— Putain ! C’est pas possible… Mais qu’est-ce qui m’arrive !
— C’est la procédure, monsieur. Le procureur a ordonné la fouille de votre domicile.
— Mais je n’ai rien fait ! hurla Daniel en se levant.
— Restez assis, monsieur Bachmann. Restez calme, ça vaut mieux.
Daniel retomba sur sa chaise. Passa une main dans ses cheveux.
— Si on reprenait depuis le début ? Parlez-moi donc un peu de vos relations avec Marianne de Gréville.
Daniel fixa son bleu azur sur la vitre sale.
— Je vous écoute, monsieur Bachmann. Avez-vous déjà couché avec Marianne de Gréville ?
*
Le soleil descendait lentement vers d’autres latitudes. Tandis que Marianne descendait lentement vers le bruit et la fureur. Là, à l’intérieur de ses entrailles, une chorale de démons hurlaient famine. Elle en voulait. Il lui en fallait.
Elle avait essayé de dormir pour tromper la bête maléfique qui se nourrissait de sa propre énergie. Puis avait changé de stratégie en s’épuisant par des katas. Elle avait ensuite tenté un bain chaud.
Mais rien n’y faisait. Pourquoi le manque, maintenant ? Elle n’aurait su l’expliquer. Il arrivait toujours à l’improviste. Elle avait seulement le sentiment confus d’un danger un peu lointain. Un effroi suffocant dont elle ignorait la cause.
Le meurtre qui arrivait ? Non. Elle ne le commettrait pas, trouverait l’issue de cette nouvelle prison. Parce qu’elle refusait de payer ce prix pour sa liberté. Et parce qu’elle pressentait que la mort l’attendait, une fois la mission accomplie.
Non, quelque chose d’autre.
Elle ne cessait de penser à Daniel. Un autre manque. Une nouvelle peur. Oui, maintenant qu’ils étaient séparés, elle était inquiète. Pour lui. Sentiment inédit. Souffrir pour quelqu’un. Aimer, simplement.
Je me ronge les sangs pour toi, mon amour. Je sens que tu ne vas pas bien… Mais ne t’en fais pas, je serai bientôt près de toi. Tout ira mieux, alors.
Son regard déviait d’un mur à l’autre. Le manque était bel et bien là. Ne partirait pas avant d’avoir eu sa dose. Le réveil indiquait dix-huit heures. Elle luttait depuis près de trois heures maintenant. Après son retour de promenade. Puis le quatrième flic était arrivé. Le fameux Philippe, le plus jeune de la bande. Il était venu se présenter, avenant. S’était pris une douche froide en retour.
Elle ne bougea plus de son lit. Les maux de tête s’intensifièrent jusqu’à habiter la totalité de son crâne. Les contractions se rapprochaient dans son ventre, comme si elle s’apprêtait à accoucher d’un monstre.
Ses blessures vivaient une nouvelle vie, prenaient un nouveau départ. Comme si une main malveillante appuyait sur chaque plaie, sur chaque contusion.
Ses muscles se tétanisaient à leur guise, comme si une onde électrique lui balançait des électrochocs. L’angoisse montait lentement. Comme si elle allait mourir.
Elle se leva, s’appuya contre la porte, hésita un instant. Les appeler au secours ? Eux, ses propres ennemis. Pourtant, la souffrance était si forte… Elle serait bientôt insupportable. Incontrôlable. Demander de la codéine ? À ce stade, ça la calmerait à peine. Elle reçut un coup de butoir dans le ventre, s’effondra à genoux.
Elle capitulait, son corps réclamait juste la délivrance. Incapable de vouloir autre chose. Elle cogna contre la porte avec sa main intacte. Appela ses geôliers. À peine deux minutes plus tard, les pas résonnèrent dans le couloir. C’était plus rapide qu’en taule… Franck la découvrit assise par terre. Elle avait failli recevoir la porte en pleine tête. Ses yeux, hagards, se levèrent sur lui.
— Qu’est-ce qui se passe ?
— Je… Je ne me sens pas bien… Je voudrais de la codéine…
— Encore ? Qu’est-ce que tu ressens exactement ?
— J’ai mal… Partout…
Il l’aida à s’asseoir sur le lit, toucha son front. Il était glacé.
— Tu n’as pas de fièvre, pourtant. Tu ne peux pas prendre autant de médicaments, Marianne.
— Donnez-moi de la codéine, s’il vous plaît ! répéta-t-elle en desserrant à peine les dents.
— On ne sait même pas ce que tu as, ça pourrait être dangereux. Tu as déjà largement dépassé la dose autorisée…
Il la regarda plus attentivement. Détailla chaque contracture qui torturait cette peau livide. Ce balancement d’avant en arrière… Non, elle ne feignait pas. Mais il entraperçut brusquement ce qui la dévorait. Il resta un instant sans voix. Puis demanda, doucement :
— Tu te drogues, Marianne ? T’es en manque, c’est ça ?
— Non ! hurla-t-elle.
— OK, calme-toi…
Il la força à se lever.
— Tu descends, comme ça je pourrai te surveiller si tu as un malaise.
Elle protesta. Mais, sans lui laisser le choix, il l’entraîna dans le couloir en tenant solidement son bras. Les autres jouaient au billard. Laurent, dos à la porte, ne prit pas la peine de se retourner.
— Alors, Franck, on t’attend ! Qu’est-ce qu’elle voulait encore, cette emmerdeuse ?
Laurent fit volte-face pour se retrouver dans la ligne de mire d’un viseur noir et meurtrier.
— Marianne ne se sent pas bien, elle va rester avec nous, expliqua le commissaire.
Il s’en débarrassa sur le canapé. Elle s’y recroquevilla tandis qu’ils la toisaient. Comme à chaque fois, elle rêvait de devenir invisible. Ils me croient seulement malade. Il faut que je tienne le choc.
— Qu’est-ce qu’elle a ? s’enquit Philippe.
— J’en sais rien… J’ai pas fait médecine, mon gars ! Elle veut encore de la codéine, mais…
Marianne continuait à osciller en silence. Les écoutant parler comme si elle n’était même pas là.
— Arrêtez de vous inquiéter les mecs ! lança Laurent en reprenant la partie. Si ça se trouve, elle est simplement dans le mauvais moment du mois !
— Gros con ! vociféra une voix étouffée.
Laurent s’immobilisa une seconde. Puis s’approcha du divan. Il fut impressionné par son visage. Comme si on venait de la ramener d’entre les morts.
— T’as de la chance d’être une gonzesse ! Parce que sinon, y a longtemps que le gros con t’aurait mis son poing dans la gueule !
— Vas-y, essaye !
— Ça suffit ! coupa Franck avec agacement. Laisse-la tranquille !
Laurent continua à la fixer. Comme s’il avait eu une révélation. Il tourna la tête vers son patron.
— Pas étonnant qu’elle réclame de la codéine toutes les deux heures ! Elle est en manque ! Des camés, j’en ai vus suffisamment dans ma vie pour te dire qu’elle est en pleine crise…
Pour Marianne, la honte s’additionna à la détresse. Transformée en animal de foire, observée avec une curiosité malsaine. Trop dur à supporter. Elle se précipita vers le couloir mais Laurent la rattrapa.
— Eh ! Tu restes ici !
— Laissez-moi tranquille ! Je vais dans ma chambre !
Elle se débattit violemment et l’imprudent reçut un coup de poing dans la mâchoire avant de valdinguer contre la table. Les trois autres s’emparèrent de Marianne et la plaquèrent contre le mur.
— T’as intérêt à te calmer ! menaça Franck.
Ils l’obligèrent à s’asseoir à nouveau sur le sofa tandis que Laurent inventoriait ses dents.
— Sale petite garce ! hurla-t-il. Je vais te…
Franck le stoppa dans sa lancée.
— Toi aussi, tu te calmes ! fit-il avant de s’adresser à Marianne. Tu te drogues, oui ou non ?
Elle se mura dans le silence. Il la saisit par les épaules, la secoua un peu fort.
— Réponds ! Tu te drogues ?
— Oui ! avoua-t-elle dans un cri.
Il la lâcha. Eut un soupir un peu las.
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