— Nous le pouvons, monsieur.
Hermann le considère avec étonnement. Franck lui expose son plan.
— Avec une jolie somme, des papiers, un billet d’avion. Et l’obligation de quitter le territoire dès que la mission est terminée… Il faudra juste me procurer l’argent et m’aider pour les faux papiers.
Le conseiller tique.
— Franck… Vous avez vraiment l’intention de lui rendre sa liberté quand ce sera fini ?
Là, c’est Franck qui tique.
— Oui… Bien sûr !
— Mais elle sera au courant de l’affaire et sera donc une menace.
— Non, monsieur. Elle n’aura qu’une hâte, quitter le pays et se faire oublier, croyez-moi !
— Et si elle se fait arrêter ?
— À l’étranger ? Il y a tout de même peu de chances… Si les papiers sont plus vrais que nature, je pense même qu’il n’y a aucun risque.
Hermann fait une drôle de tête.
— Franck… Je trouve qu’il serait plus prudent de la liquider une fois la mission remplie. Une détenue en cavale, on a toutes les raisons de l’éliminer. Ça ne choquera personne…
— Si. Moi.
Hermann s’arrête, sidéré.
— Écoutez, monsieur le conseiller… Je veux bien monter cette opération et sortir cette fille de taule mais… Je refuse de la conduire à l’abattoir.
— Mais Franck, il ne s’agit que d’une criminelle ! Elle a assassiné un vieux pour lui voler trois fois rien, elle a descendu un flic, grièvement blessé une femme enceinte et j’en passe ! Je ne vois pas pourquoi vous faites soudain du sentimentalisme !
— Je ne fais pas de sentimentalisme . Je vais travailler avec cette fille, lui demander quelque chose de difficile… Il faut qu’il y ait entre nous une relation de confiance… Et…
— Il suffit de lui mentir, Franck. Je ne vois vraiment pas quel est votre problème !
— Malgré tout le respect que je vous dois, mon problème est que vous me demandez d’assassiner une fille de vingt ans dont nous allons nous servir pour sortir monsieur le ministre de la merde.
Hermann écarquille les yeux. Puis se renfrogne.
— Je veux bien m’occuper de cette affaire, mais je refuse d’assassiner Marianne de Gréville. J’estime que c’est un sacrifice humain inutile. Un sacrifice que je ne suis pas prêt à assumer…
Hermann continue à le fixer. L’air un peu furieux. Puis progressivement son visage se détend. À la fin, il sourit.
— OK, Franck. Je vous suis. Mais je vous trouve tout de même très culotté ! J’espère que nous n’aurons pas à le regretter… J’accepte si vous prenez l’engagement de lui faire quitter le territoire dès que tout cela sera résolu. Et qu’elle ne soit au courant de rien pour Charon, bien sûr !
— J’en prends l’engagement. Croyez-moi, elle ne remettra plus jamais les pieds en France. Trop dangereux ! Elle refera sa vie à l’autre bout du monde, nous n’entendrons plus jamais parler d’elle… Dans le cas contraire, je peux vous assurer que je réglerai le problème, monsieur.
— Combien d’argent vous faut-il ?
— Je pense qu’une somme de cinquante mille euros devrait faire l’affaire…
— Cinquante mille euros ? C’est un prix élevé pour un tueur à gages, non ?
— Nous ne trouverons pas mieux que cette fille, monsieur. Elle seule a un mobile de vengeance absolument parfait. Et elle seule est capable de descendre deux magistrats… Que représentent cinquante mille euros pour vous ?
— Et… Si jamais elle vous échappe ? Imaginez qu’elle sorte de prison et s’enfuie avant même que la mission ne soit accomplie ?
— Aucun danger, monsieur ! Il suffit de l’avoir à l’œil. Si elle s’échappait, elle se retrouverait en cavale… Je ne vois pas l’intérêt pour elle de faire une chose pareille.
— Nous parlons d’une folle ! Comment voulez-vous prévoir les réactions d’une cinglée ?
— Je ne la crois pas cinglée, monsieur. J’ai étudié son dossier, et, d’après les psys, elle est même très intelligente. Et puis elle sera sous ma surveillance… Croyez-vous vraiment qu’une gamine peut m’échapper, monsieur ?
— OK… Mais je vais me faire des cheveux blancs avec toute cette histoire !
Franck rigole un peu. Hermann allume une clope, oublie d’en proposer une au commissaire.
— Autre chose ?
— Nous avons placé la juge et le procureur sur écoute… Ils ont chacun un exemplaire du dossier, ainsi que vous l’aviez prédit. Pour le moment, nous ignorons où ils les ont planqués. Mais nous finirons par le savoir.
— Les hommes que vous avez choisis, Franck… Êtes-vous sûr d’eux ?
— Absolument. Ce sont mes plus proches collaborateurs. Ils ne savent pas ce qu’il y a dans le dossier Charon. Je leur ai juste expliqué que c’était des pédophiles, qu’il fallait les éliminer mais qu’ils détenaient un dossier un peu compromettant… Un truc sans gravité mais qui pouvait tout de même déclencher une crise gouvernementale. Éclabousser le ministre…
— Très bien, Franck. Mais n’oubliez pas, discrétion absolue !
Hermann lui tend la main.
— Tenez-moi au courant, Franck.
— Je n’y manquerai pas. De votre côté, dites-moi si mon scénario convient à monsieur le ministre…
Lorsqu’il l’avait vue pour la première fois, dans ce parloir, il avait compris que la tâche ne serait pas si aisée que prévue. Il avait tout lu, dans ce regard. La force, la rage, la colère. Mais aussi le désespoir. Et la culpabilité. Cette culpabilité qui la rongeait de l’intérieur.
Mais ce soir, il la tenait dans ses bras. Et ils avaient réussi, ensemble. Le ministre était aux anges. Son conseiller aussi. Il n’y avait que Clarisse qui venait ternir cette réussite totale. Franck referma les yeux.
On ne fait pas d’omelette sans casser les œufs, Franck , avait dit Hermann.
Sauf que ce n’était pas lui qui avait appuyé sur la gâchette. Il y avait ce maton, aussi. Suicidé en prison. Avec toute la tristesse de Marianne. Deux morts imprévus. Dégâts collatéraux, en somme. Comme il y en a dans chaque guerre.
Il embrassa son front.
— Tu seras bientôt libre…
Elle était profondément endormie. Il courut le risque de s’esquiver. Passa devant la chambre de Laurent qui ronflait comme une loco à charbon. Puis dans sa chambre. La mallette du procureur… Il fallait qu’il prépare tout ce qu’il allait remettre le lendemain à Hermann. Il empoigna la valisette en cuir, le dossier de la juge et descendit au rez-de-chaussée. Il avait reçu l’ordre de donner le film et toutes les autres pièces du dossier au conseiller. Et de détruire tout ce que Marianne avait eu la bonne idée de voler dans le coffre.
Il ouvrit les écrins à bijoux. Un magnifique collier. Il irait si bien à Marianne… Non, les bijoux, c’est pas son truc. Une splendide montre en or. Ça, ça plairait à Laurent… Ouais, mais c’est impossible. Il y avait l’argent, aussi. Il compta trois mille euros en liquide. Un petit rab pour Marianne… Et puis, on ne brûle pas l’argent. C’est un délit !
Il y avait aussi un paquet de lettres, entouré d’un élastique. Et, bien sûr, les dossiers avec les cassettes vidéo. Le fameux film où cet imbécile de Charon s’était fait piéger. Il tenait une des cassettes entre ses mains, pris d’une soudaine curiosité, un peu comme une fringale. Il plaça la cassette dans le magnétoscope.
Simple curiosité, pour ne pas mourir idiot. Alors que, pourtant, les ordres étaient clairs ; personne ne doit visionner cette vidéo.
Moi, c’est différent. Moi, je suis déjà au courant de tout ! Je voudrais juste voir la tête des trois protagonistes.
Il s’installa sur le canapé. Appuya sur le bouton play de la télécommande.
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