— J’ai dit que j’avais entendu, pas que j’allais le répéter.
Solange écrasa Marianne d’un rictus sarcastique.
— C’est bien, je vois que tu commences à comprendre ! Comme quoi, ça fait du bien de rater une marche de temps en temps !
La métisse ravala sa colère et les dix brebis reprirent le chemin des cellules.
Emmanuelle ouvrit son casier pour prendre des affaires propres. Son unique rechange. Jean et tee-shirt kaki. Une autre femme.
Marianne s’était rallongée sur le lit. Elle claquait des dents, fumait sa troisième cigarette.
— Pourquoi vous êtes intervenue en ma faveur ?
— Je t’ai déjà dit de ne pas me parler, rétorqua calmement Marianne.
— Je veux savoir… et tant pis si vous essayez encore de m’étrangler.
Marianne soupira.
— Faut pas tenir tête à la Marquise… Pariotti. C’est comme ça qu’on la surnomme ici.
— Je vois pas pourquoi. Elle n’a rien de noble !
— Marquise de Sade ! précisa Marianne. Donc, faut jamais te frotter à elle. C’est une salope de première. Si tu t’opposes à elle, tu vas t’en mordre les doigts.
— Pourquoi vous avez fait ça pour moi ?
— J’ai rien fait pour toi ! rectifia Marianne d’un ton agressif. J’ai juste voulu écourter l’embrouille parce que j’avais pas envie de moisir deux heures dans ce couloir humide. C’était une diversion, rien d’autre ! Et puis ça me plaît bien de rabattre le caquet de la Marquise. Avec toi, elle aurait bu du petit-lait ! Elle t’aurait taillée en pièces en moins de dix secondes. Tu tiendrais pas un round face à un Lilliputien !
— La façon dont elle a traité cette fille… La façon dont elle nous a parlé ! C’est… inadmissible. Il faudrait le signaler !
Marianne se mit à rire mais fut rapidement stoppée par la douleur.
— Inadmissible ? Le signaler ? Mais à qui, putain ! Tu te crois où ? Au George V ? Tu crois que tu peux te plaindre du petit personnel ? Mais je rêve ! J’hallucine ! T’es en taule, le Zombie !
— Ne m’appelez pas comme ça !
— T’es en TAULE ! martela Marianne. Ici, t’es plus qu’un numéro d’écrou et rien d’autre ! Ici, tu n’as aucun droit ! AUCUN DROIT, tu piges ? De toute manière, tu verras bien par toi-même ! Maintenant, ferme-la.
Emmanuelle termina de lacer ses chaussures puis se mit à tourner en rond dans la cellule.
— Vous devriez aller à l’infirmerie, reprit-elle soudain.
— Putain ! marmonna Marianne en se tournant vers le mur. Tu vas la fermer oui ou merde !
— Vous êtes blessée et…
— C’est pas tes affaires ! Alors TU LA FERMES !
— Je peux vous prendre le livre ?
— Prends ce que tu veux mais laisse-moi dormir en paix, nom de Dieu !
— Merci. Merci beaucoup…
Marianne disparut sous la couverture. Cette fille ne tiendrait pas dix jours dans cette jungle. Elle finirait à l’hôpital psy ou au bout d’une corde. Peut-être même que son corps squelettique ne résisterait pas. Une mort naturelle, tout simplement. Tant mieux. Comme ça, elle en serait débarrassée plus vite.
Mais pour le moment, c’était elle qui claquait des dents et tremblait comme les feuilles de l’acacia de la cour, quand l’hiver approchait.
Peut-être que l’hiver s’approche, pour moi aussi.
Vendredi 27 mai — 12 h 00
Daniel entra dans le bureau des surveillantes, affichant une mine détendue assortie d’un sourire radieux. Monique Delbec mangeait une mixture infâme, un truc de régime hyperprotéiné. Il lui serra la main de façon virile et elle eut une grimace disgracieuse. Il adorait faire ça. Ça l’amusait beaucoup.
— Comment va ? lança-t-il d’une voix enjouée.
— Ça va ! Et vous ? Bien reposé ?
Elle tenta de ne pas montrer à quel point ça la contrariait qu’il la surprenne en plein effort diététique.
D’une certaine façon, c’était avouer qu’elle se trouvait trop ronde. Ça en mettait un coup à sa féminité.
— La super forme ! assura le chef en se remplissant une tasse de café.
— Votre rasoir est en panne ou c’est un nouveau look ?
— Ça vous plaît ? demanda-t-il d’un ton charmeur, histoire d’éluder la question.
Elle allait répondre mais eut juste le temps de rougir ; Justine venait d’entrer dans le bureau. Elle éclaboussa Daniel d’un jet d’acide, rien qu’en posant les yeux sur lui.
— C’est sans doute pour cacher quelque chose ! osa-t-elle. Une trace de coup, peut-être…
— Quelle perspicacité, ma petite Justine ! On ne peut vraiment rien te cacher, justement !
— C’est surtout Marianne qui a du mal à le cacher…
Monique les laissa régler leurs comptes, continuant stoïquement d’ingurgiter sa soupe malodorante.
— Comment va-t-elle ? s’enquit Daniel.
— Mal, asséna Justine.
Il prit une mine indifférente.
— Ça a l’air délicieux, ce que vous mangez, Monique !
— Ne vous moquez pas !
— Mais non, voyons ! Je ne me moque pas. C’est à quoi ? À la viande faisandée ?
Elle haussa les épaules et il se mit à rire. Justine ne put contenir un sourire. Il continua son numéro.
— Vous avez raison, Monique, faut souffrir pour être belle !
L’ambiance sonnait faux et un long silence s’interposa entre eux. Monique décida de crever l’abcès.
— Justine m’a raconté, pour mademoiselle de Gréville.
— Ah oui ? Que vous a-t-elle dit ?
— Que… qu’elle était devenue hystérique, qu’elle vous avait agressé et que vous l’aviez conduite en cellule de force… et puis… vous vous êtes battu avec elle.
Le chef jeta un œil étonné à Justine.
— C’est à peu près ça, confirma-t-il.
— Vous ne voulez pas faire un rapport d’incident ? Un tel comportement, ça mérite de passer au prétoire.
— Non. Je crois qu’elle a déjà eu la sanction nécessaire. Elle m’a frappé, je lui ai rendu ses coups. C’est la seule méthode efficace avec elle. Vous n’êtes pas d’accord ?
— Tout de même ! protesta Delbec. Ce n’est pas tout à fait conforme à…
— La procédure ? Vous avez envie d’un peu plus de paperasse, Monique ? Vous n’avez pas assez de boulot comme ça ?
Monique cessa de protester mais Justine prit le relais.
— Marianne a refusé d’aller en promenade hier. Et ce matin, elle n’est pas descendue non plus…
— C’est son droit, répliqua calmement le chef.
— Elle n’a pas pu y aller parce qu’elle ne tient plus debout ! Je voulais la conduire à l’infirmerie mais elle n’a pas voulu.
— C’est qu’elle ne doit pas en avoir besoin… Très bon, ce café ! C’est vous qui l’avez fait, Monique ? Vraiment délicieux. Félicitations ! Et madame Aubergé ?
— Toujours en vie, répondit Delbec. Elle aussi refuse de descendre dans la cour. Et… les filles sont au courant pour elle… Pourquoi elle est incarcérée.
— Déjà ? s’étonna le chef. Les nouvelles vont décidément très vite dans notre petit monde !
— Je pense que c’est Solange qui a vendu la mèche, fit Justine.
— Pourquoi accuses-tu Solange ? s’indigna Monique. Il suffit qu’une détenue l’ait reconnue dans le journal ou même à la télé !
— Peu importe, conclut Daniel. Si elle décide d’aller dans la cour, il faudra garder les yeux sur elle. Pareil pour la douche. Vigilance extrême…
— Pourquoi ne pas lui appliquer les mesures d’isolement ? demanda Monique en avalant avec soulagement sa dernière cuiller de potage amincissant.
— Selon les toubibs, elle n’est pas en état de supporter l’isolement, expliqua-t-il. Suicidaire…
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