En passant, il jeta un œil à Marianne. Se figea.
— Eh ! chuchota-t-il. Regardez !
Elle avait les yeux grands ouverts. Mais ce qui les surprit, c’est qu’elle pleurait.
— Marianne ? dit Franck en s’asseyant à côté d’elle. Tu m’entends ?
— Oui…
— Tu… Pourquoi tu pleures ? Tu as mal ?
Elle tourna la tête de l’autre côté. Pleura de plus belle. Il voulut prendre sa main, elle la retira avec force.
— C’est moi, Franck… Tu te souviens ?
— Difficile de t’oublier, murmura-t-elle avec une sorte de rage.
Il demeura un instant pétrifié.
— Tu… Tu sais qui je suis ?
— Oui… La pire des ordures.
— La mémoire est revenue ! constata Laurent en souriant.
Franck fit quelques pas, histoire de digérer l’insulte. Et revint à côté d’elle, ravalant sa fierté.
— Pourquoi tu pleures ? répéta-t-il doucement.
Murée dans le silence, elle fixait le plafond, entortillait le drap dans sa main gauche. Puis elle tenta de se relever, sentit à nouveau un pieu se ficher en dessous des côtes. Elle refusa l’aide de Franck, parvint tout de même à s’adosser aux barreaux du lit.
— Je suis heureux que tu sois réveillée. Tout à l’heure, on a eu peur, parce que tu ne nous reconnaissais pas…
— Je m’en souviens… Un peu… Un peu comme un rêve.
Il essuya ses joues avec un Kleenex.
— Maintenant, je me souviens de tout, reprit-elle. De tout… ! J’aurais préféré être morte… Vous auriez dû me laisser crever…
— Bonjour les remerciements ! pesta Laurent.
Le commissaire le calma d’un regard autoritaire.
— Ne dis pas ça, Marianne. Tu vas mieux, c’est l’essentiel…
— Daniel est mort, c’est ça l’essentiel.
Elle avait cessé de pleurer. Son visage s’était durci, à une vitesse incroyable.
— Tu vas me tuer ? supposa-t-elle avec une sorte de résignation.
— C’est une obsession ma parole ! grogna le capitaine en allumant une cigarette.
— Pourquoi on t’aurait soignée, dans ce cas ? répliqua Franck avec amertume.
— J’en sais rien… T’es tellement tordu.
Il s’éloigna à nouveau du lit. Trop dur, finalement.
— On peut dire qu’elle a le réveil agréable, la demoiselle ! continua Laurent.
— Ferme-la, murmura Franck.
Un long silence s’empara de la chambre. Philippe tenta d’approcher Marianne à son tour. Il lui présenta un verre d’eau avec du sucre. Beaucoup de sucre, avait dit le médecin. Elle le vida d’un trait.
— J’ai envie de pisser…
Elle repoussa les draps. Elle portait juste un débardeur, une culotte. Pas de pantalon.
— Pourquoi j’ai pas mes fringues ?
— Elles étaient pleines de sang, expliqua Franck. Et puis il a bien fallu te soigner…
— J’ai envie de me lever… Sortez.
Sa voix, encore faible, recelait une volonté en acier trempé. Une sorte de colère qui bouillait à l’intérieur et qu’ils devinaient en filigrane dans ses yeux sombres.
— Tu ne peux pas te lever seule, répondit le commissaire.
— Sortez ! ordonna-t-elle.
Laurent et Philippe quittèrent la chambre, Franck ne bougea pas. Marianne se posa sur le bord du matelas, avec grandes difficultés.
Elle souleva un peu le pansement, contempla avec horreur sa blessure. Son bras droit était paralysé. Elle avait l’impression d’être passée dans une broyeuse. Dans son crâne, les braises de l’incendie, toujours vives. Elle refusa l’appui de Franck, se remit sur ses pieds. Sur le pont d’un navire, en pleine tempête. Ça tanguait. Ça tournait. Lorsqu’il fallut lâcher le lit, elle sentit ses genoux se plier. Se retrouva prisonnière de Franck.
Il passa un bras sous ses jambes, un autre dans son dos. La porta ainsi jusqu’à la salle de bains, la posa près des toilettes. Continua à lui tenir le bras.
— Lâche-moi, murmura-t-elle.
— Appelle-moi quand tu as fini… Je viens te chercher, d’accord ?
— Je veux me laver…
— Ça peut peut-être attendre demain ? Tu es trop faible, tu ne vas pas y arriver.
— Je me débrouillerai…
Elle ne le regardait même pas. Il quitta la salle de bains, passa la tête dans le couloir.
— C’est bon, je m’en occupe, les gars… Vous pouvez aller vous détendre un peu.
— Fais gaffe, elle n’a pas l’air spécialement de bonne humeur, fit remarquer Laurent.
Franck retourna dans la chambre, frappa à la porte de la salle de bains.
Pas de réponse. Il la trouva debout, devant le miroir du lavabo. L’eau coulait, pour rien. Elle s’appuyait sur la vasque, de tout son poids.
— J’ai besoin de personne. Sors.
— Je ne voudrais pas que tu tombes et que tu te blesses…
— Tu te prends pour ma mère ? Dégage !
Elle avait mis tant d’hostilité dans cette phrase ! Il resta cloué sur place.
— Pourquoi tu t’énerves comme ça ? Je veux juste te filer un coup de main…
Elle concentra le peu d’énergie qui lui restait pour gorger sa voix de haine.
— Dégage ! Sale con…
Il s’approcha, ferma le robinet.
— Je ne sais pas pourquoi tu me détestes à ce point, mais tu devrais arrêter de me parler comme ça…
Ils se dévisageaient par miroir interposé.
— Tu ne sais pas pourquoi je te déteste ? Tu veux vraiment que je te le dise ?
— Ce n’est pas moi qui l’ai tué, OK ?
— Si ! C’est toi qui es venu me chercher en taule… C’est à cause de toi que je me suis évadée.
— Tu vas me reprocher ça ? Tu aurais préféré passer ta vie en prison ? Il n’est pas mort par ma faute. Tu ne peux pas me mettre tout sur le dos ! C’est un peu facile…
— Sors, maintenant.
Elle pivota, vit valser les meubles, les murs, le plafond. S’accrocha avec sa main gauche au lavabo.
— Tu ne tiens pas debout, rappela calmement le commissaire. Alors, je reste. Je ne t’ai pas soignée pour que tu te fracasses le crâne contre la baignoire.
Elle était sur le point de pleurer. Inspira pour refouler ses larmes.
— Sors d’ici !
— Je t’ai déjà vue sans tes vêtements… Je croyais que tu te rappelais de tout.
— Il y a des choses que j’aimerais oublier !
Il souriait. Pour cacher qu’il avait mal.
Les nerfs, comme des épines plantées dans la peau. Si elle en avait eu la force, elle se serait jetée sur lui. Sans vraiment savoir pourquoi, d’ailleurs. Juste parce qu’elle souffrait. Blessures de l’âme et de la chair. Envie de faire mal, à son tour. Rendre. Toute cette peine, toute cette douleur.
Le monstre, sorti du coma en même temps qu’elle, luttait maintenant pour prendre le dessus.
— Tu veux te laver, c’est bien ça ? Vaut mieux éviter le bain, à cause des pansements. Mais je peux t’aider à prendre une douche rapide, si tu le souhaites…
Comment pouvait-il encore lui parler de façon si décontractée ? Comme si rien ne s’était passé ?
Elle empoigna ce qui tombait sous sa main gauche.
En l’occurrence, un porte-savon en plastique. Elle le lui lança en pleine figure. Il dévia la trajectoire du missile avec le bras.
— Tu joues à quoi, là ? demanda-t-il avec colère.
— Je t’ai dit de sortir ! hurla-t-elle. Je veux plus voir ta gueule, putain !
Il prit ses poignets, la décolla de son appui.
— Tu vas te calmer ! menaça-t-il. Parce que sinon, je vais m’énerver, moi aussi…
— Tu vas m’en coller une, c’est ça ? Vas-y, te gêne pas, enfoiré de flic !
Elle parvint à se dégager de son emprise, fit deux pas avant de s’écraser sur le sol. Un choc brutal. Par terre, un peu sonnée, elle pressait une main sur sa blessure. Il ne la releva pas.
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