Elle étudia le profil de chacun de ses geôliers.
Didier lui paraissait le moins difficile à neutraliser. La force et la combativité ne devaient pas être ses qualités essentielles. En plus, il avait une façon de la dévorer des yeux qui trahissait certains désirs. Elle arriverait peut-être à l’attirer dans ses filets.
Laurent, une cible moins facile. Extrêmement méfiant, nettement plus baraqué. Une sorte de brute, insensible. Mieux valait l’éviter.
Le commissaire, lui, semblait être l’ennemi le plus coriace. Rusé, intelligent. Dur.
Quant au quatrième larron, celui qui devait arriver aujourd’hui, elle n’en gardait qu’un vague souvenir.
Oui, la cible prioritaire était la Fouine.
Elle inspecta la chambre à la recherche d’une arme potentielle. Pas grand-chose à se mettre sous la dent. Un stylo à bille qui pouvait transpercer une gorge. Une rallonge électrique pour attacher des poignets. Elle devrait se contenter de ses propres armes, les plus efficaces de toutes.
Encore fallait-il être au mieux de sa forme. Elle vira l’attelle à sa main gauche, la remplaça par un bandage serré sur le doigt. Face au miroir de l’armoire, elle exécuta quelques mouvements d’échauffement. Puis commença à frapper le vide. Gestes lents, d’abord. Puis de plus en plus rapides, de plus en plus violents. Son poing droit, ses pieds fendaient l’air à la vitesse de la lumière. S’il y avait eu un homme en face, elle l’aurait réduit en charpie. Pourtant, la souffrance était presque insoutenable. Harcelée de toutes parts, Marianne luttait pour ignorer les supplications de son corps affaibli. Peu importait la douleur. Même si elle était assez forte pour la conduire à l’évanouissement. Peu importait sa nuque tétanisée, ses côtes fêlées. Mais au bout d’une demi-heure de ce traitement inhumain, elle s’effondra à genoux devant la glace. Les dents serrées sur le supplice.
Elle s’accorda une douche bien chaude. S’appliqua à se coiffer, se parfuma. Puis retourna s’allonger au milieu de son lit trop grand. Laissez-moi encore deux jours et je vais vous niquer en beauté, les mecs… ! Envolée, Marianne. À tout jamais !
En imaginant le visage du commissaire, elle éclata de rire. Mais même rire lui faisait mal. Tu vas prendre cher, m’sieur le commissaire ! Tes supérieurs vont te lyncher ! Tu vas retourner à la circulation, vite fait bien fait !
Elle savoura une cigarette. La vie est une chose curieuse, pensa-t-elle en emplissant ses poumons de nicotine. Les flics m’ont jetée en taule, les flics m’en ont sortie. Je suis tombée amoureuse d’un maton.
Moi, une fille de bonne famille ! Une Gréville !
Des pas dans le couloir. Avoir l’air fatigué. Elle l’était tellement, de toute façon. La porte s’ouvrit, elle tourna la tête. Tomba sur les moustaches de la Fouine. Le destin lui souriait. Il apportait le déjeuner, posa son plateau sur le bureau.
— Je suis punie, aujourd’hui ? s’indigna Marianne d’une voix ingénue. Je n’ai pas le droit de manger avec vous ?
— Franck m’a demandé de te monter le repas… Il pense sans doute que tu as besoin de repos.
Marianne s’étira, son tee-shirt remonta jusqu’au milieu de son ventre.
— C’est vrai que je suis encore très faible…
Elle se leva tandis que le flic repartait. Elle se plaça innocemment en travers de son chemin.
— J’aurai le droit d’aller un peu dehors cet après-midi, vous croyez ? J’ai tellement besoin de soleil, lieutenant… Mais vous n’êtes pas lieutenant, peut-être ? Non, vous êtes sans doute capitaine ou commandant… Excusez-moi.
— Peu importe…
Elle lui souriait avec douceur. Parlait d’une voix lascive.
— Pourriez-vous me rendre un service, commandant ? Voudriez-vous jeter un œil à ma nuque, s’il vous plaît ? Cette blessure me fait si mal…
Elle se retourna, cambra légèrement les reins.
— C’est un peu rouge, en effet… J’ai pris du désinfectant à la pharmacie.
Elle pivota, ils n’étaient plus qu’à quelques centimètres l’un de l’autre.
— Vous m’avez apporté de la codéine ? Il me faudrait les compresses, aussi…
— Je vais aller te les chercher, dit-il.
— Merci, commandant.
— Je ne suis pas commandant. Appelle-moi Didier… Je reviens tout à l’heure.
Le flic se sauva et Marianne afficha une mine de fauve affamé. Toi, je vais te bouffer en une seule bouchée !
Elle s’installa devant son repas. Alluma la télévision. Avalanche d’images étourdissantes et agressives. Journal de treize heures. Le monde allait sans doute très mal mais ils se gardaient bien de le dire… Puis, subitement, son visage à l’écran. Elle resta sidérée devant le poste.
« Une détenue s’est échappée hier du centre hospitalier de M. Après avoir maîtrisé les deux policiers chargés de sa surveillance, Marianne de Gréville a réussi à quitter l’établissement. Mais malgré la mobilisation imposante des forces de l’ordre, elle n’a, pour l’instant, pas pu être appréhendée. Elle purgeait une peine de réclusion criminelle à perpétuité pour un double meurtre. Pendant sa détention, elle a également assassiné une surveillante et une de ses co-détenues. C’est une criminelle particulièrement dangereuse et la police, ainsi que la gendarmerie, sont en alerte rouge pour tenter de la retrouver… Il semblerait qu’elle ait bénéficié d’une complicité extérieure pour son évasion mais les enquêteurs n’ont pour le moment rien révélé à ce sujet… »
— C’est agréable de se voir à la télé ?
Marianne sursauta et lâcha sa fourchette. Le commissaire était là, juste derrière elle. Elle ne l’avait même pas entendu entrer, trop absorbée par le récit de sa propre vie.
— Je t’ai fait peur ? Excuse-moi, j’ai pas dû frapper assez fort…
Il éteignit le poste. Il portait un jean au lieu d’un de ses pantalons noirs très chics. Mais il le portait avec autant d’aisance. Un tee-shirt et une chemise manches courtes par-dessus. Il ne manquait pas de charme, elle l’aurait volontiers défiguré. Planté ses griffes dans sa belle petite gueule.
— Tu devrais mettre ta minerve, Marianne.
— J’étouffe, là-dedans…
— Voilà les compresses et le reste… Paraît que t’as demandé à Didier si tu pouvais sortir ? Ça ne sert à rien de t’adresser à lui. Le chef ici, c’est moi.
Il prenait un air tellement macho en disant ça que Marianne eut envie de rire. Mais elle se contenta d’un regard un peu soumis.
— Je le sais, mais je parle à celui qui vient me voir. À lui de répercuter les doléances à son supérieur…
— Si tu penses pouvoir trouver un appui parmi nous, tu te trompes Marianne.
— Un appui ? Mais pour quoi faire, commissaire ? Vous devenez paranoïaque, je crois…
— Peut-être ! avoua-t-il en souriant. Je t’accorde une balade, cette après-midi. Ou maintenant, si tu veux. Si tu as fini ton déjeuner…
— D’accord… Mais il faut d’abord que je fasse mon pansement.
Dans la salle de bains, elle posa une compresse sur la suture de sa cuisse, serra les dents.
Il faisait très chaud, dehors. Marianne, sur le perron, s’étira de bonheur. Franck et Laurent pendus à ses basques. Comme deux molosses reniflant ses mollets. Elle descendit les marches et partit tout droit, un garde de chaque côté. En face, le grand portail noir hérissé de pointes en métal se moquait d’elle. Au moins deux mètres de hauteur. La propriété était close par un mur de pierres encore plus haut. Au gré de la promenade, elle repéra un arbre proche de l’enceinte, calcula qu’il était possible de grimper dessus pour passer de l’autre côté. Même si la chute risquait d’être brutale. Ils firent le tour du parc, les deux flics n’échangèrent pas un mot. Marianne chantonnait doucement le dernier tube de Jay Kay entendu à la radio. Pour oublier qu’elle avait deux sangsues collées dans son dos. Ils revinrent devant la maison, Marianne remarqua un garage sur le côté. La Laguna était garée devant, les clefs sur le contact. Thomas lui avait appris à conduire mais c’était si loin…
Читать дальше