— Vos petits copains ne sont pas là ? s’étonna-t-elle avec un sourire ironique. Je leur ai fait peur la dernière fois ? À moins que ce ne soit l’endroit qui les ait effrayés…
— Non ! Mais maintenant que vous connaissez l’équipe, inutile que nous revenions à trois…
Elle sortit de son paquet de Camel la dernière cigarette avant de le lancer dans sa direction.
— J’espère que vous n’avez pas oublié mon petit cadeau ! fit-elle en allumant sa clope.
Il récupéra un paquet neuf dans la poche de son pantalon et le lui donna en souriant.
— Un bon point pour vous !
— J’étais déçu, la dernière fois… Je suis venu pour rien.
— Excusez-moi, monsieur le policier, mais j’ai eu un petit empêchement.
— Paraît que vous étiez au quartier disciplinaire…
— Exact. Mais je préfère le mot cachot. C’est plus en rapport avec la topologie des lieux, lieutenant !
Il souriait encore. Aimait sa répartie. Son arrogance presque maladive. Son magnétisme animal. Il approcha un peu son visage du sien. Et, sur le ton de la confidence :
— Je ne suis pas lieutenant. Je suis commissaire principal…
— Ouah ! Alors là, je suis très honorée ! Un commissaire pour moi toute seule !
— Pourquoi étiez-vous au mitard ?
— J’ai cassé les couilles au chef…
— Cassé les couilles ? Ça suffit à descendre au cachot ?
— Je ne parlais pas au sens figuré ! précisa Marianne avec malice.
Il fut d’abord surpris puis finit par rigoler franchement.
— Bon, si nous reparlions de notre affaire ? Avez-vous réfléchi à ma proposition ?
— Il faut que j’en sache plus pour me décider.
Il sembla satisfait. Ce n’était pas un non catégorique.
— Vous savez, Marianne… Vous permettez que je vous appelle Marianne ?
— Je vous en prie, Franck !
— Je ne peux pas vous donner de détails…
— Entre des détails et rien, il y a peut-être une moyenne !
— Qu’est-ce que vous voulez savoir ?
— La mission qui sera la mienne…
— Je ne peux rien vous révéler à ce sujet, désolé.
Elle écrasa sa cigarette par terre.
— Est-ce que je devrai tuer ? Si vous ne répondez pas à ça, l’entretien est terminé.
Il hésita. Il la sentait déterminée. Il fallait jouer franc jeu. Prendre des risques.
— Oui, avoua-t-il enfin.
Un horrible frisson secoua ses vertèbres.
— Combien de personnes ?
— Une.
— Je m’en doutais, murmura-t-elle.
— C’est pour cela qu’on vous a choisie. Ça vous pose un problème ?
Le dégoût lui souleva le cœur. Une tueuse. Voilà tout ce qu’elle représentait, tout ce qu’elle était. Elle se leva, aligna quelques pas. Elle se retourna brusquement, le poignarda du regard.
— Non, bien sûr que non ! s’écria-t-elle. Je suis née pour tuer, pas vrai ? Je m’éclate quand je bute quelqu’un, je prends mon pied !
— Restez calme, s’il vous plaît… Ne hurlez pas.
Elle tenta de contrôler l’éruption volcanique. Au moins, maintenant, elle avait confirmation de ce qu’elle redoutait depuis leur première rencontre. Mais elle ressentait le besoin de plonger plus avant dans l’horreur.
En espérant que ça la déciderait à dire non.
— Une femme ou un homme ? Jeune ou vieux ?
— Écoutez Marianne, je ne vous révélerai rien de plus. Une fois la mission accomplie, vous aurez une nouvelle identité, un bon paquet de fric pour quitter le pays…
Il s’approcha d’elle, avec une certaine prudence.
— Nous vous avons choisie… Car vous avez du sang-froid, de la force. Vous savez vous battre, vous n’avez peur de rien. Et… Vous avez déjà tué, sans hésiter…
Elle le dévisageait férocement. Deux scalpels au fond des prunelles.
— T’es en train d’insinuer que j’ai tué froidement ? C’est bien ça que tu entends par sang-froid ? C’était des accidents ! Des putains d’accidents !
Le visage du flic se modifia. Son masque parfait se craquelait.
— Ah oui ? Le vieux, tu l’as bien frappé, non ? Il est pas tombé dans un escalier ! Et les deux flics ? Tu pouvais te rendre… Mais t’as vidé ton chargeur… Et la gardienne ? Paraît que tu t’es acharnée sur elle jusqu’à la défigurer et que t’as joué aux osselets avec ses cervicales…
Il recula un peu, un seul petit pas, face à ses yeux noirs étincelants de fureur ; à ses mains qui s’étaient transformées en armes. Il avait devant lui celle qu’il était venu chercher. La tueuse.
— Et la détenue, hein ? Celle que tu as massacrée en centrale ? Tu as tué trois personnes. Trois. Et anéanti la vie de deux autres.
Marianne avait de plus en plus de mal à se contrôler. Les mains posées contre le mur, elle avait fermé les yeux.
— Le vieux, c’était un accident, murmura-t-elle dans un souffle. Les flics, c’était parce qu’ils allaient me tuer. La gardienne, c’était parce qu’elle était en train de me rendre folle. La détenue, c’était elle ou moi… Je les ai tués parce que j’ai pété les plombs ou parce que je n’avais pas le choix ! Pas froidement ! Pas avec préméditation !
— Exact, admit-il en s’allumant une cigarette.
Marianne aurait pourtant juré qu’un type comme lui ne fumait pas. N’avait aucun vice, aucune manie. Comme un robot froid à la programmation parfaite.
— Il me faut une réponse. À toi de choisir ton avenir, désormais. Soit tu pourris ici jusqu’à la fin de tes jours, soit tu sors et tu recommences une nouvelle vie. La liberté, Marianne, tu dois en rêver chaque jour, chaque minute, non ?
— Ta gueule !
Il la laissa se reprendre. Elle mit de longues secondes à apaiser le feu qui la consumait.
— Je dois tuer qui ?
— Je ne te dirai rien de plus… Mais si ça peut t’aider, tu rendras service à tout le monde en commettant cette action. Tu te rachèteras, en quelque sorte…
Action . Pourquoi ne pas dire meurtre ? Assassinat, plutôt.
— J’ai pas envie de me racheter ! hurla-t-elle. Rien à foutre !
— Mais si, Marianne… Tu es rongée par la culpabilité. Y a qu’à te regarder, t’écouter parler…
Le flegme de ce flic lui crêpait les nerfs.
— J’ai besoin de temps pour réfléchir…
— Je n’ai pas de temps à t’accorder. Je veux une réponse.
— Alors c’est non.
Il sembla ébranlé. Enfin. Son cerveau accéléra pour sortir de l’impasse.
— OK, je veux bien te laisser encore quelques jours… Tu as des questions, auxquelles je peux répondre, bien sûr… ?
Elle revint s’asseoir en face de lui.
— L’évasion, comment ça va se passer ?
— Eh bien, si tu acceptes le marché, nous en reparlerons…
— On en parle maintenant ! ordonna-t-elle durement.
— À l’occasion d’un transfert. Il faudra que tu t’arranges pour être sortie de la prison. Il y a plusieurs possibilités. Je serai prévenu du moindre de tes mouvements…
— T’as un complice ici ?
Il hocha la tête. Elle comprit qu’elle avait mis le doigt dans un engrenage monstrueux. Quelque chose qui la dépassait complètement.
— Tu pourrais feindre un problème de santé pour qu’ils t’envoient à l’hosto, par exemple. Les trajets vers l’hôpital ne sont escortés que par deux surveillants. Nous pourrions te cacher une arme dans le fourgon cellulaire…
Ils pouvaient faire ça ? Ils avaient donc tant de pouvoir ?
— Je te signale, monsieur le super flic, que pendant un transfert à l’hosto, on a les poignets et les chevilles attachés… Dur de braquer deux matons avec les mains menottées dans le dos, de se barrer en courant avec les pieds entravés ! Si t’as encore une idée géniale dans le genre…
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