— Brigadier ! hurla-t-elle. S’il vous plaît ! Venez !
Ce fut le jeune gardien de la paix qui s’aventura dans son antre. Elle se remémora son prénom. Pierre. Saint-Pierre et les portes du Paradis qui étaient sur le point de s’ouvrir… Peut-être pour tous les deux, d’ailleurs.
— Excusez-moi, dit-elle en gémissant de douleur. Je… Je voudrais que vous redressiez un peu mon lit… J’ai tellement mal à la nuque, c’est insupportable…
— T’as qu’à attendre l’infirmière.
— Je vous en prie !
Elle avait deviné un brin d’humanité chez ce type. Pourtant, il hésitait encore.
— Pierre, je vous en prie ! Je ne vous ferai rien ! Je ne peux même plus bouger… Je suis contente que ce soit vous qui soyez venu. J’ai tellement peur de votre collègue…
Il marmonna quelques mots. S’approcha du lit, se baissa pour chercher la manette. Sentit soudain un truc métallique appuyer sur sa tempe.
— Reste calme. J’ai un calibre braqué sur ta tête. Alors tu vas me détacher le poignet…
Il ne bougea pas. Transformé en sculpture de plâtre.
— Pas de connerie, Pierre… Tu es bien trop jeune pour mourir ! Et moi, je n’ai plus rien à perdre. Alors tu me détaches et je te laisse la vie… OK ?
Il se redressa lentement, elle continua à pointer le canon en direction de son visage contracté. Il récupéra les clefs dans ses mains tremblantes, ouvrit le bracelet.
— Maintenant, tu poses ton arme sur le lit et tu recules jusqu’au mur…
Il s’exécuta. Elle s’empara du revolver chargé, força Pierre à s’agenouiller et lui menotta les poignets aux barreaux du lit. Alors, le brigadier fit irruption, inquiet de ne pas voir revenir son jeune collègue. Tombant nez à nez avec le revolver de son adjoint, il leva instinctivement les mains devant lui.
— Pose ton flingue et tes pinces par terre ! ordonna Marianne.
Il se montra tout aussi docile que son coéquipier. Se retrouva dans la même position que lui. Marianne enfila ses baskets puis enfourna du papier toilette dans la bouche des flics. Dans son sac de sport, elle cacha l’arme du policier sous ses affaires, entortillée dans un de ses pulls, laissa le calibre 45 bien en vue dessus. Elle garda un revolver chargé à la ceinture, enfila une chemise sur son tee-shirt pour dissimuler sa prise de guerre. Enfin, elle murmura à l’oreille du brigadier :
— Ça, c’est pour tout à l’heure !
Il reçut un violent coup sur la nuque et s’affaissa comme un pantin chiffonné. Pierre ferma les yeux, s’attendant à recevoir le même châtiment. Mais Marianne se contenta de l’embrasser sur la joue.
— Merci Pierre ! chuchota-t-elle. T’as été parfait !
Elle quitta aussitôt la chambre, son sac à la main. Elle évita l’ascenseur, emprunta l’escalier. Ses jambes flageolaient.
Tu marches vers la liberté, Marianne ! La liberté. Cette fois, c’est à ta portée. Tu as deux flingues chargés, tu peux te tirer tranquille. Les flics du parking vont t’attendre longtemps !
Arrivée au rez-de-chaussée, elle s’efforça de paraître naturelle. Mais, alors qu’elle cherchait des yeux une porte dérobée, elle tomba sur le docteur Beauregard qui rentrait chez lui, un casque de moto à la main. Vrai qu’il avait un joli regard derrière ses binocles !
En l’occurrence, il ressemblait à un croyant devant une apparition de la Sainte-Vierge.
— Pas de bêtise docteur, conseilla-t-elle.
Elle écarta sa chemise, le médecin se liquéfia en apercevant l’arme à sa ceinture.
— Je vais sortir et vous ne tenterez rien. Vous ne voulez pas d’un bain de sang ici, pas vrai doc’ ?
Il acquiesça en silence.
— Parfait ! Il y a une autre sortie que celle qui donne sur le parking ?
— Euh… Oui… Derrière. Là où arrivent les livraisons de marchandises.
— Conduisez-moi, docteur.
— Mais…
— Conduisez-moi. Sinon, je fais un don à la science… Vous.
Elle avait la main sur la crosse de son flingue. Il passa devant, la guida dans le labyrinthe des couloirs.
— C’est là… Vous traversez la cour et vous êtes dans la rue. Vous n’irez pas loin, vous savez… Vous êtes encore très faible. Vous avez de la fièvre et…
Elle le toisa avec étonnement. Il se souciait de sa santé dans un moment pareil ? Très pro, le toubib !
— T’inquiète, Jolis Yeux ! Et rends-moi un dernier service… Donne ton fric.
— Mon fric ? Mais…
— T’as bien un billet sur toi, non ?
Il sortit un portefeuille de sa poche. Il tremblait tellement qu’il le laissa tomber aux pieds de Marianne. Il se baissa pour le ramasser, frisant la syncope. Puis il lui donna tout ce qu’il avait. Cinquante euros. Elle avait espéré plus, mais c’était déjà un bon début. Un taxi ou une chambre d’hôtel. Un trajet en bus.
— Merci, doc’ ! Et si un jour je suis malade, je reviens te voir !
— Prenez soin de vous, Marianne…
— Promis ! dit-elle avec un sourire ému.
Elle poussa la porte, prit quelques secondes pour évaluer le terrain. Une sorte de grande cour et ensuite, un large portail. Et, juste après, la rue. Exactement ce que Beauregard lui avait décrit.
La Terre Promise.
Elle fonça droit devant, passa le portail sans encombre. Dire que ces idiots de flics m’attendent de l’autre côté ! Il va passer une mauvaise soirée, le commissaire ! Au menu ce soir, soupe à la grimace ! Elle arriva dans la rue.
Malaise. Elle s’essaya à quelques pas, fut obligée de s’arrêter, appuyée contre le mur d’enceinte de l’hôpital. Étourdissement. Ni la douleur, ni la fièvre. C’était la liberté. Cette immensité qui s’ouvrait à elle.
Elle contempla le ciel de cette fin d’après-midi. Bleu, comme ses yeux. Juste quelques nuages indolents qui s’y prélassaient. Puis, elle observa autour d’elle, toujours amarrée au mur. Grisée de bruits, d’odeurs, d’images. De vie.
Allez, Marianne ! Traîne pas trop dans le coin ! Elle se remit en marche, d’un pas rapide malgré le vertige, sa main serrée sur les anses de son sac.
J’ai réussi, mon amour ! Je suis libre. Bientôt, nous nous retrouverons… Je suis libre ! Une mélodie du bonheur qui hurlait dans sa tête. Lui faisant presque oublier les dangers qui la guettaient dans l’ombre. Elle souriait à l’inconnu. Versa quelques larmes en regardant le soleil disparaître derrière les toits.
Soudain, des pas derrière elle. Ne sois pas parano, Marianne ! C’est juste un passant, comme il y en a des milliers… Il y a des tas de gens qui marchent dans la rue. Libres, comme toi. Elle avançait vers son destin, tête baissée. Dans la lumière déclinante du crépuscule. Dehors. Aucune grille à franchir. Aucun barbelé au-dessus de sa tête. Aucun uniforme en vue.
Elle se mit à rire. Faillit percuter quelqu’un qui venait en face. Un autre passant.
— Bonsoir Marianne… Où tu vas, comme ça ?
Elle se figea face aux yeux verts implacables du flic du parloir. Elle lâcha son sac, posa la main sur la crosse du revolver.
— Je te le conseille pas, Marianne. T’as un flingue braqué dans le dos…
Rapide coup d’œil en arrière. Une ombre la tenait en joue. Une voiture s’arrêta à sa hauteur. Une main appuya sur son épaule, le canon d’une arme s’enfonça dans ses côtes. Le commissaire fit un pas en avant, avec un sourire satisfait. Il lui confisqua le revolver et empoigna son sac.
— Monte dans la voiture, Marianne…
Le trajet avait été long. Plus d’une heure, coincée entre deux types à l’arrière d’une voiture. Mais Marianne n’en avait pas perdu une miette. Malgré la situation inconfortable, malgré ce premier échec, elle s’était gorgée l’esprit de chaque image. Une ville, la nuit. Des gens, partout. Du bruit, de l’agitation, une sorte de mouvement perpétuel.
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