— Je sais pas. Oui, peut-être. Mais c’était juste une impression !
— Il était à quelques centimètres de toi ! Tu n’as pas remarqué un détail, quelque chose ?
— Non ! gémit Cloé.
— Sa carrure, son odeur… Ses mains ?
— Il portait des gants.
— Autre chose alors… Essaie de te rappeler, c’est important !
Alexandre a une voix dure, autoritaire. On dirait qu’il cuisine un suspect.
— Je sais que c’est important ! enrage Cloé. Je ne l’ai pas reconnu, je te dis !
Elle cache son visage entre ses mains, Gomez change de ton.
— Excuse-moi, dit-il. On en reparlera plus tard, à tête reposée. D’accord ?
— Oui, merci, murmure-t-elle en prenant un Kleenex dans son sac.
Elle essuie ses larmes, se recroqueville sur son siège. Ils ne s’adressent plus la parole jusqu’à ce qu’ils arrivent à destination.
Une fois à l’intérieur, Cloé s’effondre sur le canapé, Alexandre se pose en face d’elle et revient à la charge.
— Ton entretien, ça s’est passé comment ?
— À ton avis ? Dans l’état où j’étais… J’ai été lamentable.
Elle secoue la tête, revivant le désastre. L’humiliation.
Cette rencontre a été une épreuve. Qui se soldera par un fiasco, Cloé en est sûre.
Agitée et nerveuse, elle a trébuché sur chaque mot. Les trois hommes assis en face d’elle ont dû la prendre pour une débutante !
Merci d’être venue, on vous rappellera .
— Ils ne rappelleront jamais. C’est foutu.
— Tu feras mieux la prochaine fois, assure Alexandre en allumant une cigarette.
— Il savait où j’allais.
— Il te l’a dit ?
— Non. Juste que j’allais me mettre en retard… Mais je suis sûre qu’il a fait exprès de m’attendre pour me déstabiliser.
— Pas forcément.
— Il savait où j’allais et voulait que je rate mon entretien ! C’est évident.
Que cet homme soit au courant du moindre de ses faits et gestes leur glace le sang.
— À qui avais-tu parlé de ce rendez-vous ? demande Alexandre.
— À toi. Et à personne d’autre.
Alexandre se lève et jette un coup d’œil circulaire dans la pièce. Il se baisse, passe une main sous la table basse.
— Qu’est-ce que tu fabriques ? s’étonne Cloé.
Le commandant lui fait signe de se taire et continue son manège. Il passe le salon au peigne fin, regardant derrière les cadres accrochés au mur, sous les chaises, dans la petite bibliothèque… Ça dure de longues minutes pendant lesquelles Cloé retient sa respiration.
— Tu cherches un micro ? chuchote-t-elle.
— Oui, mais il n’y a rien. Tu sais, il rôdait peut-être dans le coin en espérant te voir. C’était quasiment l’heure du déjeuner, il attendait sans doute que tu sortes.
Cloé secoue à nouveau la tête, refusant cette version.
— En tout cas, cette fois, tu l’as vu de près. Tu as entendu sa voix, même si elle était modifiée. Alors si c’était Bertrand, tu l’aurais forcément reconnu. Pas possible autrement.
— Je sais pas…
— Tu l’aurais reconnu, s’entête le commandant.
Elle est épuisée, mais extrêmement agitée. Des spasmes secouent ses jambes, des tics assaillent ses paupières.
— Calme-toi, prie Alexandre.
— Il m’a demandé si j’étais amoureuse de toi.
Le commandant est mal à l’aise. Ça, elle ne lui avait pas dit au téléphone.
— Il m’a demandé : Tu es amoureuse de ce petit flic de merde ? Ou … peut-être que… tu aimes simplement baiser avec lui ?
Elle se remet à pleurer, en silence.
— Comment il sait ça ? gémit-elle.
— Pas compliqué. Il a dû me voir entrer chez toi et y passer la nuit. Il se doute bien que je ne dors pas sur le canapé.
— Mais comment il sait que tu es flic ? Comment il sait tout sur moi, sur nous ? C’est pas vrai… Il… il doit passer son temps à m’espionner ! Il doit…
Elle ne termine pas sa phrase, éclate en sanglots. Alexandre la considère un instant, soudain désarmé. Puis il la rejoint sur le divan et l’attire contre lui.
— Qu’est-ce qu’il me veut ? Hein ? Qu’est-ce qu’il me veut à la fin ? Martins a eu le poste, alors pourquoi il ne me laisse pas tranquille ?
— Je sais pas, murmure Alexandre. Mais je vais trouver. Je te le promets.
— Bonne journée, sourit Alexandre.
Un sourire crispé qui ne fait pas vraiment illusion. Il est inquiet, c’est évident. Une inquiétude qui réconforte Cloé.
Elle l’embrasse, caresse son visage. Il ne s’est pas rasé, ce matin. Pourtant, elle le trouve plus charmant encore.
— À ce soir… Je récupérerai ma voiture.
— OK, mais je te suivrai.
Elle ouvre la portière, ne descend pas. Elle le regarde encore, avec une intensité rare.
— C’est long une journée sans toi, dit-elle simplement.
Il lui offre un vrai sourire, cette fois.
— Va, tu es en retard. On se retrouve ce soir. Tout se passera bien, je t’assure, ajoute Alexandre avec un clin d’œil.
Elle quitte enfin la voiture, le flic attend qu’elle soit avalée par la tour gigantesque avant de démarrer et de reprendre la direction de la banlieue.
Direction le 95. Sarcelles.
Ce matin, il a rendez-vous avec Amanda, l’ancienne collègue et amie de Laura. Pour tenter d’en savoir plus sur les gens que fréquentait la précédente victime. Car il ne peut écarter l’hypothèse d’un seul et même agresseur.
Ce type qui se joue de lui. Qui s’amuse avec ses nerfs.
Il n’attend pas grand-chose de cette rencontre, mais ne veut négliger aucune piste. Quand on est perdu en pleine forêt, chaque début de chemin est un espoir.
Comme il est en retard, il place le gyro sur le toit et roule en quatrième, pleins phares.
La vitesse, les voitures qui se rangent pour le laisser passer. Ça lui donne l’impression qu’il a de l’importance. Qu’il est quelqu’un.
Alors qu’il n’est vraiment plus rien.
Rien d’autre qu’un flic en congé, lâché par sa hiérarchie et pas mal de ses anciens collègues.
Un veuf qui ne parvient pas à faire son deuil. Même s’il couche avec une autre femme. Parce qu’elle ressemble à Sophie, il ne l’oublie pas. C’est peut-être plus horrible encore.
Pourtant, elle le maintient en vie. Une perfusion dans son bras. Un simulacre d’espoir, un semblant d’existence.
Il y a des secondes, des minutes même, où il s’imagine rester avec elle lorsque l’enquête sera terminée et l’Ombre effacée. Mais la couche de glace s’épaissit autour de son cœur. Il a froid. Même quand il serre Cloé dans ses bras. Même quand il est en elle.
Enfin, il arrive sur le parking du centre commercial et trouve une place proche de l’une des portes. Il se hâte de rejoindre le snack où Amanda l’attend déjà.
— Désolé pour le retard.
— C’est pas grave. Je ne prends mon service qu’à 11 heures, on a le temps…
Gomez se commande un café, offre un thé à la caissière. Elle doit avoir la quarantaine, se maquille un peu trop et se parfume beaucoup trop, ce qui indispose Alexandre.
— Bon, dit-il, vous avez réfléchi à ce que je vous ai demandé ?
— Oui, répond Amanda. Mais je ne connaissais pas toutes les personnes qui ont croisé le chemin de Laura. On était proches, c’est vrai, mais…
— Eh bien, dites-moi ce que vous savez. Chaque détail peut avoir son importance.
Gomez dégaine un calepin et un stylo de sa poche, ainsi que la liste écrite par Cloé.
— D’accord, je vais faire de mon mieux… Elle a fréquenté pendant deux ans un mec qui s’appelait Michaël. Il était vendeur dans une des boutiques du centre. Le magasin de sport, vous voyez ?
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