Ses paupières se fermèrent sur une lumière un peu forte. La lumière du Paradis ?
Putain, ça existe pas ! J’te dis que ça existe pas.
Quelque chose serra son bras. Une araignée plus grosse que les autres. Puis son corps fut traîné par terre. Cette fois, les démons t’emportent vers l’enfer.
Ça n’existe pas, Marianne. Des conneries, tout ça !
Elle ouvrit les yeux. Une épaisse buée, sorte de brouillard tenace. Sa tête partit sur le côté. Incapable de tenir droite.
— Marianne ?
Des voix, maintenant. Les araignées, ça parle pas. Et puis comment elles connaîtraient mon prénom ? Elle essaya de répondre. Mais sa gorge était en carton. Sa langue, en bois. Enfin, le voile se déchira devant ses yeux.
Trois visages au-dessus d’elle. Qui c’est, ceux-là ? Une des figures se rapprocha. Marianne remodela sa matière grise. S’infligea un dernier effort. Les flics, le local dans le jardin.
Il faisait sombre, désormais. Elle naviguait entre chien et loup. Pourquoi ils m’ont fait ça ? Je m’en souviens pas… Franck s’était agenouillé près d’elle.
— Tu as compris, cette fois ?
Le flic. J’ai tué un des flics. La Fouine, je l’appelais.
Elle contracta sa gorge au maximum. Émit un oui qui ressemblait au grincement maladif d’une porte mal graissée. Il passa une main sous sa nuque, l’aida à relever la tête. Elle vit arriver le goulot d’une bouteille en plastique, empoigna l’objet de ses rêves avec l’énergie du désespoir. Elle s’étrangla et recracha le précieux liquide sur le sol.
— Doucement, dit Franck.
Il la fit asseoir contre la porte métallique, tint lui-même la bouteille. Un litre et demi qui réhydrata à peine sa bouche.
Il la porta jusqu’à la maison, l’installa sur le canapé. Il lui apporta une deuxième bouteille, elle l’avala d’un trait. C’était sucré, c’était si bon.
Ludovic aida Daniel à quitter l’infirmerie. Il avait du mal à soutenir ses cent kilos mais tenait bon.
— Comment vous vous sentez, chef ?
Curieux qu’il l’appelle encore chef .
— Je suis désolé de ne pas vous avoir sorti de là plus tôt… Mais il m’a fallu un moment pour m’apercevoir qu’ils vous avaient foutu au cachot…
— Merci d’être intervenu, murmura Daniel en s’appuyant au mur.
Tocqué lui avait fait trois injections successives dont au moins une devrait l’aider à dormir.
— On est presque arrivés, réconforta Ludo avec gentillesse.
— Ça va aller, assura Daniel en remettant ses deux mètres d’aplomb.
Ils marchèrent lentement jusqu’à la cellule 213. Daniel s’effondra sur son grabat.
— Ils ont pas prévu les lits à votre taille ! plaisanta le jeune gardien.
— Non… Mais c’est pas le plus grave…
— Sanchez a dit qu’il allait les sanctionner !
— Compte pas là-dessus… Tu pourrais me filer un verre d’eau, s’il te plaît ?
Daniel descendit le contenu du verre d’un trait, reposa son crâne endolori sur l’oreiller.
— Heureusement que vous êtes costaud, constata Ludo d’un ton désolé. Dites-moi, vous avez vraiment aidé Marianne à se tirer de l’hosto ?
— Non, répondit Daniel en fermant les yeux.
— Mais… Les journaux disent que… Enfin qu’elle et vous…
— Oui, elle et moi. J’aime cette fille…
Le jeune maton s’installa près du lit.
— Je reste un peu avec vous, ça vous dérange pas ?
— Non… On a des nouvelles de Marianne ?
— Aucune… Les flics et les gendarmes ne trouvent aucune piste.
— File-moi une clope, petit…
Il tendit le bras, attrapa un paquet de Peter. Daniel parvint à se redresser sur son lit, sa tête frôlait le sommier du dessus.
— Vous savez, si vous l’avez aidée, vous pouvez me le dire… Je le répéterai pas…
Le jeune homme semblait surexcité par cette histoire.
— Non, Ludo, je ne l’ai pas aidée… J’aurais tellement voulu, pourtant… C’est toi, cette nuit ?
— Ouais… Moi et Paul.
— Je vais pouvoir dormir… J’oublierai jamais ce que tu fais pour moi, Ludo… Mais ne te mets pas en danger pour me venir en aide, OK ?
— Ne vous inquiétez pas ! J’suis plus malin que j’en ai l’air. Et Portier est un crétin fini !
Daniel se rallongea, replia ses jambes, grimaça de douleur.
— Bon, je vous laisse dormir, chef. Si vous avez besoin de quoi que ce soit…
— Si tu pouvais encore m’apporter un verre d’eau… Je sais pas pourquoi j’ai soif comme ça…
L’eau de la douche avait coulé longtemps. Marianne sortit enfin de la baignoire et attrapa une serviette. Elle avait froid, maintenant. Dans le miroir, elle affronta son visage boursouflé. Piqûres et morsures d’insectes lui dévoraient le corps entier. Elle avait au moins trente-neuf de fièvre. Elle but encore au robinet puis se rhabilla lentement. Mais les vêtements agressaient sa peau rôtie en enfer. Elle enfila juste un débardeur à fines bretelles, poussa la porte de la salle de bains et trouva un plateau repas sur le bureau. Elle avala le coca mais ne toucha pas au reste. Elle se grattait les épaules, les bras et les jambes jusqu’au sang. N’avait pas assez de doigts pour apaiser les dizaines de poches à venin qui gonflaient son épiderme. Elle alluma une cigarette, se laissa glisser sur le parquet, dans un angle de la pièce. Épuisée, inerte. Elle se mit à pleurer, la tête renversée en arrière. Des sanglots longs.
Daniel ! J’aimerais tellement être près de toi ! Comme je regrette de m’être évadée !
La porte grinça, elle sécha ses larmes à la va-vite. Ils étaient venus à deux, bien sûr. Pourtant, elle n’avait plus de forces. Franck et son fidèle adjoint.
— Tu as fini ton dîner ? demanda sèchement le commissaire.
Elle ne lui accorda pas un regard. Pas même de haine. Elle se gratta machinalement le tibia, criblé de cloques. Le pire, c’était les démangeaisons sur les pieds. Et la soif qui ne la quittait pas. Elle aurait pu boire des litres et des litres. Ça n’aurait rien changé. Le commissaire s’accroupit devant elle. Elle tourna la tête sur le côté. Fixa le mur. Continua d’écorcher sa peau avec ses ongles.
— Tu n’as rien avalé depuis hier soir…
— Qu’est-ce que ça peut te foutre ?
— Ah… Je suis rassuré, je croyais que t’avais perdu la parole !
Elle serra les dents. Serra aussi ses bras autour de ses jambes repliées. Laurent alluma une clope et se hissa sur le bureau, histoire de voir Marianne de plus près.
— T’as morflé ! constata-t-il avec un rire affreux.
— Je vais très bien…
— Tu as bien résisté, effectivement, admit le commissaire. Mais si je t’avais laissée croupir une heure de plus là bas, tu serais morte…
— Et alors ? Je préfère crever que de voir ta sale gueule de flic !
— Ce n’est pas de ma faute si tu n’es pas raisonnable. Je t’avais prévenue, pas de coup en douce, pas de tentative d’évasion.
Elle tenta de contrôler sa rage. Pas le moment de s’énerver. Trop de fatigue, déjà. Ils s’incrustaient, telles des sangsues. D’autres parasites dont elle ne pouvait se défaire.
— Qu’est-ce que vous voulez ? aboya-t-elle comme si elle recrachait le venin dont sa chair était gorgée.
Elle griffait sa peau jusqu’à la mettre en lambeaux, sur ses jambes, ses épaules, son cou. Impression que la vermine grouillait encore sur son corps.
— Elle a pas envie de causer, Franck ! Cette fille a pas de conversation…
— Je crois qu’on la dérange. Elle était en train de chialer quand on est entrés…
— Les gonzesses ! On aurait dû prendre un mâle plutôt qu’une femelle à la SPA… En plus, celle-là a des puces ! ricana Laurent.
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