Parce que c’est le jeu et qu’il en respecte les règles.
Il tombe à genoux, mains derrière la tête.
Drôle de jeu.
Parce qu’il a choisi de vivre ainsi.
C’est le risque, celui qu’il aime tant. Autant que l’argent et la liberté.
Cette liberté qu’il vient de perdre et pour longtemps.
Les hommes en noir le plaquent au sol, lui passent les menottes. Il sent le canon du fusil d’assaut appuyer sur sa nuque. Au moindre mouvement…
On le relève, il se retrouve face au chef de meute. Tellement de choses dans leurs yeux. De la considération, de la rage, un peu de colère.
Tu nous as fait courir, putain…
Raphaël finit par lui sourire.
Chapeau ! J’ai perdu, tu as gagné. Mais ce n’est qu’une bataille, pas la guerre.
Le flic d’élite ne jubile pas, la victoire modeste. Car lui aussi, sait. Que Raphaël n’est pas un petit malfrat, un délinquant minable. C’est un beau mec, comme on dit. Un type qui inspire crainte et respect, même dans le camp adverse.
Un homme qui a appris les règles, n’y déroge jamais.
L’argent, le risque, la liberté, l’honneur. La violence.
La légion ennemie l’emporte vers une destination qu’il connaît déjà.
Début du calvaire.
Le 36, pour des heures et des heures d’interrogatoire. Que de temps perdu puisqu’il admet sa culpabilité dès les premières secondes. Les yeux dans les yeux. Mais qu’il ne donnera jamais ses complices, même sous la torture.
Après, ce sera le bureau d’un juge, les nuits au dépôt.
Et la maison d’arrêt. Son quartier d’isolement.
Suite du calvaire.
C’est le jeu.
Drôle de jeu.
Le procès, le troisième, déjà.
La peine, toujours plus lourde.
D’un point de vue pénal, mieux vaut violer une femme que le coffre d’une banque. Prendre les armes pour prendre l’argent là où il se trouve, voilà un crime impardonnable aux yeux de la justice… Vraiment aveugle, aucun doute.
Les taules qui se succèdent.
Pas de pitié pour les braqueurs. Ça tombe bien, ils n’en demandent pas.
C’est le jeu, après tout.
Un jeu à la con, parfois. Souvent.
L’isolement, encore. Les cachots, le noir et la solitude. Où il faut tenir. Tenir debout pour ne pas devenir fou. Se répéter inlassablement qui on est, pourquoi on est là. Et ce qu’on fera ensuite.
Debout pour ne pas devenir fou.
Et puis un jour, la liberté. Après des années et des années… La liberté que l’on peut affronter parce qu’on n’a jamais cédé.
Fin du calvaire. Mais pour combien de temps ?
Recommencer. C’est le jeu, ça aussi.
Raphaël replonge doucement, une main sur la crosse de son flingue. Dehors, le vent se lève, comme pour chasser le brouillard dans sa tête. Où s’insinuent d’autres images…
Les vitrines explosent, les bijoux glissent dans les sacs. Tout va si vite.
L’adrénaline qui descend après la montée en flèche.
Le chrono qui tourne.
Vite, faire vite.
Couchés sur le sol, ventre à terre, deux hommes, une femme. Terrorisés.
Et les vitrines qui se brisent, encore. À coups de marteau. Les écrins qui changent de main.
Vite, faire vite.
Jeter un œil dehors ; rien à signaler. Fred est près de la voiture, moteur au ralenti.
Tout est sous contrôle. C’est la règle si l’on ne veut pas perdre.
Tout perdre.
Dernière vitrine, derniers joyaux. Le dernier coup.
Un coup de maître.
Encore un regard vers la place mythique, sanctuaire du luxe, du fric. Du raffinement, de l’opulence. De l’indécence. Ce temple qu’ils osent profaner, avec une indicible jouissance.
Il est temps de sortir, avec calme. Comme si de rien n’était. Il suffit de pousser la porte et de marcher jusqu’à la voiture. Quelques mètres, à peine. Les plus périlleux.
Raphaël pose la main sur la porte vitrée, au moment où une bagnole blanche avec trois types à l’intérieur ralentit. Puis s’arrête, juste en face de la bijouterie.
Le grain de sable, tant redouté.
William a compris, Raphaël aussi.
Ce n’est plus le coup de maître, c’est le coup de trop.
Les types sortent de la voiture, le regard de l’un d’eux croise celui de Raphaël. Moment crucial.
William, il est jeune, pas assez expérimenté. Il s’immobilise, les policiers aussi.
Putain, j’aurais jamais dû monter avec lui sur ce coup !
Un des flics recule en direction de la voiture. C’est étrange ; tout va à une vitesse folle et pourtant… L’impression d’un ralenti.
Will panique, sort son Beretta. C’est le début de la fin.
Pourtant, ce n’est pas lui qui va tirer, il n’en aura pas le temps. Fred le précède.
Un flic s’écroule, la machine se dérègle.
Fred se réfugie derrière la bagnole, les poulets font de même.
Échange de coups de feu. Une femme s’effondre, sans un cri. Tellement de cris autour…
Ça, ce n’est pas dans les règles du jeu.
William tombe à son tour, touché deux fois.
Raphaël le croit mort, le voit mort. Son cœur se serre jusqu’à l’asphyxie.
Il hurle, ouvre à nouveau les paupières. Réveil en sursaut.
Il est en sueur, ses mains sont crispées sur les accoudoirs du fauteuil qui lui sert de lit. Aussitôt, ses yeux se posent sur William. Il respire, il vit. La tension artérielle baisse d’un cran.
Ce nouveau cauchemar, il n’a pas fini de l’endurer. Nuit après nuit.
Cette fois-ci, il ne retrouvera pas le sommeil. Il ne s’est pourtant pas offert de repos depuis presque trente-six heures.
36. Antre de la BRB, antichambre de la taule.
Là où il ne veut pas retourner.
Alors, il refuse de se rendormir.
Ça aussi, c’est le jeu.
Un jeu auquel il n’a soudain plus envie de jouer.
*
6 h 30
Il a l’impression d’émerger d’un long voyage souterrain. De sortir la tête hors de l’eau. Ou de sortir d’une tombe.
Ses yeux cherchent.
Raphaël.
Assis juste à côté du sofa, dans un fauteuil en cuir. Qui prend sa main, lui sourit.
— Comment tu te sens, petit frère ?
William voudrait répondre mais sa gorge est comme brûlée. Il essaie de sortir un mot.
— Mal.
— Ça va aller maintenant.
— Où… on est ?
— Chez la toubib qui t’a soigné hier soir. Tu te souviens ?
William fait non, avec la tête.
— Tu as soif ? Tu veux un verre d’eau ?
Il hoche le menton.
— Je reviens, ne bouge surtout pas.
Raphaël s’étire avant de partir pour la cuisine. Se faisant, il jette un œil à Sandra.
Par terre. Poignets et chevilles solidement attachés, bâillon sur la bouche. Elle a réussi à se traîner jusqu’à la table, à s’adosser au pied en bois massif. Elle porte une trace autour du cou, là où il a serré comme un forcené. Sans doute un hématome sur la cage thoracique, là où le flingue s’est enfoncé.
Lorsqu’il passe près d’elle, leurs regards se touchent. Les yeux de Sandra rampent immédiatement sur le sol.
Elle a compris. Qui était le plus fort des deux.
Les règles du jeu.
Raphaël utilise sa main gauche pour prendre un verre dans le placard, le remplir d’eau fraîche au robinet. Sa main droite est presque paralysée, son bras lui fait un mal de chien, même si Sandra a réalisé un pansement parfait. Pas évident, pourtant, quand on est à genoux avec un pistolet collé sur la tempe.
Mais il faut toujours réparer ses erreurs. Principe de base.
Raphaël ajoute un sucre dans l’eau et apporte la mixture à son frère qui a bien du mal à s’asseoir. Ils ne repartiront pas aujourd’hui ; Will est trop faible. Et puis, mieux vaut attendre que les poulets se calment. Là, ils sont sur le pied de guerre. Barrages partout, sans aucun doute. Ils vont être obligés de faire disparaître l’Audi, d’ emprunter une autre voiture. Difficile de dénicher un bolide dans ce paisible patelin qui compte dix fois plus de vaches que d’habitants.
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