— La salle de bains ! annonça-t-il façon majordome.
Elle avait l’impression de visiter une baraque au-dessus de ses moyens avec les gars de l’agence immobilière. Sauf que les négociateurs étaient armés jusqu’aux dents, prêts à la descendre si elle refusait la transaction…
Les yeux de Marianne étincelèrent.
— Une baignoire !
— Oui ! Si jamais on a oublié quelque chose, n’hésite pas à demander.
Marianne retourna dans la chambre. Elle ouvrit la fenêtre et tomba sur une grille fraîchement posée, le ciment tout juste sec. Au travers des barreaux, une lune pleine irradiait sa toute puissance.
— C’est plus confortable qu’en prison, non ? jugea le commissaire.
— Le confort, c’est pas important… L’important, c’est les barreaux aux fenêtres.
— T’as qu’à tirer les rideaux, tu les verras plus ! préconisa Laurent.
— Je les verrai toujours, murmura-t-elle.
— Tu seras bientôt libre, Marianne, rappela Franck. Mais pour le moment, j’ai pas spécialement envie que tu nous fausses compagnie.
Elle s’écroula sur le lit. Son visage reflétait un curieux mélange d’épuisement et de tristesse. Les deux flics étaient encore là. Qu’est-ce qu’ils veulent ?
Elle eut soudain une crispation au niveau du ventre. Une sorte de peur. Portier, penché au-dessus d’elle. Le flic de l’hosto, qui descendait la fermeture éclair de son pantalon. Premiers signes d’un traumatisme qui la suivrait toute sa vie.
Elle se leva d’un bond, recula sans les quitter des yeux.
— Ça ne va pas ? s’inquiéta le commissaire qui fit un pas en avant.
Elle, deux en arrière. Il s’immobilisa.
— Qu’est-ce qui se passe, Marianne ?
— Tu m’approches pas… OK ? Tu restes à distance !
— D’accord… Ne t’énerve pas.
— Pourquoi vous partez pas ?
— J’attendais… J’attendais juste que tu vérifies qu’il ne te manquait rien. Au cas où… Tu n’as rien à craindre de nous, assura-t-il. En tout cas, pas ça…
Elle feignit ne pas comprendre l’allusion. Fixa la télé éteinte.
— Je sais ce qui t’est arrivé en prison…
Une bouffée de chaleur grimpa jusqu’à son visage. À croire que c’était paru au Journal Officiel !
— Je vois pas de quoi tu parles.
— Ça ne t’arrivera pas ici.
Ils quittèrent la pièce, fermèrent à clef.
J’ai été ridicule. Ils doivent bien se foutre de ma gueule, ces ordures ! Elle se laissa tomber à nouveau sur le lit. Si confortable qu’elle eut l’impression de s’y noyer.
Après une cigarette, elle se déshabilla, s’observa dans le miroir de l’armoire. Elle s’y voyait de la tête aux pieds. Pour la première fois depuis qu’elle avait dix-sept ans. Au bout d’une minute, elle se mit à pleurer.
Tu as vieilli si vite, Marianne ! Tu es tellement abîmée… Mais vivante et bientôt libre. Reprends-toi !
Elle s’exila dans la salle de bains. Vrai qu’ils avaient tout prévu. Serviettes, brosse à dents, dentifrice. Produits en tout genre qui fleuraient bon le parfum de synthèse, le propre, le luxe, la féminité. Oui, c’était une femme qui avait préparé tout ça ! Impossible que ce soit un homme… Elle fit couler l’eau chaude dans la baignoire avec une bonne dose de bain moussant, respira à plein nez la fragrance délicate. Un bain… Depuis quatre ans qu’elle en rêvait ! Elle vérifia la température de l’eau et s’y plongea avec un délicieux frisson. Plaisir sensoriel tellement merveilleux qu’il lui arracha de nouvelles larmes. Elle se savonna généreusement, oubliant les vieilles habitudes. Ne pas gaspiller le gel douche qui doit durer le mois. Dix minutes, pas une de plus.
— Le pied ! s’exclama-t-elle en riant comme une gamine.
Ça apaisa un peu ses douleurs multiples et récurrentes. La délassa de la tête aux pieds. Elle alluma la petite radio trouvée sur le bureau. En zappant, elle tomba sur Jay Kay. Son dernier tube, sans doute. Il n’avait pas changé. Elle monta le son. Revit le visage de Thomas.
Elle se fit ensuite un shampooing qui titilla ses narines. Se laissa porter par l’eau chaude. Elle n’avait plus la force ou l’envie de quitter cette enveloppe liquide si réconfortante. Prête à passer la moitié de la nuit dans ce bain de jouvence, l’autre moitié dans le grand lit. Si grand, pour elle toute seule. Elle changea de fréquence. Elle ne connaissait aucune chanson, de toute façon. Elle avait apporté ses Camel, elle s’en offrit une. Fumer dans un bain moussant. Le rêve ! Elle évitait de songer à la suite, de se rappeler pourquoi elle était ici. Le prix à payer pour ce bain. Pour cette spectaculaire évasion. La radio passa un tube des années 90, Marianne essaya de se souvenir des paroles. Chantonna. Profite, ne pense pas à demain. Tu trouveras la solution… Elle chantait toujours, avait monté le volume à fond.
Jusqu’à ce qu’elle pousse un hurlement strident. Le commissaire se tenait à deux mètres. L’air éberlué face à cette étonnante cantatrice.
— Putain ! Vous voulez que je fasse une attaque ? Mais qu’est-ce que vous foutez là ?
— Excuse-moi… Je m’inquiétais… Ça fait cinq minutes que je frappe à la porte… J’ai cru que tu avais un malaise.
— J’ai pas le droit de prendre un bain ?
— Si. Mais ça fait plus de deux heures et…
Le temps est farceur, parfois ! Deux heures en cellule, c’était interminable. Deux heures dans un bain, ça passait si vite. Surtout quand on n’en a pas pris depuis des années. Heureusement qu’elle avait mis plein de mousse. Ça lui avait évité le pire.
— Je t’attends dans la chambre, ajouta le flic avec un petit sourire.
Il referma la porte, elle éteignit la radio. Elle s’enroula dans un drap de bain. Essaya d’arranger sa coiffure. Testa tous les parfums, choisit le dernier, le plus léger. Puis elle entrouvrit la porte.
— Faudrait que je puisse m’habiller tranquille…
— Oui, bien sûr. Je vais sortir. Il y a quelques vêtements dans l’armoire… Normalement, c’est ta taille.
Elle resta stupéfaite. Des vêtements ? Elle se hâta d’admirer sa nouvelle garde-robe. De quoi s’habiller du haut jusqu’au bas. Dessus et dessous. Elle opta pour un jean noir, un tee-shirt gris. Un poil trop grand. Mais propre et neuf. À son goût, en plus ! Incroyable qu’ils aient prévu tout ça… Elle remarqua une robe. Noire et longue, magnifique. Elle positionna le cintre au niveau de ses épaules, la robe devant elle. Une autre Marianne. Jamais je ne pourrais mettre ça !
Elle ouvrit la porte de la chambre. Le commissaire patientait sagement dans le corridor.
— Vous vouliez quoi ?
— Tu as faim ? On a des pizzas, si tu veux.
— Des vraies pizzas ?
— Pourquoi, il en existe des fausses ?!
— On voit que vous avez jamais bouffé en zonzon, vous !
— Des pizzas plus vraies que nature ! Tu viens ?
— Pourquoi ? Je mange pas dans ma cel… chambre ?
— Manger avec des flics, ça te coupe l’appétit, c’est ça ?
Elle s’appuya au chambranle.
— J’ai l’habitude de manger seule…
— Ce soir, j’aimerais que tu te joignes à nous… Qu’on fasse un peu connaissance.
— Je vais chercher mes clopes, dit-elle en soupirant.
— Inutile… Didier t’a ramené une cartouche. Allez, magne-toi, je commence à avoir les crocs ! Ça fait une heure qu’on t’attend.
Ils m’attendent pour bouffer ? Elle allait d’étonnement en étonnement. Il la fit passer devant, elle avança lentement dans le couloir étroit, puis dans l’escalier. Chaque fois que son pied se posait sur une marche, ça résonnait dans son cerveau engourdi. La fièvre était remontée en flèche. Le bain, sans doute trop chaud. Les émotions trop fortes. Soudain, elle s’immobilisa. Elle plia les genoux, se retint à la rampe. Il passa devant.
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