Marianne se jeta soudain sur Franck, s’agrippa à lui, froissant sa chemise impeccable avec désespoir. Elle pleurait maintenant sans retenue. Il ferma les yeux quelques secondes.
— Franck ! S’il te plaît !
Il inspira une bonne dose d’oxygène. Puis la repoussa sans aucune délicatesse.
— Stop ! cria-t-il. Tu vas faire ce qu’on te demande ! C’est même pas la peine d’y penser !
— Je t’en prie ! répéta-t-elle avec une averse de larmes.
Elle essayait d’entrer en contact avec sa peau. Comme cette nuit. Mais il la gardait à distance. Et continua à la tabasser de mots.
— Tu perds ton temps, Marianne ! Tu crois que tu peux jouer à ça sous prétexte qu’on a couché ensemble ? J’y pense même plus, figure-toi…
Il devina dans ses yeux qu’il l’avait blessée durement. Continua à stimuler sa haine.
— C’était juste un passe-temps. Ça sert à rien de me supplier. J’en ai rien à foutre de ce que tu ressens !
— T’es qu’un salaud !
— Certainement ! Je suis vraiment désolé de te décevoir, ma petite. N’oublie pas que j’ai deux gars en poste à S. ! Ton mec va sortir ce matin… Si tu ne fais pas ce que j’attends de toi, je n’ai qu’un coup de fil à passer pour qu’ils le cueillent à sa sortie de prison. Tu entends, Marianne ?
Il la secoua encore, son regard se durcit enfin. Elle n’implorait plus, elle haïssait. Il l’envoya contre la banquette. Elle aboya de rage.
— Maintenant, arrête de nous faire chier ! Laurent, démarre. On a assez perdu de temps comme ça.
Marianne, recroquevillée sur la banquette, broyait un mélange de hargne, de peur et de déception. Un truc qu’elle allait ruminer longtemps avant d’arriver à l’avaler. Philippe était livide, le commissaire lui posa une main un peu ferme sur l’épaule.
— Ça ne va pas, Phil ?
— Si…
— Bien. Tu nous refais du café ? Marianne a besoin d’un remontant, je crois…
*
Laurent exécuta un créneau parfait. Il stoppa le moteur. Se tourna vers son patron.
— Ici, ça ira ?
— Parfait, répondit le commissaire.
Marianne, prostrée, n’avait pas bougé depuis leur départ de l’aire de repos. Sauf pour allumer une bonne dizaine de cigarettes, transformant le Trafic en éprouvette cancéreuse.
— Nous y sommes, annonça Franck. Le Palais est au bout de l’avenue. À peine trois minutes à pieds… Je vais te redonner le flingue. Nous t’attendrons ici… Tu as le portable ? Rappelle-moi le numéro.
— Va te faire foutre…
L’empoignant par le blouson, il la souleva de la banquette.
— Je te conseille de changer de ton.
— Rien à foutre de tes conseils…
— Arrête ça ! Tu ne peux pas refuser maintenant. Sinon, tu sais ce qui va arriver à ton mec…
Laurent et Philippe passèrent à l’arrière, histoire d’être près de leur chef si jamais leur arme se retournait contre eux. Mais elle ne bronchait pas. Elle le fixait simplement, durement. Onyx contre émeraude. Laurent consulta sa montre. Une pression insoutenable montait dans le QG. Franck la lâcha enfin.
— Fais le boulot et je ne le toucherai pas.
— Touche-le et je te tue. Je te massacre comme j’ai massacré Aubert.
Franck tenta de trouver les arguments.
— Écoute, il faut aller au bout de la mission… Sinon, tu auras descendu Aubert pour rien.
— J’ai tué une cible. C’est ce que prévoyait le contrat initial. J’ai le droit de me casser, maintenant.
Le commissaire, taraudé de tics nerveux, dansait d’un pied sur l’autre. Marianne, figée dans une froideur impressionnante, paraissait déterminée comme jamais.
— T’as qu’à aller récupérer ton dossier toi-même, ajouta-t-elle. Et abattre cette femme. Puisque c’est si simple, ça ne devrait pas te poser de problème…
Il passa au plan B. Prit son portable. Marianne sentit que le poker tournait mal. Il composa un numéro. S’éloigna un peu.
— Allô ? Ouais, c’est moi, Franck… Il est sorti ?
Elle voulut se jeter sur le commissaire pour lui arracher le téléphone, se retrouva piégée entre les bras des deux autres. Le fourgon était exigu, la lutte difficile. Mais ils parvinrent enfin à la bloquer sur le plancher. Franck reprit sa discussion avec un interlocuteur inconnu. Tout en la regardant.
— Excuse-moi, j’ai eu un petit souci… Il est sorti ? Ouais ? OK… Où est-il ?
Elle percevait une voix masculine à l’autre bout. Il ne faisait pas semblant. Elle entendit même que Daniel était dans un bar. Au comptoir, en train de fumer une clope et de boire un café.
— Chopez-le dès qu’il sort. Vous me le gardez au chaud… Je vais venir le chercher. Essayez de ne pas trop l’abîmer, OK… ?
Elle entendit on va essayer . Il raccrocha. Elle pleurait. Il sut qu’il avait gagné.
— T’es contente, Marianne ? demanda-t-il en s’accroupissant devant elle. Il ne va pas profiter longtemps de sa liberté. Dommage pour lui…
Laurent et Philippe usaient toutes leurs forces à la contenir.
— Arrête-les ! hurla-t-elle. Je vais aller au Palais ! Je vais aller te chercher le dossier…
— Le dossier ? Et la juge, alors ?
Elle ferma les yeux. Il la saisit par la nuque.
— Je vais la tuer ! s’empressa-t-elle d’ajouter. Je vais la tuer ! Rappelle-les !
Il se releva, satisfait. Il appuya sur la touche bis, la même voix émana du combiné.
— Vous l’avez eu… ? Pas encore ? Ne bougez pas, pour le moment… Mais ne le lâchez pas d’une semelle, compris ?
Oui patron, on ne le quitte pas des yeux . Il raccrocha à nouveau.
— Tu vas être en retard, Marianne, lança-t-il sèchement.
Les flics la libérèrent.
— Nous t’attendrons ici. S’il y a un problème, tu m’appelles… Le numéro ?
— 06.75.83.20.11.
— Bien. L’adresse où nous rejoindre si jamais ça tourne mal ?
— 26, rue Descartes à G. sur M.
— Très bonne mémoire, Marianne ! Dommage que tu sois aussi têtue…
Il enfila ses gants en cuir, lui confia le Glock. Laurent la braqua instantanément avec son Beretta.
— N’oublie pas de vérifier que c’est le bon dossier. Et que la juge est bien morte…
— Oui… Vous ferez rien à Daniel ?
— Ça dépend de toi, Marianne. Donne-moi une seule bonne raison et…
Elle fit non avec la tête.
— Bonne chance, Marianne. Et n’oublie pas ton mec.
Philippe fit coulisser la porte. Marianne sauta sur le trottoir avant de marcher droit devant elle. Le lieutenant referma et Franck se laissa tomber sur la banquette. Visiblement exténué.
— Tu as été parfait, souligna Laurent en allumant une Marlboro.
Parfaitement dégueulasse, pensa Franck en fermant les yeux.
Les marches du Palais. Grandioses. Marianne eut une torsion intestinale. Elle se souvenait les avoir montées plusieurs fois en star du crime. Avec escorte de paparazzi et gardes du corps en képi. Là, elle les monterait seule. Trop tôt pour la déferlante de prévenus, avocats et juges. Elle alluma une cigarette, consulta l’heure sur son portable. Huit heures pile. Forestier devait être arrivée. Elle n’était jamais en retard, selon Franck. Une de ces maniaques de la ponctualité. Marianne tira sur sa Camel avec frénésie. C’était peut-être sa dernière clope. Elle piétina ce qu’il en restait sur l’asphalte avant de se lancer à l’assaut du grand bâtiment qui annonçait la couleur. Liberté, égalité, fraternité . Meurtre prémédité.
Elle grimpa calmement les marches, cachant ses mains abîmées au fond des poches de son blouson en jean. Qui cachait lui-même un calibre 45. Elle pénétra dans le hall. Là, les ennuis pouvaient commencer. Coup d’œil circulaire. Deux avocats discutaient, leurs petites mallettes à la main, leurs robes noires de prêtres justiciers sur le dos. Un peu plus à gauche, l’accueil vitré. À éviter. Elle reprit sa marche lente et silencieuse. Ne pas courir…
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