Même si c’est un homme qui flirte avec le désespoir.
Mais Cloé saura bien le reconvertir au bonheur, au goût de la vie. La vie à deux.
Elle entre dans l’ascenseur sans avoir croisé personne, appuie sur le zéro. Alors qu’elle devrait se concentrer sur son entretien, elle pense à Alexandre. Qui enquête le jour et passe ses nuits auprès d’elle. Car même si l’Ombre a disparu, le commandant continue à chercher qui s’est ainsi acharné sur elle. Il n’a pas dit son dernier mot.
Cloé non plus…
Oui, j’arriverai à l’apprivoiser, se répète-t-elle. À faire en sorte qu’il soit à moi.
À faire en sorte de ne plus être seulement le reflet d’une morte.
Elle sent bien que pour le moment, il est simplement de passage. En transit avant de mettre les voiles vers une destination inconnue.
Chaque soir, elle est surprise de le trouver sur le pas de sa porte.
Chaque nuit, elle est surprise de s’endormir dans ses bras.
Chaque matin, elle est inquiète de le voir partir.
N’ayant pas envie de parcourir le trajet en métro, Cloé décide de se rendre à la station de taxis toute proche. En attendant que le feu passe au rouge, elle consulte les messages sur son iPhone.
Une légère pression sur l’épaule, elle fait volte-face.
Le feu passe au rouge, la foule s’élance sur le passage clouté, comme emportée par le courant d’un fleuve invisible et puissant.
Mais Cloé reste sur la berge.
Elle ne bouge pas. Ne bouge plus. Fixant cet homme sans visage.
Capuche sur la tête, lunettes noires, foulard remonté jusque sur la bouche.
Les jambes de Cloé se mettent à trembler. Ses lèvres, juste après.
— Tu vas te mettre en retard, Cloé.
— Qui… qui êtes-vous ?
Même sa voix tremble.
— Ton pire cauchemar, on dirait… Tu croyais que j’avais renoncé, n’est-ce pas ? Tu croyais que c’était fini ? Tu penses qu’un simple verrou suffit à me décourager ? Tu crois qu’un chien de garde suffit à m’éloigner ?
Cloé garde la bouche ouverte, aspirant l’effroi à pleins poumons. Elle ne va pas tarder à s’étouffer. Sauf si son cœur lâche avant.
Cette voix maléfique s’enfonce en elle, tel un dard distillant un venin mortel.
— Tu es amoureuse de lui, Cloé ? Amoureuse de ce petit flic de merde ? Ou peut-être simplement que tu aimes baiser avec lui… C’est ça, Cloé ? Tu aimes ça ?
Cloé regarde autour d’elle. Appeler au secours. Mais ses cordes vocales sont coincées.
— Sache que je n’abandonne jamais, mon ange. Jamais.
C’est bien plus tard, alors qu’il est déjà loin, que Cloé se met à hurler.
Comme une démente.
Alexandre se réveille en sursaut. Il réalise qu’il est au volant de sa voiture et que son portable sonne. Il le cherche partout, finit par le trouver dans le vide-poche. Trop tard…
Ça fait des heures qu’il planque devant l’immeuble où vit Bertrand. Des jours qu’il lui colle au train, observant chacun de ses mouvements.
Pas grand-chose à lui reprocher, pour le moment. Il va au boulot, y passe une bonne partie de ses journées. Le soir, il part parfois en maraude, quand il ne reste pas sagement dans son appartement. Il a un comportement qu’on pourrait qualifier de normal, si la normalité existe.
Mais ce type est suspect, Gomez ne peut en disconvenir. Simplement parce qu’il a fait croire à Cloé qu’il fréquentait une autre femme et que, pour le moment, le commandant n’a pas vu le moindre jupon s’approcher de lui.
Certes, il est seul sur l’enquête et ne peut donc avoir Bertrand à l’œil vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Mais s’il avait une nouvelle conquête à son actif, impossible que le flic ne l’ait pas aperçue au moins une fois.
Alors, pourquoi avoir menti à Cloé ? Pourquoi avoir voulu la faire souffrir ainsi ?
Simplement pour s’en débarrasser, peut-être. Pour qu’elle renonce à lui.
Gomez perd sans doute son temps, s’étant laissé abuser par les certitudes inébranlables de Cloé.
Pour mener correctement ses investigations, il devrait avoir la possibilité de faire surveiller parallèlement Martins et de continuer l’enquête sur la mort de Laura.
La possibilité, aussi, d’éplucher les comptes bancaires des deux hommes, de les mettre sur écoute. Mais il a les pieds et les poings liés, agissant dans la plus pure illégalité. Sans moyens humains, financiers ou techniques.
Pourtant, quelque chose lui dit qu’il ne tardera plus à mettre la main sur ce monstre.
Aujourd’hui, Bertrand est resté cloîtré chez lui. Est-il en congé ? Malade ?
Alexandre allume une cigarette et consulte sa messagerie. La voix de Cloé lui fait l’effet d’un coup de poing dans l’estomac.
Alex, c’est moi… Il est revenu ! Il m’attendait dans la rue, il… il m’a menacée ! Il m’a dit des horreurs … Après l’appel au secours, un sanglot sans fin.
Gomez compose le numéro de Cloé qui décroche aussitôt.
— Il t’a fait du mal ?
— Non…
— Qu’est-ce qu’il t’a dit ?
Cloé tente de se rappeler chaque mot. Elle hurle dans le combiné.
— Essaie de te calmer… Essaie de te calmer, je t’en prie !
Il entend qu’elle pleure. Ça lui fait mal. Plus qu’il ne l’aurait imaginé.
— Tu vas à ton entretien ?
— Oui, mais je sais pas si je vais arriver à…
— Essaie de te calmer, répète inlassablement le flic. Il ne réapparaîtra pas aujourd’hui, j’en suis certain. Et je viendrai te chercher ce soir à ton travail, d’accord ?
— Oui ! gémit Cloé.
— Courage, tu vas y arriver. Je suis sûr que tu vas y arriver… Sois forte. Je t’embrasse.
— Moi aussi.
Gomez raccroche, tape violemment sur le volant.
C’est alors qu’il s’aperçoit que la voiture de Bertrand, garée à trente mètres de la sienne, a disparu pendant qu’il dormait.
Il est 18 heures lorsque les portes de l’ascenseur s’ouvrent. Cloé aperçoit Alexandre qui fait les cent pas dans le hall. Ils se dévisagent un instant. C’est tellement douloureux…
Cette peur, qui lui colle à nouveau à la peau. Qui lui va comme un gant.
Elle l’avait un peu oubliée, mise à l’écart. Aujourd’hui, elle est revenue en force.
Je n’abandonne jamais, mon ange .
Puis Alexandre la prend dans ses bras, la serre longuement contre lui.
— Je suis là, dit-il. C’est fini.
Elle aimerait tellement qu’il ait raison. Pourtant, elle sait qu’il se trompe. Et les mots n’arrêtent plus de résonner dans sa tête… Tu aimes ça, Cloé ?… Je n’abandonne jamais .
— Viens, dit Gomez. On prend ma voiture. Je t’accompagnerai demain matin.
Cloé se laisse faire, rassurée qu’il soit là. Qu’il décide pour elle. Ils montent dans la 407, garée en double file. Alexandre s’aperçoit que sa passagère détaille avec angoisse ce qui les entoure.
— Je suis sûre que ce salaud nous observe ! Je suis sûre qu’il est là, quelque part…
— Peut-être. Mais tant que je suis près de toi, il restera à distance, affirme Alexandre.
La Peugeot s’incruste dans la circulation, Cloé étend ses jambes. L’impression que ses muscles sont en bois, qu’elle manque d’air. Elle ouvre la vitre, ferme les yeux.
— Si tu avais entendu sa voix, murmure-t-elle. Les horreurs qu’il m’a dites…
— C’est la première fois qu’il te parle, non ?
— Il m’a parlé le soir où il est venu chez moi. Quand je t’ai appelé.
— Tu as reconnu sa voix, cette fois ? espère Alexandre.
— Il avait un foulard sur la bouche.
— Mais quand même, il était près de toi, tu as pu voir son visage ! insiste le commandant. La forme de son visage… Est-ce que tu as eu l’impression de le connaître ?
Читать дальше