La porte s’ouvrit, une fois encore.
— Douche ! hurla la Marquise depuis le couloir.
Marianne enfila sa vieille paire de tongs, enfourna ses affaires de toilette et des sous-vêtements propres dans un sac plastique. Première douche en compagnie des autres filles. Encore un des privilèges de l’isolement qu’elle allait amèrement regretter !
Elle se présenta dans le couloir où huit détenues attendaient déjà. La Marquise s’approcha avec sa mine sadique habituelle. Comme un maquillage permanent réalisé dans un institut démoniaque.
— Qu’est-ce qui t’est arrivé, de Gréville ? T’as pris une correction ?
— C’est Gréville, répondit Marianne avec un calme olympien. Et non, j’ai pas pris de correction. J’ai juste raté une marche.
Toutes les filles portèrent alors leur attention sur le visage tuméfié de Marianne. Certaines ricanèrent. Les amusements étaient si rares. Ici, on riait de tout et de n’importe quoi.
— On dirait plutôt que t’as reçu une sacrée branlée ! Je croyais que tu savais te défendre, de Gréville !
— C’est Gréville… Et j’ai raté une marche, surveillante .
— Elle est où, ta petite copine ?
— J’ai pas de copine, répliqua sèchement Marianne.
— Va la chercher.
— Je suis pas votre bonniche…
— Va la chercher. Sinon, t’iras pas à la douche.
Marianne hésita puis retourna finalement en cellule où madame Aubergé s’était momifiée par terre.
— On t’attend. Magne-toi.
Elle fit non de la tête. Marianne la leva brutalement.
— Oh si, tu vas y aller ! s’écria-t-elle en la secouant comme on essore une laitue. J’ai pas envie que tu emboucanes ma cellule ! Alors tu prends ta serviette et tu te bouges le cul !
Marianne regagna le couloir, sûre que le Fantôme allait s’exécuter.
— Alors ? s’enquit Solange.
— Elle arrive.
— Parfait ! Les minutes perdues sont autant de temps que vous n’aurez pas dans la douche !
Les filles protestèrent. Solange savoura ce petit plaisir matinal. Emmanuelle apparut enfin dans le couloir. Marianne eut soudain pitié d’elle. Sentiment inattendu qu’elle refoula bien vite jusqu’aux tréfonds de son âme noire et dure comme du charbon. Les détenues toisèrent la nouvelle avec une curiosité inhumaine. Quelques moqueries fusèrent sur sa robe, puis le troupeau marcha en bon ordre jusqu’à la salle des douches. Il fallait d’abord pénétrer dans une pièce carrelée et répugnante : tuyaux rouillés, porcelaine ébréchée, moisissures noirâtres recouvrant murs et plafond. Odeur âcre qui serrait les poumons. La surveillante referma la grille et s’assit juste derrière, sur un banc en bois, comme pour assister à une représentation. Une dizaine de douches en enfilade. Deux rangées de cinq séparées par un étroit couloir. Aucune intimité possible.
Marianne se déshabilla. Les filles cessèrent de parler, horrifiées par le spectacle de son corps dévoré par les hématomes. Même Solange s’approcha de la grille pour voir de plus près.
— C’est les matons qui t’ont tabassée ? chuchota une détenue.
— Non, une bande de petits lutins ! répondit-elle.
— Taisez-vous ! ordonna la Marquise. Il ne vous reste que dix minutes !
Nouvelles protestations. Mais cela permit de couper court aux questions gênantes. Emmanuelle, réfugiée dans un angle, semblait incapable de se dévêtir devant ces inconnues. Solange gueula encore.
— Qu’est-ce que vous attendez, Aubergé ? Vous comptez prendre la douche habillée ?
Elle ôta sa robe alors que les autres étaient déjà dans les douches. Puis elle s’aventura plus avant pour chercher le bac resté libre. Le dernier, évidemment. Marianne se savonna généreusement, il fallait se hâter. Mais elle était ralentie par ses douleurs, pouvant à peine effleurer sa peau par endroits. Elle vit passer le Fantôme, une serviette autour de la taille, un bras pour cacher sa poitrine. Sa robe dans l’autre, comme si elle avait peur de se la faire voler et de repartir nue. Sa maigreur était vraiment effrayante. Puis l’eau à peu près chaude vint soulager ses blessures. Laver ses doutes, les ultimes traces du forfait. Un peu de shampooing dans les cheveux, un dernier rinçage. Elle n’avait pas quitté ses tongs, ses affaires étaient bien à l’abri dans le sac plastique. N’avoir aucun contact avec le sol ou les murs qui grouillaient de microbes et de champignons en tout genre. Invisibles mais tenaces.
La Marquise racla la grille avec ses clefs.
— Terminé ! hurla-t-elle. Vous sortez toutes de là-dedans !
Marianne profita encore un peu de ce plaisir fugace tandis que la fille d’en face était encore pleine de savon. Une métisse à la peau superbe, aux courbes de rêve. Marianne se sentit soudain atrocement laide. Mieux valait éviter de trop la reluquer. Éviter les complexes. De toute façon, y avait pas de mec, ici. Être belle pour plaire à qui ? Non, ne pense pas à l’autre enfoiré. Ne pense plus à lui, ni à ce qu’il t’a fait. Elle s’essuya à la va-vite pour ne pas attraper froid dans cet endroit qui ignorait le chauffage. Enroulée dans sa serviette, elle regagna la pièce grillagée pour se rhabiller. Mais deux détenues manquaient à l’appel. Le Fantôme et le top-model.
La Marquise décida de couper l’eau, des hurlements s’échappèrent des douches.
— Je suis pas rincée ! cria la métisse.
— T’avais qu’à te dépêcher ! répondit Solange avec un sourire narquois.
Le Fantôme réapparut, déjà habillé. Toujours la même robe claire, sauf qu’elle avait pris l’eau, dévoilant cruellement ses formes osseuses par transparence. La métisse arriva à son tour, les cheveux brillants de mousse et ses copines éclatèrent de rire. Elle allait s’amuser, à rincer sa tignasse au lavabo de la cellule ! Marianne rigola aussi tandis que Solange ouvrait la grille.
— Allez, j’ai d’autres chiennes à amener au toilettage !
Les filles s’arrêtèrent de rire et quittèrent la pièce en rang d’oignons. Mais la métisse stoppa à hauteur de la gardienne.
— Vous n’avez pas le droit de nous parler comme ça ! Les autres surveillantes ne nous parlent pas comme ça !
— Mademoiselle café au lait est de mauvais poil ce matin ? Elle a ses règles ou quoi ?
— J’en parlerai au chef ! J’lui dirai comment vous nous traitez !
— Oh ! Mais c’est qu’elle me ferait presque peur, bamboula !
Marianne assistait à la confrontation, adossée au mur. Pour une fois qu’elle n’était pas en cause !
— Tu as des témoins pour appuyer tes accusations calomnieuses ? ricana Solange. Quelqu’un a entendu quelque chose ?
Elle arpenta le couloir en jaugeant les autres. Aucune n’osa l’affronter du regard.
— Est-ce que mademoiselle de Gréville a entendu quelque chose ?
— Non, assura froidement Marianne.
Solange arbora un air victorieux.
— Tu vois, personne d’autre que toi n’a entendu ces propos inadmissibles… C’est ta parole contre la mienne. Et que peut bien valoir la parole d’une putain ramassée sur le trottoir ?
— Si. Moi j’ai entendu, dit Emmanuelle.
Marianne la toisa avec stupeur.
— Qui a parlé ? s’écria la Marquise.
— Moi ! lança précipitamment Marianne.
Emmanuelle allait ouvrir la bouche mais Marianne lui tordit le poignet et lui souffla quelque chose à l’oreille. Solange se posta face à son ennemie jurée.
— Y a dix secondes, t’avais rien entendu, de Gréville !
— C’est Gréville… Ben, finalement, je crois bien vous avoir entendu la traiter de bamboula… Et nous avoir toutes traitées de chiennes.
— T’as pas assez morflé hier ? Tu veux continuer à rater des marches ?
Читать дальше