geste de la main.
Maud vient embrasser son père, aussi raide qu’un piquet de clôture.
— Ça va, papa ?
Incapable de répondre, le chirurgien hoche simplement la tête. Son regard scrute la pièce, comme s’il cherchait les indices d’un crime. Une boîte de préservatifs, une petite culotte, un caleçon…
Puis enfin, il retrouve la parole.
— Maud, ma chérie, laisse-nous, s’il te plaît. Il faut que je parle à M. Garnier.
— Qu’est-ce qui se passe ? demande-t-elle.
— Rien qui te concerne, tranche-t-il.
— OK, soupire-t-elle. Merci pour la bière, Luc.
— De rien, répond le jeune homme en la raccompagnant.
Il referme la porte et se tourne vers le père. Toujours secoué, visiblement.
— Qu’est-ce que ma fille foutait chez vous ?
Luc répond d’une moue dubitative :
— Rien de particulier, monsieur. Vous vouliez me parler ?
Reynier tente visiblement de recouvrer son calme. Il aurait sans doute préféré découvrir sa femme dans le lit de Luc plutôt que sa fille sur son canapé.
Il sort de sa sacoche une enveloppe et la jette sur la table basse.
— Un nouveau message ?
— C’était dans mon courrier, à la clinique.
En regardant l’enveloppe, Luc découvre qu’elle a été postée dans le Var. À Fréjus. À l’intérieur, le même type de message que les deux précédents.
— C’était un 16 mars, rappelle-toi … lit-il.
— Je commence à en avoir plein le dos, de ce taré ! s’écrie le chirurgien.
Luc remet le message dans l’enveloppe et se rassoit sur le canapé.
— Je ne sais pas quoi vous répondre, monsieur. Si ce n’est qu’il faut découvrir un lien entre toutes ces dates… Le lien entre le 19 septembre, le 11 janvier et, maintenant, le 16 mars.
— Un lien ?
— Oui. Il ne prend pas ces dates au hasard sur le calendrier !
— Qui sait ? Ce type est complètement givré !
— À mon avis, le seul lien entre ces dates, c’est vous, assène Luc. Puisque c’est à vous qu’il dit : rappelle-toi . Et s’il a agressé Maud, c’était bien pour vous faire du mal.
Reynier lui tourne le dos, debout devant la fenêtre, les bras croisés.
— Pour l’instant, je n’ai rien trouvé concernant le 11 janvier, dit-il. J’y passe un temps fou, mais aucun décès dans la clinique un 11 janvier.
— Et si ça ne concernait pas la clinique ? dit Luc.
Le professeur se retourne brusquement.
— Que voulez-vous dire ?
— Ça pourrait concerner votre vie privée, pas votre travail.
Armand fait quelques pas, apparemment plongé dans une profonde réflexion.
— Il y a un truc que je ne vous ai pas dit l’autre soir, reprend-il soudain. Le 11 janvier, c’est la date de la mort de ma première épouse, Sara.
Luc tente de feindre la surprise.
— Pourquoi m’avoir caché cela ?
— Je ne sais pas, avoue le chirurgien. C’est stupide, j’en ai conscience… C’est sans doute parce que j’ai du mal à en parler, tout simplement.
— Elle est morte comment ?
— Elle s’est noyée dans la piscine. J’ai tenté de la réanimer, mais je n’ai pas réussi.
Armand tombe sur une chaise. Luc a le sentiment qu’il est très affecté par ce souvenir. À moins qu’il ne simule à merveille.
— Lui reste-t-il de la famille, des proches ?
— Non, affirme Reynier. Enfin si, sa mère est toujours en vie, mais elle est internée en HP. Pourquoi ?
— Je cherche qui pourrait vous reprocher sa mort.
— Me reprocher sa mort ? Mais c’était un accident, je vous dis ! Un accident, vous comprenez ?
— Je comprends, monsieur, mais on ne sait jamais ce que peuvent croire les gens…
— Elle n’a plus aucun proche, j’en suis certain. Elle n’avait plus son père et n’avait ni frère ni sœur. Juste un oncle et une tante qui ne vivent pas en France et qu’elle ne voyait plus depuis des lustres…
— Et vous êtes sûr que sa mère est toujours enfermée ?
— Certain.
— Alors, il faut continuer à creuser du côté de la clinique.
Armand soupire en se levant.
— Je vais le faire. Mais je ne pense pas trouver quoi que ce soit…
— Tenez-moi au courant, dit Luc en lui ouvrant la porte.
Ils se serrent la main, se regardant droit dans les yeux.
— Soyez vigilant, Luc. Je sens que ce malade ne va pas tarder à frapper à nouveau…
— Je ne sais pas, monsieur. Mais vous pouvez compter sur moi.
Soudain, ils entendent le bruit d’un moteur poussé à son maximum et voient l’Audi de Charlotte monter la pente à vive allure.
Si vite qu’elle ne peut pas freiner à temps et se plante dans le mur du garage.
Les deux hommes restent une seconde stupéfaits avant de s’élancer vers la voiture.
Charlotte a le front posé sur le volant. Reynier ouvre la portière et se baisse.
— Chérie ? Tu m’entends ?
Elle tremble de tout son corps. Ses épaules sont secouées par de violents sanglots.
— Qu’est-ce qui se passe ? s’écrie le chirurgien.
Luc grimpe sur le siège passager et décroche la ceinture de sécurité. Doucement, il aide Charlotte à se redresser.
Lorsqu’ils découvrent son visage, les deux hommes restent sans voix.
Écarlate. Entièrement recouvert de sang. Elle en a sur les mains, les bras, et même dans les cheveux. Ses vêtements noirs sont trempés et ce n’est sans doute pas de l’eau.
— Appelez le SAMU ! dit Luc.
— Non, laissez-moi faire ! rétorque Armand.
Il aide sa femme à sortir de la voiture. Elle s’effondre dans ses bras, comme si elle n’avait plus aucune force.
— Aidez-moi ! ordonne Reynier dont la chemise est déjà largement tachée de sang. On va l’emmener chez vous. Je ne veux pas que Maud la voie comme ça !
Luc se précipite pour lui donner un coup de main, ils soutiennent Charlotte jusqu’au studio. Luc se hâte d’ouvrir la porte et ils l’accompagnent jusqu’au canapé.
Elle n’a pas prononcé un seul mot, se contente de trembler.
— Je vais chercher de quoi la soigner, indique Armand. Restez près d’elle…
— Bien sûr, je m’en occupe. Allez-y !
Reynier part au pas de course tandis que Luc s’agenouille face à Charlotte.
— Qu’est-ce qui vous est arrivé, madame ? demande-t-il doucement.
Elle pose sur lui un regard terrifié, mais ne parvient toujours pas à parler.
— On vous a agressée, c’est ça ? Ou… vous avez eu un accident ?
Luc prend sa main dans la sienne.
— Dites-moi quelque chose, prie-t-il d’une voix douce.
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