Elle arrivait tout juste à respirer.
Laurent approcha à son tour, elle décida de prendre la fuite. Elle bouscula le commissaire, bondit sur le lit avant de s’engouffrer dans le couloir à la vitesse de la lumière. Là, elle tomba nez à nez avec Philippe. Le temps qu’elle réagisse, Laurent et Franck la saisirent par derrière. Elle envoya des coups à l’aveuglette. Percuta une tête, des corps et parvint même à se dégager.
Mais au bout de trois pas, ils s’emparaient à nouveau d’elle. Plaquée au sol, poignets menottés. Laurent la remit debout sans ménagement. Franck avait été touché au visage. Il saignait abondamment, l’arcade sourcilière explosée. Ça allait décupler sa fureur. Mais de toute façon, trop tard pour revenir en arrière. Elle descendit l’escalier sans même toucher terre. Fut jetée dans la salle à manger.
Franck épongea le sang qui inondait son visage et sa chemise blanche impeccable. Marianne avait reculé jusqu’au mur, attendait le châtiment en essayant de maîtriser sa peur.
— Alors, les gars ? s’enquit le commissaire. Qu’est-ce qu’on décide pour elle ?
— On en reste à ton idée, dit Philippe. C’est la mieux… Qu’elle paye. C’est tout ce qui compte…
Elle fut à nouveau empoignée et traînée jusqu’au jardin. Elle se remémora la tombe de son cauchemar, sentit le goût de la terre dans sa bouche. Mais ne prononça pas un mot. Elle n’avait pas eu le temps d’enfiler ses baskets, les pierres blessaient ses pieds nus.
Ils contournèrent la maison, s’arrêtèrent devant une porte métallique. Franck sortit un trousseau de clefs de sa poche, en essaya plusieurs avant de trouver la bonne. Grincement lugubre. Un air brûlant s’exhala de ce qui n’était qu’un minuscule local, une remise de vieux outils de jardin. Philippe dégagea les râteaux, les pioches et balança tout ça un peu plus loin. Il pesta contre les toiles d’araignées qui s’étaient invitées sur son polo.
— Vous n’allez pas me foutre là-dedans ? murmura Marianne avec effarement.
— Voilà ta nouvelle demeure ! annonça Franck. Ta dernière demeure… Au moins, je suis sûr que tu ne vas pas mourir de froid ! Et puis tu ne seras pas seule…
Elle lorgna vers les araignées suspendues au plafond. Une sorte de scolopendre s’évada à la vitesse de l’éclair de ce cloaque nauséabond. Et finit écrasé sous la semelle du commissaire.
— Un de moins ! plaisanta-t-il. Mais il y en a des centaines à l’intérieur. C’est dommage, tu pourras pas les admirer puisque tu seras dans le noir…
Il effleura son bras nu avec ses doigts. Ça lui procura un frémissement immonde.
— Mais tu pourras les sentir sur ta peau… Tu auras tout le temps de penser à ce pauvre Didier…
Laurent la poussa, elle souleva ses pieds du sol, résista au maximum.
— Déconnez pas ! hurla-t-elle.
— Allez, un peu de cran, Marianne ! lança le capitaine en la portant à bras-le-corps.
Il lui ôta les menottes et la précipita au fond du réduit où elle percuta le mur. Elle s’effondra sur le sol, se releva immédiatement. Se heurta à la porte qui se refermait. Elle se retrouva dans le noir complet.
Souffle coupé. Terrorisée. Peurs d’enfant.
Elle cogna contre le métal bouillant.
— Laissez-moi sortir !
La voix du commissaire se moqua d’elle, de l’autre côté.
— Ne gaspille pas tes forces, Marianne… Sinon, tu tiendras pas longtemps. Tu vas te déshydrater en moins de deux…
— Ouvre cette porte ! gémit-elle.
— Là, au moins, je suis sûr que tu ne pourras pas t’évader… En attendant, je vais prendre tout le temps nécessaire pour décider comment se débarrasser de toi…
— Laisse-moi sortir ! supplia-t-elle.
Les pas s’éloignèrent, elle s’acharna encore contre la porte à grands coups d’épaule. Jusqu’à ce qu’elle renonce, se fige dans la solitude. Ses yeux s’habituaient à la pénombre, un rai de soleil criard au-dessus de la porte lui procurait un faible éclairage. Elle était enfermée dans un rectangle d’un mètre sur trois. Pas plus. Une sorte de cercueil où la température devait dépasser les quarante degrés.
Elle suffoquait de peur. Tenta de se contrôler. C’est juste une punition. Ils vont venir me chercher dans une heure, tout au plus…
Elle n’osait ni s’asseoir par terre, ni s’appuyer au mur. De crainte d’être attaquée par une bestiole de film d’horreur. Sueurs froides, bien que dans une sorte de four où elle allait cuire à l’étouffée.
Respire, Marianne. Ils vont revenir d’ici peu… Ne pas perdre la notion du temps. Elle se mit à compter. Une minute toutes les soixante secondes. Son expérience des cachots l’aida à surmonter la terreur qui pouvait la tuer plus sûrement que la chaleur. Avec le pied, elle balaya le sol et s’installa en tailleur.
Ne pas user inutilement ses forces. Garder l’eau contenue dans son corps pour subsister le plus longtemps possible. Elle ferma les yeux. S’efforça de désolidariser son mental de son corps en souffrance. Pense à autre chose. Pense à Daniel… Les yeux bleus s’ouvrirent comme par miracle au milieu des ténèbres. Son sourire. Ses bras qui l’enlaçaient, la protégeaient de la folie des hommes. Elle planait hors de ce gouffre d’épouvante. Ayant réussi en un temps record à déconnecter son esprit de la réalité brutale.
Mais soudain, un fourmillement sur sa peau. Plusieurs paires de pattes qui montaient à l’assaut de son bras. Son état transcendantal se brisa en mille morceaux, clash dans son cerveau. Elle cria, chassa l’intrus d’un revers de main. Puis quelque chose courut sur sa tête, se déplaça rapidement dans la jungle de ses cheveux. Deuxième hurlement. Elle secoua la tête. Son cœur s’affolait. Ce ne sont que des petites bestioles, Marianne ! Elles ne vont pas te bouffer ! Pas pire que les cafards ou les rats du mitard ! Elles ont plus la trouille que moi ! Elles ont plus la trouille que moi…
Elle se boucha les oreilles, replia ses jambes, plaqua son visage à l’abri contre ses genoux. Son dos se trempa rapidement de sueur. La soif commença à la harceler.
Combien de temps ? Il était plus de treize heures quand ils m’ont enfermée. Ça doit faire une demi-heure…
Elle appela le visage de Daniel. Se réconforta à nouveau de ses yeux couleur ciel d’été. Ou couleur mers du sud. Ou couleur… Qu’est-ce qui existe d’autre, bleu comme ça ? Rien, rien qui soit plus beau que ses yeux… Pourquoi il est mort, ce crétin de flic !
Brûlure sur l’épaule. Elle y porta sa main mais l’attaquante était déjà partie. La morsure cruelle devenait une boursouflure. Saloperie ! Elle courait peut-être dans son dos, cherchant à planter ses crochets venimeux ailleurs. Marianne enfila son tee-shirt dans son jean, protégea les accès.
Ils vont me sortir de là. Ils ne me laisseront pas crever. Ils ont trop besoin de moi. Ça doit faire une heure maintenant. J’ai soif. J’ai faim.
Non, je n’ai pas soif. Ni faim. Je n’ai même pas peur.
— Enfoirés de flics ! Venez vous battre si vous êtes des hommes ! Je vais vous arracher les tripes, espèces de salauds !
Le silence la nargua. Elle cessa de gaspiller le peu de salive qui irriguait encore sa bouche. Se mit à osciller d’avant en arrière. Une nouvelle bestiole à mille pattes rampa sur son pied, elle secoua sa jambe en gémissant.
Soudain, elle eut la sensation que ça grouillait sur tout son corps. Il y en avait partout. Hystérique, elle se leva d’un bond, utilisa ses mains pour faire fuir la vermine virtuelle. Se tapa une crise de nerfs, une crise de larmes.
Calme-toi, Marianne… Tu délires… Calme-toi, putain…
Elle se rassit, reprit sa position fœtale, pensa de nouveau à Daniel. Son esprit se tendait vers lui. Parle-moi, mon amour… Dis-moi que je vais m’en sortir… Si on y pense fort tous les deux, on peut se parler… On peut s’entendre, j’en suis sûre… Elle oublia les mandibules, les pattes, les antennes qui la frôlaient. Se concentra sur Daniel.
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