— Tu as raison. Eh bien, dans ce cas, nous interviendrons nous-mêmes pour te libérer.
— Vous allez braquer le fourgon ?!
— Pourquoi pas ?
— Mais ça signifierait que j’ai une complicité extérieure ! Comment veux-tu qu’on gobe ces salades ? Je suis ni un braqueur de banques ni un mafioso ! J’ai pas d’amis, j’ai jamais eu de complice pour aucun de mes crimes ! Ils vont bien se douter qu’il y a quelque chose de louche !
— Tu n’as pas à te poser ce genre de questions. La seule que tu dois te poser, et à laquelle tu dois répondre, c’est si tu veux ou non retrouver ta liberté.
— Non. Celle que je dois me poser c’est si je suis prête à tuer pour ça… Si je suis prête à ôter la vie, une fois encore. À un innocent, en plus.
— Pas à un innocent, tu peux me croire.
— En tout cas, à quelqu’un qui ne m’a rien fait…
— Pas si sûr, rectifia-t-il d’une voix à peine audible.
— Hein ?
— Rien… Pour l’évasion, on s’en occupera le moment venu.
Il s’approcha de l’interphone.
— Je reviens dans quelques jours. Je te laisse encore réfléchir. Mais c’est ta dernière chance de sortir d’ici. Si tu n’es pas au rendez-vous ou si tu refuses, je trouverai un autre détenu qui sera intéressé par ma proposition. J’aimerais seulement que ce soit toi…
— Pourquoi ?
— Parce que, justement, tu n’as jamais commis de crime avec préméditation. Tu mérites peut-être une chance…
— Mais si j’accepte, j’en commettrai un…
— Ça sera ta façon de te racheter. Ne laisse pas passer ta chance, Marianne. Ne te condamne pas… Car tu sais aussi bien que moi qu’ils ne te laisseront jamais sortir d’ici.
Elle eut l’impression de recevoir le ciel sur la tête.
— J’apprécie ton hésitation. Ça veut dire qu’il y a du bon en toi. Et n’oublie pas ça : ce n’est pas un innocent.
Elle tourna la tête, pour cacher son désarroi. Il appuya sur le bouton rouge et attendit. Une surveillante arriva rapidement et il se retourna avant de disparaître.
— À bientôt, Marianne.
*
Cellule 119 — 21 h 00
— Pourquoi tu t’énerves comme ça ? s’inquiéta doucement Emmanuelle.
— Lâche-moi ! s’écria Marianne.
Des heures qu’elle tournait en rond. Un truc à faire vomir un vieux loup de mer. Marianne regarda sa co-détenue qui squattait toujours son lit. Elle regretta de l’avoir remballée aussi durement. Ça veut dire qu’il y a du bon en toi .
Elle se posa sur le rebord du lit. Se força à lui sourire.
— Excuse-moi, Emma…
— C’est rien… Mais je vois bien que tu vas mal depuis que t’es remontée du parloir. T’es même pas allée dans la cour. Je voudrais seulement pouvoir t’aider…
— Tu ne peux pas. Personne ne le peut. Je dois trouver seule la solution à mon problème.
— Je suis certaine que tu vas la trouver, cette solution. Tu es si forte.
— Arrête de dire que je suis forte…
Elle ferma les yeux. Retrouva le visage de Daniel. Elle aurait aimé se blottir dans ses bras. Presque lui demander conseil. Mais elle ne pouvait se confier à personne. Seule face à un dilemme qui lui tourmentait l’âme avec des tortures toujours plus raffinées. Ça finirait par la tuer. Avant même que ce flic revienne. C’était tellement dur…
Deux voix en elle. Qui hurlaient dans sa tête à la rendre folle.
Qu’est-ce que t’en as à foutre de buter ce mec, Marianne ? Tu le connais même pas ! Tu seras libre ! Tu sortiras enfin de cet enfer ! Libre, Marianne ! LIBRE !
Tu ne peux pas tuer, une fois encore. Tu n’as pas le droit. Jamais tu ne pourras être libre si tu fais ça. Et puis, ils te tueront quand tu auras fini leur sale boulot, jamais ils ne te laisseront partir. C’est un piège. C’est la mort qui t’attend.
Elle monta sur la chaise et s’agrippa désespérément aux barreaux.
Pourquoi ils sont venus me chercher, moi ? Pourquoi ils m’infligent ça, à moi ? Ça veut dire que je ne suis pas n’importe qui.
Pas un innocent, tu peux me croire … Peut-être un chef mafieux, une pourriture de première. Un gros dégueulasse qui polluait la société. Jeune ? Vieux ? Qu’est-ce que ça change ? Comment arriverait-elle à tuer sans haine ou sans peur ? Car c’était bien là ses seules armes. Elle avait tué par haine, par colère. Ou simplement par peur. Ou par accident. Jamais froidement, jamais.
Arriverait-elle à appuyer sur la gâchette ? Pire, il faudrait peut-être tuer à mains nues… Elle redescendit sur terre. Le Fantôme avait fermé les yeux. Elle, elle avait tué par amour. Il y a tant de façons de tuer.
— Tu veux quelque chose ?
— Non, ça va aller, répondit Emmanuelle qui sombrait doucement sous l’effet des médicaments. Je vais essayer de dormir. Tu devrais en faire autant. La nuit porte conseil…
Marianne lui sourit tristement. Finalement, elle était contente de ne pas être seule, ce soir. D’avoir une âme à l’écoute, une présence dans ce désert. Elle grimpa sur le lit du haut.
Vingt ans. Encore le double à passer ici. À attendre la mort lente. La gangrène progressive.
Vingt ans et déjà dans la tombe. Sans connaître la vie, sans même se connaître. Avec le désespoir comme seul compagnon.
Pour le moment, c’était le doute qui l’avait envahie. Qui appuyait sur ses tempes, écrasait sa poitrine. Empoisonnait lentement son sang, tordait ses intestins dans tous les sens. Elle devait prendre sa décision. La prendre maintenant. Pour arrêter de souffrir. Mais elle aurait aimé que quelqu’un la prenne pour elle. C’était au-dessus de ses forces.
Elle se raccrocha à Daniel. Pensa à lui, à leur nuit. Au plaisir. Je compte pour lui, peut-être même qu’il m’aime, à sa manière. Elle essaya de se souvenir du parfum de sa peau, de la sensation incroyable, oubliée depuis si longtemps, de s’endormir contre quelqu’un. Et ses mains, ses mains qui lui manquaient tant…
Son esprit divagua alors jusqu’à la Marquise comme s’il tombait dans un marécage puant. Non, pas elle, pas maintenant ! Si encore ils m’avaient demandé de buter cette charogne !
Elle se mit sur le ventre, comprima l’oreiller dans ses bras. Commença à pleurer, à mordre le coussin. Au bout de cinq minutes, elle redescendit et vérifia que le Fantôme dormait. Elle prit sa trousse de toilette. Deux fixes en deux jours, c’était certainement une grosse connerie. Pourtant, ce soir, c’était la seule façon d’affronter ses cauchemars.
Elle eut la force d’enlever l’aiguille de sa veine et de tout planquer sous le matelas. Puis elle se rendit. Extirpe la fièvre de mon cerveau et les démons de mon corps. Donne-moi la liberté.
C’est alors qu’il surgit de nulle part.
Un TGV qui ravit son esprit. Elle ferma les yeux et le suivit. Loin, très loin…
… Centrale de R., encore.
Salle de gym. Odeurs âcres. Pas un uniforme en vue. Marianne fixe l’ennemie, droit dans les yeux. Le moment est venu. Celui où il va falloir frapper. L’Autre a une lame dans la main, elle veut lui offrir un voyage sans retour. Marianne s’en fout de mourir. Mais elle refuse de se laisser saigner comme une bête de boucherie. Par la pire des ordures, en plus. Elles se jaugent, épient chaque geste, jusqu’au moindre battement de cil.
De toute façon, Marianne ne frappera pas en premier. Elle n’a pas appris comme ça. Elle guette l’attaque, prépare déjà la riposte. L’Autre ne souhaite que ça, des mois qu’elle provoque cet ultime combat. Deux dominants sur le même territoire, le compte n’est pas bon. Un des deux doit mourir. Parce qu’aucun ne peut fuir. Marianne a osé lui tenir tête. La ridiculiser devant tout le monde. Marianne refuse toujours de se soumettre à la loi du plus fort. Alors, elle doit mourir.
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