— Vous pouvez rester avec elle le temps que je revienne ? Il faut lui parler, la secouer un peu…
— Oui, bien sûr.
Le toubib disparut. Daniel prit la main de Marianne dans la sienne. Elle ouvrit à nouveau les yeux. Sur un ciel bleu.
— Je suis où ? Qu’est-ce que j’ai ?
— Dans le cabinet du doc. Tu as pris des médicaments, apparemment…
La came, les cachets… Flou artistique.
— Pourquoi ? T’as failli y rester, ma belle… Me refais plus jamais ça ! dit-il en embrassant sa main.
Elle se redressa, il l’aida un peu. Mais son visage se crispa.
— Quoi ?
— Mon genou… Je suis tombée du lit… J’ai voulu descendre et je me suis viandée !
— Le toubib va revenir, il va s’en occuper.
Elle passa ses bras autour de lui, cala sa tête dans son ventre. Elle était bien. Tout lui semblait si clair, ce matin. Le dilemme avait disparu au moment où elle avait repris conscience. Comme si son esprit avait trouvé dans ce coma la force de réfléchir. Elle tenait la solution, avait trouvé sa réponse.
Elle le serra un peu plus fort. Bientôt, elle ne le verrait plus. Ça lui fit une drôle de douleur. Jamais elle n’aurait pensé regretter quelque chose ou quelqu’un en quittant cet enfer.
Cour de promenade — 16 h 00
Beaucoup s’étaient réfugiées sous le petit préau, certaines avaient renoncé à sortir. Tout ça pour une pluie fine et tiède. Marianne boita jusqu’à l’acacia, savourant ce don du ciel. Bientôt, elle pourrait savourer tout ce que la vie avait à offrir. Elle avait encore du mal à y croire. Son cœur bondissait de joie à chaque battement.
Daniel et Justine étaient en haut des marches, sous une avancée du toit. Marianne et lui échangeaient quelques sourires complices.
Serait-il triste lorsqu’elle déserterait la prison ? Oui. Peut-être même qu’il allait pleurer. Cette idée la rasséréna. Sauf qu’elle aussi serait triste. Comment pouvait-elle penser ça ?
J’suis dingue, ma parole ! Rien à foutre de lui… Après tout le mal qu’il m’a fait.
Pourtant, ça s’accrochait en elle, ça gâchait un peu son allégresse.
Mais elle oublierait vite. Dans le feu de l’action, dans la liberté retrouvée.
Elle eut un petit rire. Comment avait-elle pu ne pas trouver la solution plus tôt ? C’était si limpide, pourtant ! Accepter le marché, attendre l’évasion miracle. Et, ensuite, s’évaporer dans la nature. Elle arriverait bien à échapper à la vigilance de quelques flics. Il y aurait forcément un instant, même furtif, où ils relâcheraient leur surveillance. Bien sûr, elle n’aurait ni les papiers, ni le fric. Mais elle n’aurait pas non plus un nouvel assassinat sur la conscience. Elle était forte, débrouillarde et intelligente. Elle s’en sortirait. Ils se retrouveraient comme des cons avec rien au bout de l’hameçon ! Elle jubilait, oubliait d’avoir peur. Oubliait la perspective effrayante d’une cavale. Oui, c’était gagné d’avance. Un don de la providence, un cadeau du destin. Depuis qu’elle attendait ce petit coup de pouce !
J’ai bien fait de résister jusqu’à aujourd’hui. Je vais enfin avoir une vie, une vraie. Respirer l’air du dehors. Plus de barreaux ou de barbelés.
Plus de fouilles, de brimades, d’humiliations. Plus de cachot.
Justine alla faire un tour sous le préau, Daniel en profita pour s’approcher d’elle.
— Ton genou, comment ça va ?
— Entorse. Le toubib m’a foutu de la pommade et un bandage serré… Ça peut aller.
— Tant mieux… Je te trouve étrange, depuis ce matin. Tu souris tout le temps !
Attention, ne pas éveiller les soupçons ! Il s’adossa à l’arbre, juste à côté d’elle.
— Ben… je sais pas, je me sens bien, c’est tout… ça doit être les cachetons d’Emma !
— C’était qui le type du parloir, hier ?
Elle eut un frémissement imperceptible, rigola. Alluma une cigarette.
— Juste un vieux pote… Un type qui m’avait aidée quand j’étais dans la merde.
— Vraiment ? Et il n’était jamais venu te voir depuis que tu es là ?
— Il n’était pas dans la région. Il ne pouvait pas venir.
— Il ne t’écrit jamais, non plus ?
— Eh ! T’es flic ou quoi ?!
— Non, répondit-il. Je m’intéresse à toi, c’est tout…
— T’es jaloux ? soupçonna-t-elle avec un sourire malicieux.
À son tour de rire.
— Pourquoi ? Tu as couché avec lui pendant le parloir ?
— Qui sait… T’es jaloux, ma parole !
Il nia d’un signe de tête, soudain préoccupé. Un éclair déchira l’horizon, au-dessus des barbelés.
— Marianne, faut que je te dise que… Que tu ne dois pas…
Il avait apparemment du mal à trouver les mots. Elle tenta de l’aider.
— Tu essaies de me dire que tu ne m’aimes pas, c’est bien ça ? murmura-t-elle. Tu penses que je me fais des idées…
— Je ne veux pas te faire souffrir, Marianne.
— Ne t’inquiète pas ! Je profite simplement de ce qui nous arrive. C’est bien, non ?
— Oui, Marianne. C’est… très agréable. Mais, je suis surveillant et…
— Et moi, une détenue. Je sais ! Je ne l’oublie pas. Si ça peut te rassurer, je ne t’aime pas, moi non plus.
Il garda le silence quelques secondes. Puis revint sur son idée fixe.
— Je te parlais de ça, parce que je ne peux pas me permettre de…
— Arrête avec ça ! ordonna-t-elle d’une voix un peu brutale. Je sais qui tu es et qui je suis. D’ailleurs, ne crois pas que tu vas m’acheter aussi facilement… Je n’ai pas changé, tu sais. Je suis toujours Marianne de Gréville !
— Marianne la terreur ?
— Ouais…
— C’est noté !
— Tu devrais pas rester collé à moi. Les filles pourraient se poser des questions…
Il la remercia d’un regard et s’éloigna. À regret.
Bientôt, je ne serai plus une détenue. Je serai une femme libre.
Lundi 6 juin — 9 h 45 — Cellule 119
Pour patienter jusqu’à l’heure de la promenade, Marianne s’était plongée dans un roman tandis que sa co-détenue avait pris son tour de « salle de bains ». Elle avait commandé un autre Steinbeck à la bibliothèque, après l’émotion sublime Des Souris et des Hommes . Elle attaquait les premiers chapitres avec avidité. Et, déjà, elle n’était plus en prison, voyageait quelque part À l’Est d’Éden …
Emmanuelle sortit du réduit avec sa serviette sur l’épaule, lui adressa un petit sourire. Marianne abandonna sa lecture et alluma une cigarette.
— Ça va Emma ?
— Oui…
La Fantôme avait regagné ses appartements du premier étage durant le week-end. Sa figure avait désenflé, le bleu des ecchymoses virait au violet, voire au jaune par endroits. Signe qu’elle retrouverait sous peu un visage humain. Édenté, certes, mais humain.
Depuis deux jours, elle se levait mais refusait toujours de quitter la cellule. La veille, Justine avait eu la gentillesse de l’emmener à la douche en dehors des horaires. Marianne avait profité de l’aubaine. Les dix douches pour elles toutes seules ! Elles avaient prolongé le plaisir jusqu’à se flétrir la peau sous l’eau chaude, la surveillante ayant malencontreusement oublié sa montre aux vestiaires. Marianne avait même aidé Emmanuelle à se rhabiller, tant elle était encore faible et gênée dans les moindres mouvements de la vie quotidienne. Devant la mine étonnée de Justine, elle avait marmonné que c’était pour gagner du temps.
Elle percevait un bouleversement intérieur, ne comprenait pas encore cette nouvelle Marianne. Des heures passées au chevet de sa co-détenue, à la rassurer, à lui amener des verres d’eau ou le petit-déjeuner au lit. Elle lui avait même fait la lecture ! Elle s’explorait méthodiquement, cherchait les raisons de cette brusque métamorphose. Sa libération prochaine ? La tendresse d’un homme… ?
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