Elle gagna un escalier sur la droite, s’accrocha à la rampe. Croisa un type qui la dévisagea avec curiosité. Son cœur accomplit un tour de montagnes russes dans sa poitrine.
Il m’a reconnue ! Ou peut-être… Je dois vraiment avoir une gueule effrayante ! Une gueule de boxeur, comme dirait Franck. Salaud de Franck. Faudrait que je lui fasse la peau. Et dire que j’ai couché avec lui ! Je suis vraiment tarée ! La première fois, j’étais complètement défoncée… C’est cette saloperie de came… Mais cette nuit, pourquoi je suis restée dans ses bras ?
Plus tard. Pour le moment, il faut sauver Daniel. Je suis là pour toi, mon amour. Seulement pour toi.
Elle arriva sans encombre au deuxième étage. Là, ça risquait de se compliquer. On n’accédait pas comme ça aux bureaux des juges. D’abord, montrer patte blanche. Calée contre la porte, elle jeta un œil dans le long couloir. En plein milieu, une table avec un type assis derrière. Qui lisait la presse du matin. Bien sûr, on devait passer devant lui pour accéder à l’antre de Forestier. Attendre qu’il aille pisser ou qu’il pique un roupillon. Ou qu’il meure d’une crise cardiaque. Ou souffre d’une crise d’hémorroïdes. Ou qu’il se fasse dévorer par un tyrannosaure.
Putain ! Comment je vais faire ? Elle resta plantée là cinq minutes à réfléchir. Le gars ne bougeait pas d’un centimètre. Évidemment. Y a que dans les films que le mec se taille au bon moment. Dans la réalité, il restait le cul vissé sur sa chaise. Il avait un café, un journal passionnant, aucune envie pressante pour l’inciter à se lever. On n’était pas dans une super production américaine. Juste en plein cœur du plan foireux du commissaire Francky. Il fallait donc trouver un moyen de contourner l’obstacle. Marianne cherchait l’idée du siècle. Ne trouva que l’idée du jour. Grâce à une rencontre imprévue. Une femme de ménage qui sortit un chariot d’un local non loin du bureau du buveur de café. Et qui s’éloigna en chantonnant. Marianne lorgna dans la cage d’escalier. Personne. Elle s’élança dans le couloir, armée de son plus joli sourire. Dommage qu’Aubert lui ait arrangé le portrait, ça ne lui faciliterait pas la tâche. L’homme au journal leva les yeux vers elle. Un regard mou, sans profondeur. Deux guimauves décolorées.
— Bonjour, monsieur… J’ai rendez-vous avec le juge Forestier.
— C’est un rendez-vous bien matinal !
— Oh ! C’est parce que c’est d’ordre privé ! On est copines, Nadine et moi…
Il paraissait tout sauf convaincu. Vrai que cette jeune fille qui semblait avoir passé la nuit avec Mike Tyson, peinait à passer pour l’amie de l’éminente et distinguée Nadine Forestier.
— Je la préviens.
— Inutile ! assura-t-elle en brandissant son portable. Je l’ai appelée depuis le hall ! Elle m’attend…
— Ça ne fait rien, dit-il en empoignant le téléphone. Je la préviens quand même, c’est la procédure…
— Ne vous donnez pas cette peine, monsieur…
— C’est la procédure.
Commence à me gonfler avec sa procédure .
— Votre visage me parle, ajouta-t-il. Vous venez souvent ici ?
Une grosse caisse résonnait dans sa poitrine. Un orchestre au grand complet.
— C’est la première fois.
L’huissier composa les trois chiffres du numéro interne de la juge.
— Qui dois-je annoncer ?
Marianne posa un doigt sur l’interrupteur de communication. Il la toisa de travers.
— Vous savez quoi ? On va faire un truc très agréable, tous les deux… On va oublier la procédure …
Il resta la bouche ouverte. Décidément, c’était la saison du poisson-lune. Il ne vit même pas arriver le poing qui le percuta en pleine tête.
Lui et sa fidèle chaise partirent en arrière. Groggy. Marianne lui administra l’extrême-onction. Coup de pied dans la tempe. Dodo, monsieur l’huissier. Réveil migraineux en perspective ! Elle l’empoigna par les aisselles, le traîna jusqu’au local. Avec l’impression de tracter une baleine échouée. Yeux-de-Chamallow devait bien avoisiner les soixante-quinze kilos. Elle referma la porte, respira un grand coup. Personne pour contrarier son petit exercice de musculation. La chance était donc de la partie. Mais le temps passait trop vite.
Elle piqua un sprint, arriva enfin à destination. Une grande porte blanche et moulurée. Avec une jolie plaque dorée. Juge d’instruction Nadine Forestier . Cascade de mauvais souvenirs… Elle pensa frapper. À quoi bon ? Elle frapperait plus tard. Elle tourna la poignée, entra, referma derrière elle. Se retrouva face à un visage familier. Jamais oublié.
Contrairement au procureur, Forestier ne mit pas trois secondes à la reconnaître. Ses traits se décomposèrent au ralenti.
— Mon Dieu ! murmura la magistrate.
— Non, ce n’est que moi. Dieu n’est pas avec vous, aujourd’hui…
Ce n’était pourtant pas le moment de déclamer de grandes phrases.
— C’est bien le dossier Dufour que vous vouliez, Nadine ?
Marianne frisa la crise cardiaque. Tourna la tête sur sa droite. Un petit cagibi ou plutôt un grand placard communiquait avec le bureau. La voix émanait de là. Et une jeune femme en tailleur gris et lunettes en surgit, une pochette à la main. Elle ne vit pas Marianne immédiatement. Mais suivit le regard pétrifié de la juge. Les trois femmes se dévisagèrent mutuellement dans un silence écrasant.
Marianne songea à faire demi-tour. Pensa aussitôt à Daniel. Je suis dans la merde. Jusqu’au cou. Jusqu’à la racine des cheveux.
— Qu’est-ce qui se passe ? s’informa la jeune femme à lunettes.
La juge se leva doucement, Marianne écarta le pan de son blouson, empoigna son Glock. L’intruse lâcha son dossier. La magistrate s’immobilisa sur le champ.
— Du calme… Pas un geste, pas un cri.
— Qu’est-ce que vous faites là ? demanda Forestier avec un impressionnant sang-froid.
— J’avais très envie de vous revoir, madame le juge…
— Mais qui êtes-vous ? s’étrangla Lunettes.
— C’est Marianne de Gréville.
Lunettes vira au rouge puis au blanc.
— En personne ! ajouta Marianne. Et vous, vous êtes qui ?
— C’est Clarisse Weygand, expliqua Forestier. Ma greffière.
Elle avait toujours aimé répondre à la place des autres. Êtes-vous coupable ? Oui, vous êtes coupable .
Putain ! Francky va m’entendre ! Elle n’arrive jamais avant neuf heures … Mon cul, oui !
Elle essaya d’activer ses neurones. Agir dans l’ordre. Elle tourna le verrou de la porte. Inutile qu’un quatrième larron ne s’invite à la fête. Elle inspecta le cagibi. Pas de sortie, pas de fenêtre, pas de téléphone.
— Clarisse ? Approchez…
La greffière avala sa salive. Marianne arma son pistolet.
— Approchez avant que je m’énerve…
La greffière activa ses pieds sur le lino, resta tout de même à une distance raisonnable.
— Tournez-vous, Clarisse…
— Qu’est-ce que vous allez me faire ?
— Si tu n’obéis pas, je vais te tuer, voilà ce que je vais faire…
La greffière obtempéra. Marianne l’assomma d’un coup de crosse dans la nuque. Elle s’effondra avec la grâce d’une ballerine interprétant La Mort du Cygne . Les yeux de la juge débordaient de leurs orbites. Ses lèvres fines s’étaient pincées en cercle.
— Fous-la dans le placard, ordonna Marianne.
Forestier empoigna sa fidèle servante par les poignets. La traîna jusque dans le local. Elle geignait sous l’effort. Craqua sa jupe un peu serrée.
— Ferme la porte, maintenant.
La magistrate s’exécuta. Marianne l’approcha.
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