— Donc, vous êtes resté deux heures avec la criminelle. Or, il ne faut pas deux heures pour déposer un sac dans une chambre.
— Mais de quoi m’accusez-vous, à la fin ? s’insurgea Daniel d’une voix courroucée.
— Contentez-vous de répondre à nos questions, monsieur Bachmann.
— Je… Nous avons parlé… Je lui ai annoncé qu’elle serait transférée à P.
— Pendant deux heures ? répliqua Werner.
— Nous avons parlé… De ce qui s’était passé dans le cachot… De la mort de madame Delbec, aussi…
— Intéressant… Aviez-vous de bons rapports avec la criminelle ?
— Oui. J’arrivais à bien la gérer. Elle n’était pas facile, mais ça se passait plutôt pas mal…
— Donc, on peut dire que c’est une détenue que vous aimiez bien ?
Daniel serra les mâchoires.
— Oui, on peut dire ça.
Werner quitta sa chaise. Il effectua quelques pas dans le petit bureau, les mains jointes dans le dos.
— Mademoiselle de Gréville vous a-t-elle parlé de ses projets d’évasion à ce moment-là ?
Daniel écarquilla les yeux.
— Quoi ?! Mais non ! s’écria-t-il. Bien sûr que non…
— Si elle vous en avait parlé, qu’auriez-vous fait ?
— Je l’en aurais dissuadée ! Et… Et j’aurais prévenu les policiers en faction devant sa chambre…
Le flic cessa de marcher, se planta face à Daniel.
— Je crois que vous ne me dites pas tout, monsieur Bachmann.
Daniel soutint son regard. Pourtant, la corde serrait son cou, maintenant. Il pensa à sa femme, à ses enfants.
— Je ne vois pas de quoi vous parlez, commandant…
— Je parle de vos rapports avec Marianne de Gréville… de vos véritables rapports.
— Qu’insinuez-vous ? se défendit Daniel.
— Je n’insinue rien, j’affirme ! Que vous aviez des rapports très particuliers avec cette détenue… Des rapports sexuels, plus précisément. Vous reconnaissez avoir eu des rapports sexuels avec la fugitive, monsieur Bachmann ?
Daniel se sentit défaillir. Il avait toujours su qu’un jour il faudrait payer. Ce jour était venu.
— Non.
— Mentir ne vous servira guère… J’ai le témoignage d’un policier qui dit vous avoir vu dans la chambre en train, je le cite, d’enlacer Marianne de Gréville.
Daniel avait envie de pleurer. Il tourna la tête vers la fenêtre. Se heurta aux barreaux.
— Oui, admit-il. C’est vrai. Je l’ai prise dans mes bras. Mais c’est parce qu’elle était… traumatisée par ce qu’elle avait subi la veille au soir… Et… Et je l’ai consolée, rien d’autre.
— Consolée ? ricana Werner. Ça vous arrive souvent de consoler les détenues ?
— Non… Mais je vous l’ai dit, j’aime bien Marianne… Elle pleurait et…
— On console les victimes, monsieur Bachmann. Rarement les coupables.
— Ce jour-là, c’était elle la victime…
— Victime de quoi ?
Daniel avait de plus en plus de mal à tenir sur sa chaise. Devenue électrique.
— Elle a été violée dans le cachot…
— Par les gardiens ? Ça vous a fait mal, monsieur Bachmann ?
— Évidemment ! On ne peut pas admettre ça, non ?
— Non, bien sûr.
Werner se remit à marcher.
— Donc, vous niez avoir eu des rapports sexuels avec Marianne de Gréville ?
— Je l’ai juste prise dans mes bras !
— Le problème, monsieur Bachmann, c’est que j’ai un témoignage qui indique le contraire. Pas celui du policier…
Daniel resta bouche bée. Il devina ce que le flic allait sortir de son chapeau.
— … Mais celui de Solange Pariotti qui affirme vous avoir surpris une nuit dans la cellule de Gréville. En train de faire l’amour avec elle.
Le chef ferma les yeux et les poings.
— Elle nous a même remis des photos très explicites.
— Ces photos sont truquées ! essaya Daniel en désespoir de cause. Cette fille me déteste et détestait Marianne ! Elle ferait n’importe quoi pour me nuire !
— Pour les photos, les experts se prononceront… Pourquoi mademoiselle Pariotti vous déteste-t-elle autant ?
— Parce que… Parce que j’ai refusé de coucher avec elle.
— Vraiment ? Elle prétend au contraire qu’elle repoussait vos assauts régulièrement. Elle dit avoir été victime de harcèlement sexuel de votre part.
Daniel leva un regard abasourdi vers le flic.
— C’est pas vrai… !
— Donc, vous niez toujours avoir eu des rapports sexuels avec la fugitive, monsieur Bachmann ? Et ce, malgré les témoignages et les photos ?
Daniel connaissait déjà la suite de l’interrogatoire. Il valait peut-être mieux jouer franc jeu. Mais dans ce cas, il risquait de perdre tout ce qu’il lui restait. Sa famille, son boulot. Il venait déjà de perdre Marianne. Alors non, il fallait résister encore. Sauver ce qui pouvait encore l’être. Après tout, ils n’avaient pas grand-chose à lui reprocher.
— Oui, s’entêta-t-il. C’est de la pure calomnie.
Werner s’assit à nouveau en face de lui.
— Est-ce vous qui avez aidé Marianne de Gréville à s’évader de l’hôpital, monsieur Bachmann ?
— Aidé Marianne ? Non, bien sûr que non ! J’étais ici quand elle s’est enfuie, vous pouvez vérifier !
— Nous vérifierons, monsieur Bachmann, nous vérifierons. Savez-vous comment mademoiselle de Gréville s’est échappée ?
Il prit à nouveau une cigarette, le flic ne tenta pas de l’en empêcher.
— Elle… Elle a maîtrisé les deux policiers et a quitté la chambre, je crois… C’est ce que j’ai entendu dire en tout cas.
— Comment a-t-elle pu maîtriser deux policiers armés, à votre avis ?
— Marianne sait se battre comme personne ! expliqua Daniel en souriant.
— En l’occurrence, il n’y a pas eu lutte. Elle les a menacés avec un pistolet. La question est de savoir comment ce pistolet a pu atterrir dans sa chambre.
Le visage du chef se décomposa lentement.
— Or, vous êtes le seul à avoir été vu dans cette chambre, hormis le personnel médical.
— Vous… Vous m’accusez d’avoir fourni une arme à Marianne ?
— Les faits sont là, monsieur Bachmann.
— Mais… C’est ridicule ! C’est absurde ! Où aurais-je pris cette arme ? Hein ?
— Je ne sais pas, mais vous finirez bien par nous le dire. Vous allez nous suivre au commissariat, monsieur Bachmann.
— Je n’ai pas aidé Marianne ! répéta Daniel.
— Veuillez nous suivre, s’il vous plaît !
— Mais… Je ne peux pas laisser ma collègue toute seule ! Et puis je n’ai rien à me reprocher !
Le lieutenant s’approcha, armé d’une paire de menottes.
— Vous allez m’attacher ? lança Daniel avec effroi.
— C’est la procédure, monsieur Bachmann, répondit Werner. Il est… neuf heures trente-cinq, vous êtes officiellement en garde à vue à compter de cette minute.
*
Marianne avait installé son réveil sur le chevet. Elle regardait le temps s’égrainer lentement, se muer en cristaux verts et brillants.
Ces chiffres verts qui lui rappelaient qu’elle manquait à quelqu’un. Daniel, mon amour, je ne t’oublie pas. Je vais me barrer d’ici et te rejoindre. C’est une question de jours, maintenant. Elle ferma les yeux, roula sur le dos. Fixa le plafond.
Agir avec intelligence. Ne pas se précipiter. D’abord, se montrer douce et obéissante. Continuer à les leurrer. Qu’ils oublient sa véritable nature pour ne plus voir qu’une jeune fille inoffensive.
Il lui fallait d’abord connaître mieux la propriété. En effectuer le tour en plein jour pour en trouver les issues. Car, dès qu’elle aurait passé la porte, elle devrait aller vite, très vite.
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