— Je vais chercher quelque chose.
Il la talonne jusque dans une minuscule salle d’eau au rez-de-chaussée. Elle attrape une boîte dans l’armoire à pharmacie, revient aussitôt près du jeune homme.
— Il faut le diluer dans un verre d’eau et le lui faire avaler.
Elle lui tend le sachet, le visage de Raphaël se durcit.
— Me prends pas pour un con… Tu t’en charges, et moi je ne te quitte pas d’une semelle. Si tu crois que tu vas m’éloigner pour pouvoir te faire la belle, tu te goures.
Ils s’affrontent du regard un instant.
— De toute façon, j’ai fermé la porte et la clef est dans la poche de mon froc, ajoute Raphaël. Comme la clef de ta caisse, d’ailleurs.
— De quoi avez-vous peur, dans ce cas ? nargue Sandra.
Elle a un certain courage, il sourit.
— Tu peux parfaitement passer par la fenêtre. Alors arrête de discuter et file-lui son médoc. Sinon, je pourrais bien m’énerver… Tu veux voir comment je suis quand je m’énerve ?
— Vous vous sentez fort parce que vous avez une arme !
Le sourire de Raphaël s’élargit.
— Pas besoin d’un flingue pour te calmer, crois-moi sur parole.
Sandra continue à le fixer à la lueur d’une petite lampe en pâte de verre. Il a toujours sa chemise maculée de sang, son automatique à portée de main. Sa cicatrice sur le visage, son regard brutal.
Effrayant.
Elle capitule et part vers la cuisine. Elle prépare le médicament, tournant machinalement une cuiller dans le verre.
Comment se sortir de là ? Comment échapper à une mort certaine ?
Dès que le petit frère ira mieux, ils reprendront la route mais effaceront les traces avant. Supprimeront les témoins gênants.
Aujourd’hui, peut-être. Ou demain.
— Tu vas tourner cette cuiller pendant des heures ? interroge Raphaël.
La main de Sandra s’immobilise, ses yeux s’attardent sur le bloc de six couteaux de cuisine. Là, à quelques centimètres. Elle ouvre une porte sous l’évier, jette le sachet vide.
Allez, un peu de courage Sandra ! Tu peux le faire…
Sa main frôle le bloc en bois. Attraper le manche du plus gros couteau, se retourner, lui planter dans le bide. L’effet de surprise aidant, il n’aura jamais le temps de saisir le pistolet dans son dos.
Elle se penche pour boire une gorgée d’eau à même le robinet, en profite pour lancer un regard rapide sur le côté. Sa cible est adossée au mur, bras croisés, à deux mètres d’elle.
Elle essuie ses lèvres, se sèche les mains avec un torchon.
Maintenant.
Quand les autres seront réveillés, il sera trop tard, tu n’auras plus aucune chance.
Elle pose le torchon à côté du bloc, se plaçant juste devant les couteaux.
Maintenant.
Mouvement agile, rapide, silencieux.
Raphaël a juste le temps d’avancer la main pour dévier la lame. Sandra pousse une sorte de cri de guerre — ou de terreur — et revient instantanément à l’attaque.
Bien vu, le braqueur ne peut pas dégainer, cherchant seulement à éviter de se faire ouvrir en deux. Il lui saisit le poignet mais la lame s’enfonce dans son avant-bras. À son tour de crier, de douleur cette fois. Il tient bon, lui tord le poignet jusqu’à ce qu’elle lâche son arme.
De sa main libre, elle lui assène un coup en pleine tête.
Une furie, toutes griffes dehors. Hystérique, inconsciente du danger.
Il parvient à lui immobiliser les bras, la repousse violemment. Elle perd l’équilibre, percute la table, s’effondre.
Boostée par la peur, elle se relève, tente de fuir.
Une poigne vigoureuse l’attrape par les cheveux, lui tord les cervicales vers l’arrière.
Elle hurle à nouveau.
Se voit morte.
Le canon du colt vient de s’enfoncer dans sa gorge. Les yeux gris étincellent de fureur.
Il va tirer. C’est terminé.
Il la colle au mur, fait pression sur le pistolet qui lui broie la trachée.
— Un seul mouvement et je te descends.
Il a parlé à voix basse, elle se fige. Plus un geste, elle oublie même de respirer. De toute façon, avec le métal qui écrase sa gorge, elle ne peut plus.
— Tu veux jouer avec moi, c’est ça ?
Le visage de Raphaël effleure le sien, il enfonce les menaces directement dans son oreille. Directement dans son cerveau. Elle commence à trembler sans parvenir à se maîtriser.
— Tu m’as ouvert le bras, salope. Et je te garantis que je vais te le faire payer…
Il recule un peu, fait descendre le canon du Double Eagle le long de son cou, entre ses seins, sur son ventre. Lentement, en la fixant droit dans les yeux. Une main puissante est venue remplacer l’arme, qui la crucifie au mur. Le flingue remonte un peu puis se plante à nouveau, juste sous son sternum.
Ses poumons se bloquent, un cri reste coincé. Pourtant, elle ne l’implore pas du regard.
— Je crois que tu n’as pas compris qui je suis, murmure Raphaël. Alors je vais t’expliquer…
L’aube hésite.
Le ciel couvert offre un sursis au prédateur.
Il n’est encore qu’aux aguets. Il agira en plein jour. Cet après-midi, peut-être, si l’occasion se présente. Si les conditions sont réunies.
Ne jamais prendre de risques inutiles.
De toute façon, pourquoi se presser ? Le moment de la chasse demeure le plus enivrant. Celui où il prépare l’attaque, répète la scène cent fois dans sa tête.
Frissons dans les jambes, le dos, les épaules. Jusque dans la nuque.
Le moment où rien n’est encore certain.
Le moment du désir, peut-être plus puissant que celui du plaisir. Parce qu’il imagine la jouissance, la sublime, la rend plus forte qu’elle ne pourra jamais être. L’esprit va toujours tellement plus loin que les actes.
Il a déjà choisi sa proie, depuis longtemps. L’a sélectionnée dans le troupeau docile. C’était le mois dernier… Aujourd’hui, l’affût est terminé, il est temps de passer à l’action. De se mettre à table pour le festin.
Elle est là. Derrière cette fenêtre du premier étage. Derrière ces volets entrebâillés.
Elle est là, elle l’attend.
Elle ne sait pas encore qui il est, mais elle l’attend, c’est certain.
Belle. Tellement belle.
Petite, blonde, élancée. Visage de sainte, lèvres roses et charnues qu’elle aime mordiller entre ses dents. Petit nez légèrement retroussé. Peau blanche, laiteuse. Grands yeux clairs et rieurs.
Elle sait.
Elle sait ce qu’elle produit sur les hommes comme lui. Et elle en joue. S’en amuse sans pitié, sans vergogne.
Ange pervers. Irrésistible.
Sauf qu’avec lui, on ne joue pas.
Elle est belle, oui.
Et vierge.
Mais plus pour longtemps.
5 h 30
L’aube se faufile autour de la maison.
Eux aussi.
L’assaut se prépare, dans un silence de mort. Bataillon en formation serrée, cagoulés, armés jusqu’aux dents.
Prêts à en découdre, prêts à tout.
Prêts à tuer s’il le faut.
Le signal est donné, la porte explose sous les coups de bélier, la cohorte envahit la maison. Fracas de hurlements, de menaces et de sommations.
Raphaël se réveille dans un sursaut, la main sur son colt. Il coupe sa respiration, écoute.
Aucun bruit suspect. Ni pas, ni voix. Seulement les plaintes douloureuses de son frère.
Alors il referme les yeux, retournant malgré lui dans son cauchemar favori… Même s’il ne dort plus.
Ils entrent en force, pointant leurs armes automatiques sur un homme seul. Comme s’il pouvait représenter un péril pour cet escadron. Peut-être que oui, d’ailleurs.
Mais tout cela est bien inutile. Parce qu’il sait qu’il a perdu la partie, qu’il n’y a plus rien à faire, sauf se rendre. Ou mourir.
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