— J’imagine, oui… Mais il me paraît difficile d’étouffer une affaire comme celle-ci. Et puis on ne va tout de même pas les couvrir ?
— C’est ici que les choses se corsent… Mais laissez-moi vous conter une autre histoire, mon cher Franck… Une autre affaire qui, elle, touche de très près monsieur le ministre. Il s’agit de Charon…
— Charon… Hubert Charon ?
— Lui-même.
Le beau-frère du ministre. Marié à sa sœur cadette, Claude, et, ce qui ne gâche rien, patron d’un grand groupe de presse. Un ami de longue date, entré dans la famille. Surtout, un allié sûr. Dumaine vise l’Élysée, il a besoin des médias pour y parvenir. Il sait les utiliser comme personne, d’ailleurs.
— Il s’est foutu dans de sales draps, ajoute Hermann.
Franck esquisse un sourire un peu crispé.
— Qu’a-t-il fait de si méchant ? Des infidélités à son épouse ?
— Si seulement ce n’était que ça… ! soupire Hermann. Figurez-vous que… Il a de drôles de mœurs…
— De drôles de mœurs ? Vous voulez dire qu’il est… gay ?
— Non, Franck ! Je crois même qu’il est sacrément porté sur les femmes…
— Alors, ça veut dire quoi, de drôles de mœurs ? Ne me dites pas que… Qu’il fait partie lui aussi de la liste des clients de ce réseau ?
— Non, Franck, rassurez-vous…
Hermann ne va pas droit au but. Il tourne, vire, ce n’est pas dans ses habitudes. Ce qu’il s’apprête à exiger de Franck doit être vraiment très délicat.
— Disons qu’il… Il n’est pas très fidèle à son épouse, vous aviez raison sur ce point. Mais il y a plus grave… Il aime apparemment faire souffrir les femmes. Organiser des soirées un peu spéciales.
Nouveau frisson dans l’échine de Franck. Il espère que ça ne s’est pas vu sur son visage.
— SM ?
— Exactement… Bien sûr, Claude n’est pas au courant de tout cela. Et nous tenons à ce qu’elle le reste.
— Qu’en pense monsieur le ministre ? Il ne doit pas apprécier que sa sœur soit cocue, je suppose !
— Jusqu’à présent, il l’ignorait ! Mais vous avez encore raison, il est furieux.
— Et alors ? Qu’est-il arrivé de si grave ?
— Une de ces soirées a dégénéré… Une fille est morte.
Franck serre les mâchoires. Ça n’augure rien de bon.
— Une prostituée, précise le conseiller.
— Je vois… C’est Charon qui l’a butée ?
— Non. C’était un accident. Mais ce n’est pas Hubert qui l’a tuée… Seulement, il était là.
— L’enquête en est où ?
— C’est là que les deux affaires se rejoignent… L’enquête a été confiée au juge Forestier.
Franck s’arrête. Il commence à cerner la situation dans toute son ampleur. Il a déjà les pieds dans la merde. Là, ça se lit sur ses traits.
— Je constate que vous avez compris, Franck ! La juge a découvert que Hubert est mêlé à cette sordide histoire et s’en sert pour se protéger…
— Elle fait chanter Charon ? Ou… Dumaine ?
— Pas vraiment… Disons qu’elle a réussi à nous prévenir qu’elle détenait des preuves contre Charon et que si jamais on s’attaquait à elle ou à son ami le procureur, ce dossier verrait le jour…
— Elle a vraiment des preuves ?
— Ce crétin s’est fait filmer.
— Filmer ?! Mais par qui ?
— Par le système de vidéo-surveillance de la ville, mon cher Franck… Par chance, les flics ont récupéré le film mais ne l’ont pas visionné. Seule Forestier l’a vu. Charon et ses amis de débauche sont montés à bord de deux voitures. Tout est sur la cassette… Avec les plaques d’immatriculation, la juge a vite identifié au moins les deux conducteurs… dont Hubert Charon.
— Qui sont les autres ?
— Benoît Fabre, un collaborateur de Charon et Renaud Tavernier, l’un de ses amis… Bref, sur la copie vidéo que avons reçue, on voit nettement les trois hommes entrer avec la fille dans l’immeuble et en sortir, seuls.
— Ça s’est passé où ?
— Chez elle… D’après nos informations, il s’agit d’une call-girl qui recevait les clients chez elle… Une pute de luxe, quoi.
Hermann s’assoit sur un banc. Franck fait de même.
— Qu’attendez-vous de moi, monsieur ?
— Quelque chose de difficile, Franck… Nous n’avons pas l’intention de nous laisser intimider par ces deux salopards de magistrats… Mais nous ne pouvons faire abstraction de ce dossier.
— Vous voulez que je récupère le dossier, c’est bien ça ?
— Oui, Franck. Mais nous voulons aussi que… Vous nous aidiez à éliminer la juge et le proc’.
— Les éliminer ?
— Oui, Franck. Imaginez un peu la scène, voulez-vous ? Nous récupérons le dossier, nous donnons le feu vert pour que ces deux cinglés soient mis en cause dans l’affaire de pédophilie… Non seulement, nous avons sur les bras un scandale majeur mais, en plus, Dumaine et son entourage ne sont pas à l’abri…
— Si nous avons le dossier, Dumaine n’a plus rien à craindre…
— Vraiment, Franck ? Dès que les deux magistrats seront sous les verrous, que croyez-vous qu’ils vont faire ? Balancer cette histoire ! Même s’ils ne disposent plus des preuves, cela va forcément exciter la curiosité des médias. Ils vont s’en donner à cœur joie ! Et ceux qui enquêtent sur le meurtre de la fille vont se mettre à fouiner du côté de Charon, ils finiront bien par trouver quelque chose… Non, croyez-moi, Franck ; ils représenteront toujours une menace. Il faut récupérer ce dossier et les liquider.
— Mais… Si on les tue, c’est un autre scandale assuré !
— Justement, Franck… Nous comptons sur vous pour trouver comment nous débarrasser d’eux sans qu’il y ait de scandale.
— Vous voulez parler d’un accident ?
— Non. Je veux parler d’un meurtre. D’un double meurtre.
— Je ne vous suis pas très bien, monsieur…
— C’est simple, Franck ; leur mort paraîtra suspecte si on essaye de la minimiser. Un accident, ça paraîtra forcément louche. Il faut trouver le moyen de les tuer au grand jour. Quand vous voulez cacher quelque chose, la meilleure façon est de le montrer, non ? En fait, il faudrait un bouc émissaire… Un fou furieux échappé de l’asile ou… Quelqu’un qu’on manipulerait. Il faut en faire des héros, des martyrs… Vous comprenez ? Et, bien sûr, récupérer ce dossier et ses éventuelles copies…
Un bouc émissaire. Des héros. Franck comprend, oui. Quel meilleur moyen de se débarrasser de ces deux ordures que de les faire passer pour des victimes, en effet ?
— Nous avons pensé à vous pour cette délicate mission. Il faudrait dénicher quelqu’un pour ce sale boulot… Et vite. Le ministre et moi vous avons choisi parce que nous avons une totale confiance en vous. Vous êtes efficace, discret… Nous savons pouvoir compter sur vous, mon cher Franck. Acceptez-vous de vous charger de ça ? De nettoyer ce merdier ?
Le commissaire inspire une grande bouffée d’orgueil. Totale confiance en vous. Efficace, discret .
Mais il hésite encore. Hermann le devine dans ses yeux.
— Quelque chose vous gêne, Franck ?
— Sommes-nous certains que ces deux magistrats sont bien impliqués dans ce réseau ? Dans ce genre de dossier, il y a souvent des erreurs et…
— Nous en avons les preuves formelles. Aucun doute là-dessus. D’ailleurs, pourquoi Forestier aurait-elle envoyé ce film au ministre si elle ne se savait pas en danger ? Je vous montrerai le dossier, si vous le souhaitez…
— Évidemment… Mais… Pour le meurtre de la fille ?
— Accident, pas meurtre. Elle était d’accord, ça a simplement mal tourné. Quand on joue avec le feu, il arrive parfois qu’on aille trop loin… Charon et ses amis avaient trop bu.
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