Elle hoche simplement la tête, sans même regarder ce qu’il tient entre ses mains.
— Dis donc, il est plus vieux que toi !
— Qu’est-ce que ça peut bien vous foutre ?
— Eh ! Tu me parles autrement, OK ?
— Vous n’avez pas à toucher à mes affaires ! Posez ce cadre !
— Bouclez-la un peu, marmonne Raphaël. Will a besoin de se reposer.
Le jeune homme ouvre un œil, le referme aussitôt. Le silence pèse à nouveau sur la maison ; seule la voix grave de Christel leur apporte un air familier, fredonné depuis la cuisine. Cet air d’opéra qu’elle psalmodie constamment.
Raphaël consulte sa montre et lève les yeux vers Sandra.
— Tu travailles avec quelqu’un à ton cabinet ?
— Oui, j’ai une assistante.
— Et à quelle heure tu commences d’habitude ?
— Vers neuf heures.
— Et tu attends quoi pour prévenir ton assistante ?
— Je… je sais pas.
— Parce que tu crois que tu vas aller bosser peut-être ? dit Fred.
— Mais j’ai des rendez-vous et…
— Stop ! coupe Raphaël d’une voix cinglante. Appelle ta secrétaire, mets le haut-parleur. Tu lui dis que t’es malade, que tu ne peux pas bouger de ton pieu et que tu ne viendras pas bosser. Ni aujourd’hui, ni demain.
Il s’extirpe de son fauteuil et saisit le sans-fil avant de le mettre de force dans la main de Sandra.
— Et pas d’entourloupe surtout, ajoute-t-il.
Elle compose le numéro, appuie sur la touche haut-parleur. Trois sonneries plus tard, son assistante décroche.
— Bonjour Amélie, c’est Sandra. Je ne vais pas pouvoir venir aujourd’hui. Je suis malade, j’ai attrapé une sorte de grippe… je suis clouée au lit.
— Aïe ! Vous avez vu le médecin ?
Sandra hésite, elle dévisage Raphaël qui lui répond d’un signe de tête.
— Non, j’ai ce qu’il faut à la maison, je vais soigner ça.
— Vous devriez l’appeler, sermonne Amélie d’une voix maternelle. Surtout que votre homme n’est pas là en ce moment !
— Si ça ne va pas mieux demain, je lui téléphonerai, promet Sandra.
Raphaël pose une main sur sa gorge, comme s’il souffrait d’une angine, pour lui signifier de modifier sa voix. Sandra essaie de paraître fatiguée et enrouée, mais le résultat laisse à désirer. Elle a surtout l’air stressée.
— Vous pouvez annuler mes rendez-vous et prévenir les personnes chez qui je devais me rendre ?
— Bien sûr, je m’en charge. Vous pensez reprendre quand ?
— Eh bien… Pas demain, en tout cas. Sans doute après-demain. J’espère…
— OK, je vais essayer de gérer les urgences et de repousser tout le reste ! Vous avez besoin de quelque chose ? Je peux passer entre midi et deux si vous voulez…
Là encore, Sandra hésite. Raphaël fait non avec sa main, mais la jeune femme décide de prendre des initiatives.
— Si vous pouviez me monter de l’amoxicilline, je crois que je n’en ai plus et que je vais en avoir besoin.
Raphaël fronce les sourcils, échange un regard inquiet avec Fred.
— Sans problème !
— Je serai couchée alors vous n’aurez qu’à la déposer dans la boîte.
— D’accord.
— Merci beaucoup, Amélie. Et appelez-moi en cas de problème.
— Je vais tâcher de vous laisser tranquille ! Soignez-vous bien et ne vous inquiétez de rien. Tenez-moi juste au courant.
— Je vous rappelle demain. Merci encore, Amélie.
Sandra remet le téléphone sur sa base.
— C’est quoi, l’amoxi machin ? questionne Raphaël.
— Un antibiotique pour votre frère.
— Parfait, doc… Je vois que tu tiens à la vie, c’est bien !
— Je n’ai pas peur de la mort, rétorque la vétérinaire en le défiant du regard. D’ailleurs, je la donne tous les jours.
Un peu interloqué, Raphaël sourit.
— Ne pas avoir peur de la mort et tenir à la vie sont deux choses différentes.
— Il faudrait que j’aille m’occuper des chevaux, maintenant.
— Quels chevaux ?
— Les miens. Ceux qui sont dehors.
— Occupe-toi plutôt de mon frère.
— Votre frère dort. Mes chevaux, eux, sont réveillés. Et ça ne me prendra pas beaucoup de temps.
— On verra ça plus tard.
— Ai-je au moins le droit d’aller prendre une douche et de me changer ? Je vous signale que hier, lorsque vous m’avez appelée, je rentrais tout juste d’une longue journée de travail.
Raphaël lève les yeux au ciel.
— D’accord, Christel va t’accompagner.
— Je n’ai besoin de personne pour prendre une douche !
Cette fois, Raphaël perd patience. Il attrape Sandra par le bras, l’attire brutalement à lui.
— Arrête de me casser les couilles. J’ai pas dormi depuis deux jours et je suis un peu sur les nerfs, si tu vois ce que je veux dire… Alors cesse de discuter mes ordres ou je te rattache à la table et je te colle un bâillon.
— Y a une fenêtre dans la salle de bains, précise Fred d’un ton désinvolte. Qui donne direct sur le toit du garage ! Alors on ne risque pas de te laisser y aller toute seule.
Christel les rejoint très à propos.
— Tu veux bien l’accompagner ? demande Raphaël. Elle voudrait prendre une douche.
— Bien sûr, répond Christel avec un affreux sourire. À tes ordres, chef !
Raphaël n’apprécie guère son insolence, mais fait mine de ne rien avoir entendu et lui confie son colt ; Christel prend la main de Sandra et l’entraîne vers l’escalier.
— Qu’est-ce que tu attends ?
— Vous pourriez vous retourner…
— Et puis quoi, encore ?
Christel est devant la porte de la salle de bains, l’arme à la main. Sandra a ôté son gilet, mais s’est arrêtée là, apparemment incapable de se dévêtir devant cette inconnue armée, au regard réfrigérant.
— Je ne te tournerai pas le dos, prévient Christel. Je n’ai pas envie que tu me balances un truc dans la tête et que tu te fasses la belle, ma belle !
— Je n’en ai pas l’intention. Je veux juste prendre une douche et me changer.
— Bien sûr, poursuit Christel d’une voix grave, presque suave. Tu es aussi inoffensive que l’agneau qui vient de naître… Suffit de regarder le bras de Raphaël pour s’en rendre compte !
Christel s’approche, lentement, sourire aux lèvres. Elle se met à tourner autour d’elle, la détaillant de la tête aux pieds. Puis soudain, elle pose le canon de l’arme sur le haut de son bras, le fait descendre doucement sur sa peau nue.
— Je te fais peur ? chuchote-t-elle dans son oreille.
— Non, mais…
— Tu as tort, tu sais.
— Tort ?
— De ne pas avoir peur de moi. Je pourrais te tuer. Là, maintenant. Ou te faire autre chose… Plein de choses.
De sa main libre, Christel effleure son cou.
— Tu as une peau magnifique, murmure-t-elle. Tellement douce… Un délice.
— Vous avez besoin de moi pour soigner William, rappelle précipitamment Sandra.
— Will ? Il peut bien crever, ça m’est égal. Au contraire, ma part n’en sera que plus importante !
Christel éclate de rire, Sandra est secouée par un frisson.
— Tu ne me crois pas capable de tuer ? reprend la jeune femme avec un doigt sur la détente. Tu sais, il paraît que je suis folle… Complètement dingue !
Sandra avale sa salive.
— C’est ce que dit Raphaël, en effet. Mais moi je ne trouve pas que vous ayez l’air… folle.
— Vraiment ? Raphaël t’a dit que j’étais cinglée ?
— Oui. Enfin, pas à moi… À son frère.
Le pistolet est toujours sur sa peau, montant et descendant au gré des envies de celle qui le tient. Contact glacial qui lui file la chair de poule.
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