Deux fois s’il te plaît en quelques secondes, un record personnel ! Il en était conscient et fit demi-tour. Dans la pénombre, elle devinait son sourire écrasant. Elle respira à fond.
— Je regrette de t’avoir parlé comme ça.
— Un peu facile, non ? Tu attaques et quand tu vois que t’es mal barrée, tu demandes pardon.
— Tu trouves ça facile de demander pardon ? Je ne connais rien de plus dur…
— Tu as peur que je te laisse pourrir dans ta misère ! T’as peur du manque, hein Marianne ?
— C’est vrai. Mais c’est ça qui te plaît, non ? Que je dépende de toi.
Il ne répondit pas. Inutile de lui donner raison.
— Je veux qu’on… qu’on continue comme avant.
Elle se détestait de descendre aussi bas. De blesser aussi cruellement son orgueil.
— Tu veux ? Et pourquoi je le voudrais, moi ? Si c’est pour subir ensuite tes crises et tes insultes, ça n’en vaut pas la peine !
— Je recommencerai plus, promit-elle.
Il arpenta le cachot, clefs et menottes s’entrechoquaient à sa ceinture, comme pour marquer le rythme de cette danse infernale.
— J’aimerais tout de même comprendre pourquoi tu te montres aussi odieuse envers moi…
— Parce que je te déteste, répondit-elle en regardant ses pieds.
— Bonne explication, en effet ! Sauf que je n’en crois pas un mot.
Mieux valait jouer franc jeu, maintenant. Au point où elle en était, ce n’était plus très grave. Elle n’avait plus rien à perdre. Pas même sa fierté qu’elle venait de brader au plus offrant.
— C’est vrai… En fait, je ne te déteste pas. Mais je me sens un peu déboussolée depuis l’autre nuit…
— Ça, je le comprends mieux… T’as mis du temps à l’avouer !
— Je ne sais pas vraiment ce que je ressens, c’est compliqué…
— Si tu étais venue m’en parler au lieu de m’agresser ?
— Et toi ? T’as vu comment tu m’as traitée ?
— Comme tu le méritais ! Tu n’as pas plus de droits que les autres filles, ici ! Si tu me parles mal, je te parle mal ! Logique non ?
— OK, je me suis excusée… Tu veux quoi ?
— Moi ? Mais rien, Marianne ! C’est toi qui as voulu qu’on discute. Alors vas-y ! Exprime-toi !
— C’est… vrai, ce que tu as dit tout à l’heure ? Que… je n’étais rien pour toi…
Il paraissait si sûr de lui. Comme s’il la piétinait rien qu’en posant les yeux sur elle.
— Oui, c’est vrai. Désolé si ça te pose un problème.
En plus, il lui balançait son apitoiement à la gueule ! Elle s’assit par terre, de moins en moins capable de tenir sur ses jambes.
— Tu pensais que j’étais amoureux de toi, c’est ça ?
— Non ! Mais… au moins que… après ce qui s’est passé… que je n’étais pas comme les autres pour toi…
Il cacha son trouble derrière son habituel sourire.
— Tu me parles de sentiments là, ou je rêve ?
Elle serra poings et mâchoires, prête à encaisser le prochain coup. Il s’accroupit devant elle. Ils se devinaient dans la faible lumière des lampadaires extérieurs.
— Disons que tu me plais, Marianne. Je te trouve bandante. Mais c’est tout. Rien de plus.
Bandante. Le pire des mots. Il ne l’avait pas choisi au hasard. Pourquoi cette évidence lui était-elle soudain insupportable ? Pourquoi avait-elle offert à cet homme tout ce qu’elle possédait ? Pourquoi ça faisait si mal ?
— Je vois ! dit-elle d’une voix gonflée de rancœur.
Il s’assit à ses côtés. Elle se contenait au maximum mais ses larmes ne tarderaient plus à la trahir. Une catastrophe, le pire des cauchemars. Scénario inverse à celui prévu. Lui, indifférent, cruel. Elle, se mettant à nu. Le plus grand des désastres. La plus cuisante des défaites.
— Qu’est-ce que t’essayes de me faire comprendre ? demanda-t-il d’une voix plus douce.
Elle refusa de descendre plus bas. Il était temps de sortir les griffes.
— Rien du tout ! s’emporta-t-elle. Je veux juste avoir mes clopes et mes doses !
Il posa sa main sur sa cuisse, elle sursauta. Elle essuya la première vague qui débordait de ses yeux. Il ne pouvait pas voir, il ne fallait surtout pas.
— T’es mal parce que tu espérais quelque chose d’autre de moi… Qu’est-ce que tu ressens ? Vas-y, dis-le…
Mais quand cesserait-il de la torturer ?
— Je ressens rien du tout ! s’écria-t-elle.
— Pas la peine de hurler.
— Je veux juste mes clopes, le reste, je m’en fous !
— Bien sûr ! En tout cas, si ça doit te mettre dans cet état, la prochaine fois, je m’arrangerai pour que tu prennes pas ton pied !
Elle enleva sa main de sa jambe d’un geste brutal. Pourtant, elle venait de gagner. Il avait dit la prochaine fois . Mais cette victoire avait un goût tellement amer.
Il s’alluma une cigarette, elle en mourait d’envie. Mais il remit le paquet dans sa poche.
— Je veux remonter ! exigea-t-elle en se levant. T’as pas le droit de me faire passer la nuit ici !
— Ah oui ? Tu veux ? Je termine ma clope, tu permets ?
En plus, il la narguait. Elle avait trouvé ce qu’elle était venue chercher. Matière à le détester. Et ce n’était pas fini. Il avait toutes les armes en main, il avait le choix.
— T’as voulu que je reste, non ? Je ne suis pas à ta disposition, mademoiselle de Gréville ! D’ailleurs, tu vas me donner un petit dédommagement…
Elle essuya de nouvelles larmes de rage.
— Tu rêves !
— Tu préfères dormir dans ce trou ?
— Fumier !
Il eut un rire qui l’éclaboussa comme une giclée de boue.
— Je te préviens, si tu ne me donnes pas ce que je veux, tu pourras attendre longtemps la prochaine livraison ! Et si mes calculs sont bons, il ne te reste pas grand-chose…
Elle tournait en rond dans le cachot, au comble de l’humiliation.
— Quoi au juste ? Un paquet de cigarettes entamé ? Et plus de drogue, bien sûr… Ça risque d’être vraiment dur… Alors tu viendras te traîner à mes pieds ! Tu me supplieras ! Ça sera pitoyable, mais je crois que ça va me plaire.
— T’es vraiment une ordure !
— Mais c’est comme ça que tu m’aimes, Marianne !
Elle eut un haut-le-cœur.
— Va te faire foutre ! Tu me donnes envie de gerber !
— Tant pis pour toi, ma belle ! Mais ne t’avise pas de m’appeler si t’es en manque.
Il écrasa sa cigarette et se leva à son tour. Il ne semblait même plus avoir peur d’elle. Intolérable. Tout le monde avait peur d’elle quand elle se mettait à hurler.
— T’es vraiment le dernier des minables ! cracha-t-elle. Un jour, je te ferai la peau !
— En attendant, tu vas passer la nuit ici. Au fait, Monique m’a prévenu qu’il y avait une nouvelle invasion de rats !
Il savait à quel point Marianne en avait la trouille.
— Je vais juste fermer la grille, pas la porte… Comme ça ils pourront venir te faire la causette !
Envie d’un meurtre pour calmer la douleur. De tuer quelqu’un ou quelque chose. D’écraser des chairs entre ses mains. Elle fulminait, il jubilait. Le piège qui referme ses mâchoires d’acier. Accepter ou agoniser lentement. Tel était son dilemme. Car il tiendrait parole, comme toujours.
— Je te souhaite une douce nuit, chérie !
Elle lui barra le chemin en se plaçant devant la sortie.
— Tu veux pas que je m’en aille ? balança-t-il d’un ton moqueur.
Elle ne répondit pas. Plus le choix. Il gagnait sur toute la ligne.
Il la plaqua contre le métal, ses mains s’insinuèrent sous son pull. Sans autorisation. La pire des insultes… Si, elle lui avait donné son accord tacite. Il ne l’aurait pas touchée sans y être invité. Même par un silence. Ça signifiait qu’il la craignait encore. Pouvoir dérisoire qui l’aida à affronter l’épreuve qui s’annonçait. Contractée de la tête aux pieds, elle levait les boucliers. Il recula un peu.
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