Gomez hoche la tête. Il note le nom, le prénom.
— Quel genre ?
— Le genre banal ! Sans histoires… Un peu ennuyeux, même. Assez quelconque. Et puis, un jour, il l’a plaquée. C’était avant qu’elle se fasse virer. Vraiment, je ne vois pas quoi vous raconter sur ce type, je le trouvais vraiment insignifiant. Alors que Laura, elle, avait un caractère bien trempé !
— Hum… Quoi d’autre ?
— Laura ne côtoyait pas grand monde, elle était plutôt solitaire. Beaucoup de gens la trouvaient hautaine, distante et froide. Mais c’est faux, vous savez. C’est seulement l’impression qu’elle donnait à ceux qui ne la connaissaient pas.
Hautaine, distante et froide . Comme Cloé, finalement, songe le flic.
Amanda livre encore quelques noms, quelques prénoms. Rien d’alléchant pour Gomez qui commence à se dire qu’il ne trouvera rien ici.
— Vous savez, reprend Amanda, depuis votre coup de fil, je me suis creusé la cervelle et y a un truc qui m’est revenu. C’est sans doute sans importance, mais…
— Allez-y, encourage le commandant.
— Eh bien, je sais que Laura avait rencontré un type dans une soirée. Un type qui lui avait tapé dans l’œil. Elle m’en a parlé quelques fois. Souvent, même.
— Comment s’appelait-il ?
— Aucune idée ! Elle m’a sans doute dit son prénom, mais je vous avoue que je n’arrive pas à m’en souvenir. En tout cas, elle l’avait trouvé beau, ténébreux, séduisant…
— C’est mon portrait tout craché ! s’amuse Alexandre.
Amanda se met à rire, elle ajoute un sucre dans son thé.
— Seriez-vous un psychopathe ?!
— Il paraît… Alors, ce mec, que pouvez-vous m’en dire ?
— Après cette rencontre, elle m’en a parlé plusieurs fois, répète Amanda. Elle m’a dit qu’elle aimerait le revoir.
— Elle était avec ce Michaël, à l’époque ?
— Oui. Mais je crois qu’elle n’était pas très heureuse.
— Je vois… Ça s’est passé à quelle période ?
— Environ trois ou quatre mois avant qu’elle se fasse licencier.
— OK, ça m’intéresse. Donc, ce mystérieux don Juan lui tape dans l’œil au cours d’une soirée et… ?
— Et elle réussit à avoir son numéro de téléphone par la personne chez qui elle l’a rencontré. Elle l’appelle, ils se filent rancard. Ils boivent un café, puis un autre. Mais au troisième rendez-vous, il lui apprend qu’il est marié et qu’il a des gosses.
— Aïe… ça rompt le charme !
— On peut dire ça ! confirme Amanda avec un sourire qui sent le vécu. Le type lui a expliqué qu’il ne pouvait pas aller plus loin avec elle, même s’il était très attiré par elle. Obligations familiales obligent… et bla-bla-bla ! Vous voyez le topo ? Je me suis dit qu’il n’aurait pas dû la revoir trois fois avant de lui avouer ça. Elle s’est fait des rêves pour rien. Je trouve que c’est vache, non ?
— Peut-être qu’il a eu peur au moment de franchir le pas. Les hommes ont parfois besoin de se prouver qu’ils peuvent séduire.
— Ouais, mais c’est quand même dégueulasse ! D’ailleurs, je crois que Laura en a souffert. J’avais l’impression qu’elle avait vraiment eu un coup de foudre pour cet homme, parce que après elle a changé. Même si ça n’a sans doute aucun rapport, c’est à partir de ce moment-là qu’elle s’est renfermée sur elle-même et qu’elle a déconné niveau boulot. Elle arrivait en retard, elle était agressive avec les clients…
Une alerte s’allume dans le cerveau de Gomez.
— Dites-moi que vous vous rappelez le nom de cet homme ! supplie-t-il. Ou au moins son prénom ! Un détail, quelque chose !
— Je n’ai jamais su son nom, je vous l’ai dit. Je ne me souviens même pas de son prénom, désolée. Par contre, je me rappelle très bien ce qu’il faisait dans la vie, parce que c’est pas banal…
Alexandre retient sa respiration.
— Il était infirmier dans un hôpital psychiatrique.
Encore interloqué par ce qu’il vient d’entendre, Alexandre demeure un moment immobile au volant de sa voiture.
— Incroyable ! Je l’avais sous les yeux… Je l’avais devant moi, ce salaud !
Il commence à réfléchir à la meilleure façon d’agir pour coincer ce malade.
Parce que Alexandre en est sûr : l’Ombre n’est autre que Quentin. Le séduisant et énigmatique Quentin. Bon mari, bon père, sans doute. Qui passe pourtant ses fins d’après-midi avec la meilleure amie de Cloé. Qui occupe son temps libre à terroriser une femme. Après en avoir poussé une autre au suicide. Le voilà, le fameux point commun entre Laura et Cloé.
Son portable sonne, il met un temps à décrocher, encore sous le choc. La voix de Cloé le ramène à la réalité.
— Qu’est-ce qui se passe ?
— Rien… J’avais juste envie de te parler, répond la jeune femme. T’es où ?
— Sur le parking d’un supermarché.
— Tu fais quoi ?
Il hésite un instant à lui révéler qu’il est sur une piste, sérieuse. Mais il se ravise.
— Je continue à chercher.
— Sur un parking de supermarché ? s’amuse Cloé. Drôle d’endroit pour enquêter !
— Tu veux qu’on déjeune ensemble ? propose soudain Alexandre.
Cloé est surprise, il devine qu’elle sourit.
— Oui, avec plaisir !
— Je reviens sur Paris… Je serai là dans une grosse demi-heure, ça te va ?
— C’est le resto où je venais tout le temps avec Caro, dit Cloé.
Gomez se hâte de saisir la perche qu’elle lui tend.
— J’ai trouvé que son mec était bizarre, non ?
— Quentin ? Bof… Je ne dirais pas ça. Un peu mystérieux, peut-être.
— Moi, je l’ai trouvé antipathique, prétend le flic. Qu’est-ce qu’il fait dans la vie, déjà ?
— Infirmier psychiatrique.
— Ah oui, c’est vrai ! Tu sais où il bosse ?
— À Villejuif. Dans un truc un peu spécial, je sais plus comment ça s’appelle… Un endroit où on enferme ceux qui sont vraiment dangereux.
— Une UMD ? suppose Alexandre.
— C’est ça, oui ! Une UMD. Ça veut dire quoi, au fait ?
— Unité pour malades difficiles.
— Drôle de boulot, quand même. Mais il paraît que là-bas, les infirmiers ont une prime spéciale, genre prime de risques, alors je suppose que ça motive le personnel ! Et en plus, Quentin y travaille la nuit, alors…
— Seulement la nuit ?
— Je sais pas. Il m’a dit qu’il faisait souvent les nuits.
— Et il est marié et père de famille, c’est ça ?
— Oui. Mais pourquoi tu t’intéresses tant à lui tout d’un coup ? s’étonne la jeune femme.
— Comme ça. Je te l’ai dit, je l’ai trouvé bizarre.
— Bizarre comment ? Tu veux dire que tu le soupçonnes d’être… ?
— Non ! s’empresse de répondre Gomez. Rien ne me permet de le soupçonner. Ceci dit, tous ceux qui t’ont approchée de près ou de loin deviennent des suspects potentiels.
— Évidemment… Mais bon, je le connais à peine, Quentin. Et je ne vois pas quel intérêt il aurait à… Tu le soupçonnes vraiment ?
— Je viens de te le dire : je n’écarte aucune piste. Et je ne me suis pas encore intéressé à lui. Ni à Carole, d’ailleurs.
— Carole ? Tu plaisantes, j’espère !
— Pas le moins du monde. Tu sais comment il s’appelle ?
— Non.
— Tu connais son adresse ?
— Non plus, regrette Cloé.
Elle lui prend la main.
— Heureusement que tu es là pour veiller sur moi.
— Seulement pour ça ? demande Alexandre en souriant. Allez, raconte-moi un peu comment Carole a rencontré ce type, comment elle est tombée amoureuse de lui…
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