— Ben non. J’étais crevée, je dormais… C’est mon portable qui m’a réveillée, à quatre heures trente… De toute façon, c’était trop tard. L’autre était déjà morte !
— Non ! Je te le répète elle était encore en vie quand Marianne a commencé à demander de l’aide !
— Et moi je répète que cette fille ne sait que mentir ! Peut-être qu’elle l’a forcée à avaler les somnifères. Elle est capable de tout !
— Vraiment ? poursuivit le chef en se levant. Va donc la voir ! Va voir comme elle est malheureuse ! Traumatisée par ce qui s’est passé cette nuit !
— Elle ? Malheureuse ? Traumatisée ? rétorqua Solange avec un odieux sourire. Mais c’est une criminelle de la pire espèce ! Vous avez l’air de l’oublier. Vos sentiments pour elle vous égarent, chef !
Il reçut le Scud en pleine tête. Perdit momentanément la parole. Mais Justine vola à son secours.
— Marianne n’aurait jamais fait une chose pareille !
— Ah oui ? Et Giovanna, alors ? C’est peut-être pas Gréville qui l’a tuée !
— Non, coupa Daniel. Et elle n’a pas tué madame Aubergé non plus ! Elle a même tout fait pour la sauver. C’est toi qui l’as tuée !
— Je ne vous permets pas de porter de telles accusations, monsieur ! envoya Solange.
Elle le fixait bien en face. Elle bougea les lèvres. Il devina un mot. Photo . Ses mâchoires se crispèrent sur le silence.
— Je n’ai tué personne, reprit calmement Pariotti. Je ne me suis pas réveillée, ce sont des choses qui arrivent. De toute façon, l’autre aurait fini par se suicider, on le savait tous, ici…
— L’autre s’appelait Emmanuelle Aubergé ! rappela Daniel.
— Peu importe comment elle s’appelait. Elle avait massacré ses gosses. Rien à foutre qu’elle soit morte ! Elle méritait pas mieux, de toute façon… On va pas se prendre la tête pendant cent ans pour cette demeurée !
Justine la foudroya du regard et se planta devant elle.
— T’es vraiment une pourriture, Pariotti ! T’as rien à faire parmi nous !
Solange lui répondit par un haussement d’épaules. Justine, à bout, quitta la pièce. Le chef retomba sur son fauteuil. Anéanti. La Marquise se pencha vers lui.
— Un bon conseil, Daniel ; ne me cherche pas de problèmes, ça vaut mieux pour toi et ta famille… J’ai le sommeil lourd, je ne me suis pas réveillée. C’est clair ?
— Sors de mon bureau ou je te tue !
— Fais pas cette tête ! Je t’ai rendu service, non ? Tu vas pouvoir recommencer à la sauter dans sa cellule, maintenant que l’autre est plus là ! T’auras plus à te réfugier dans la bibliothèque ! Mais dépêche-toi d’en profiter, parce que j’ai dans l’idée qu’elle va pas faire long feu ta petite protégée…
Elle prit enfin la porte, il envoya valser les dossiers qui encombraient son bureau d’un geste de fureur.
*
Cellule 119 — 10 h 00
L’agitation dans le couloir indiqua à Marianne que l’heure de la promenade avait sonné. Elle n’avait pas quitté son lit, incapable de bouger. Comme prisonnière des décombres.
Pourquoi ? Pourquoi Emma avait-elle choisi d’abandonner ? Facile à deviner… C’était ce qu’elle souhaitait depuis le début, bien avant d’être emmurée ici. Pour ne plus affronter la culpabilité. Bien pire que l’enfermement ou les coups. Pire que tout, Marianne le savait bien.
Elle se sentait orpheline. N’entendrait plus jamais sa respiration régulière au cœur de la nuit.
J’ai de la chance de l’avoir connue. D’avoir croisé son destin. Elle est peut-être mieux, désormais. La mort n’est pas toujours le plus terrible des maux. La vie est souvent bien plus cruelle. Mais pour ceux qui restent, c’est la double peine.
Elle alluma sa Camel, retranchée sur son matelas défoncé. Elle s’accrochait à son rêve pour résister à la désespérance qui s’insinuait en elle.
Au chagrin qui transpirait par chaque pore de sa peau.
Je quitterai bientôt cet enfer. Mais toi, Fantôme, je ne t’oublierai jamais. Toi à qui j’ai fait tant de mal. Toi pour qui j’ai risqué ma vie, aussi. Toi que je n’ai pas réussi à sauver. Si seulement cette salope de Marquise… Justine ouvrit la cellule.
— Comment ça va, Marianne ?
— Mal. Elle me manque, tu peux pas savoir… C’est l’autre ordure qui l’a tuée ! Elle l’a fait exprès, j’en suis sûre !
Sa voix était encore éraillée. Pleine de défaillances. En dents de scie.
Justine préféra lui cacher ce qu’elle avait entendu dans le bureau du chef. Inutile d’exacerber ses envies de vengeance.
— Elle prétend n’avoir rien entendu…
— Et tu la crois ?! s’emporta Marianne en essayant de crier.
— Je sais pas… Tu descends dans la cour ? Il fait beau. Il y a un grand soleil ! Ça te ferait du bien.
— Pas envie…
Daniel poussa une gueulante dans le couloir pour calmer les filles qui piaffaient d’impatience. Puis il passa la porte ouverte.
— J’arrive, dit Justine comme pour s’excuser.
— Elles peuvent attendre ! répliqua Daniel. Tu viens, Marianne ? Allez, habille-toi et mets tes pompes !
— J’ai pas envie !
— J’ai renvoyé Pariotti chez elle… Je la remplace pour aujourd’hui. Je préfère que les filles ne la voient pas après ce qui s’est passé cette nuit… Allez, Marianne, dépêche-toi, s’il te plaît…
Elle poussa un soupir mais se leva quand même.
— T’as peur que je la bute, c’est ça ? supposa-t-elle en le fixant dans les yeux.
— Arrête tes conneries ! Je veux plus entendre ça, OK ? Allez, magne-toi, les filles commencent à trouver le temps long… D’ailleurs, j’y retourne.
Il repartit dans le couloir et cria encore un bon coup. Marianne passa un tee-shirt, un jean et ses baskets. Puis elle suivit Justine jusque dans la coursive. Le chef donna l’ordre de marche, le troupeau se dirigea vers la liberté.
Vrai que le soleil était beau à la veille de l’été. Marianne se posa sur la dernière marche de l’escalier. Trop fatiguée pour courir. VM la rejoignit et pressa une main affectueuse sur sa nuque.
— J’arrive pas trop à parler, s’excusa Marianne.
— Pas étonnant… Avec ce que tu as gueulé cette nuit !
— La Marquise m’a entendue, j’en suis certaine… Mais elle affirme le contraire… Quelle pourriture !
— Elle a entendu, confirma VM en se roulant une cigarette. Paraît que même les surveillants de l’autre bloc ont entendu… Elle était consciente quand tu as commencé à appeler ?
— Oui… Elle m’a même parlé… Et puis elle a sombré.
— Tu sais que ça devait arriver, Marianne… Elle n’était pas de taille pour supporter tout ça.
— J’aurais pu la sauver, putain !
— Non. Cette nuit, peut-être. Mais elle aurait recommencé. De toute façon, le toubib lui donnait généreusement de quoi se foutre en l’air n’importe quand. Le jour où ils comprendront qu’il faut filer les calmants au jour le jour et pas pour deux semaines !
— J’aurais pu la sauver ! s’entêta Marianne. Si elle avait eu le temps de revoir son fils, elle se serait battue, j’en suis sûre…
Soudain, elles s’aperçurent qu’une dizaine de détenues s’étaient massées au pied des marches, face à elles. Marianne reconnut la métisse croisée dans les douches. Sa chevelure flamboyante indiquait la direction du vent avec grâce. Ce fut elle qui s’exprima au nom du groupe.
— On est désolées pour ta co-détenue…
— Merci, souffla Marianne avec un soupçon de voix meurtrie.
Des voix s’élevèrent, d’autres filles rejoignirent le rassemblement. On pouvait entendre des À mort la Marquise ! s’envoler dans la brise. Daniel s’approcha aussitôt, craignant un début de rébellion. Les détenues le prirent à partie. Est-ce qu’elle va payer ? Est-ce que c’est normal qu’elle ait laissé crever une détenue ?
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