William sursaute en même temps que Christel hurle de douleur.
Deuxième genou explosé.
— Au moins, elle ne se sauvera pas quand je m’occuperai d’elle ! rigole Patrick.
Le jeune braqueur a le souffle coupé, la bouche ouverte.
L’arme change de trajectoire, pour viser à présent le ventre de Christel.
— T’as envie de voir à quoi ressemblent ses tripes ?
— Vingt pour cent ! hurle William.
— Vingt pour cent de quoi ?
— De la valeur estimée des bijoux !
— Donc, vingt pour cent de trente millions d’euros, c’est bien ça ?
— Oui… Oui. Arrête, ne tire pas !
Le doigt est toujours sur la détente, Christel tourne de l’œil et s’effondre comme une poupée de chiffon sur l’épaule de son complice, avant de toucher terre.
— Tu vois, quand tu veux.
— Putain, mais t’es complètement malade !
Patrick met le colt à la ceinture de son pantalon.
— Donc, ça représente six millions d’euros que vous auriez partagés en quatre… Un million et demi chacun. Pas mal !
Tandis que papa fait ses comptes, le regard épouvanté de William s’est bloqué sur la jeune femme évanouie.
— Comment t’as pu faire ça, nom de Dieu ! murmure-t-il.
— C’est simple : tu armes, tu vises et tu tires. Et n’insulte pas le Seigneur sous mon toit, je te prie.
*
14 h 30
— Tu es sûr qu’il est mort ? demande Sandra.
Ils s’apprêtent à pénétrer dans la petite maison, Patrick s’immobilise. Il fixe sa femme un instant, avant de répondre :
— Je n’aime pas le regard qui va avec ta question, ma douce…
Sandra baisse immédiatement la tête.
— Tu as envie qu’il soit encore en vie ?
— Bien sûr que non ! s’empresse-t-elle d’assurer.
— Tu n’es pas heureuse que je l’aie tué ?
— Si, bien entendu… j’aurais même aimé le tuer de mes propres mains. J’ai essayé, d’ailleurs ! Tu as vu le bandage sur son bras ? C’est moi qui l’ai blessé avec un couteau de cuisine…
— Je préfère ça, ajoute Patrick.
Elle le suit dans le couloir obscur, jusqu’à la porte du fond. Il appuie sur l’interrupteur, Sandra reste un instant sur le seuil. Elle contemple d’abord Raphaël, étendu par terre ; il est salement amoché. Sang coagulé sur le front et les tempes. Nez cassé, de toute évidence. Main droite enflée, sans doute plusieurs doigts brisés.
Il est allongé sur le côté, replié sur lui-même. Sur sa dernière souffrance.
Elle se garde bien d’approcher du corps, s’intéresse alors aux deux filles ligotées.
Une blonde et une brune.
— Elles te plaisent ? s’impatiente Patrick.
Sandra hoche la tête.
— Elle est mignonne, exactement comme tu me l’avais décrite… Mais pourquoi l’autre ? demande-t-elle en fixant Aurélie. Ce n’était pas prévu…
— Elle était constamment collée à sa copine. Alors, j’ai dû improviser.
— Bien sûr… Tu sais toujours comment faire.
— Ça pue, ici, constate Patrick.
Il enjambe Jessica et, à l’aide d’une clef, ouvre la fenêtre coulissante équipée d’un double vitrage phonique. Même si la maison est isolée du reste du monde, mieux vaut être prudent.
Puis, à l’aide d’une autre clef, il débloque la serrure du volet en bois massif.
Un courant d’air frais traverse enfin la pièce.
— Je n’ai pas eu le temps de faire le ménage, s’excuse Sandra. Je n’ai pas pu, à cause de…
— Je sais, ma chérie, dit Patrick. Ne t’en fais pas.
— Tu vas les laisser ensemble ?
— Je crois que oui.
— Et où va dormir la deuxième ?
— Je vais récupérer un autre lit, voilà tout.
— On devrait les séparer, suggère Sandra.
— On verra. Viens m’aider.
Ils passent dans la pièce d’à côté, en ramènent un second grabat, identique à celui qui trône déjà dans ce qu’ils nomment la chambre. Avec le même matelas rayé, taché d’auréoles. Ils le placent contre le mur, face à l’autre. Chacun d’un côté de la fenêtre.
La pièce contient aussi une armoire en chêne, comme celles que l’on trouvait dans les salles de classe d’antan, ainsi qu’une commode en pin et une chaise paillée.
— Voilà, ce sera parfait ! se réjouit papa. Maintenant, je te laisse faire.
Il ferme la fenêtre à clef, puis la porte. Tout a une serrure, ici. Papa est très organisé.
Il s’installe sur la chaise, non loin du corps de Raphaël. Les jambes croisées, il s’apprête à se délecter du spectacle.
Le premier jour est toujours si particulier. Unique.
Sandra commence par Aurélie.
D’instinct, elle sait que celle-ci ne lui opposera aucune résistance.
*
« Viens, ma douce, les filles nous attendent… Il faut qu’on aille s’occuper d’elles, maintenant. »
De quelles filles parlait-il ? De ses juments ? Ou… de vraies filles ?
William échafaude un tas d’hypothèses, ne comprend rien à ce qui se passe dans cette maudite baraque.
La seule chose dont il est sûr, c’est qu’ils sont au purgatoire.
La seule chose évidente, c’est que papa est un psychopathe. Un putain de malade mental.
Et qu’ils sont très mal barrés, pour ne pas dire condamnés.
William se concentre avant d’essayer une dernière fois.
Efforts démesurés.
Impossible de se détacher, même en se contorsionnant dans tous les sens.
Alors, épuisé, vaincu par la douleur qui frappe jusque dans sa tête, il abandonne et appuie son crâne contre celui de Christel. Une onde de peur les traverse, les unissant dans la souffrance.
Dans la mort annoncée.
Obéissant aux ordres de son cher mari, Sandra les a attachés dos à dos. Ils sont réunis dans une étreinte qui n’a rien de sensuel. Du scotch au niveau du sternum et du cou.
William a l’impression d’étouffer. Lente strangulation.
Sans compter qu’ils ont toujours les poignets liés dans le dos, les chevilles enroulées dans le ruban adhésif. Contraints d’attendre sagement le retour des tortionnaires dans le silence le plus complet, mis à part les plaintes de Christel qui se vide lentement de son sang.
Tous les deux sont bâillonnés, bien sûr.
« Comme ça, plus de messes basses ! » a ricané papa. « Ils ne pourront rien fomenter contre nous, ma douce… »
Impossible d’échanger la moindre parole, le moindre regard. De se soutenir dans l’épreuve.
Mais Christel parvient à croiser ses doigts avec ceux de Will et les serre éperdument.
Il ferme les yeux, revoit ceux de Sandra. Il a réussi à capter son regard, quelques secondes, pendant qu’elle exécutait sa sale besogne.
Sandra, méconnaissable.
Dire qu’il éprouvait de la sympathie pour cette nana… ! Depuis que son mari a ôté le masque, on dirait que c’est elle qui en a passé un sur son visage. Comme sur ses émotions.
Un robot docile qui obéit aux injonctions de son créateur, sans se poser la moindre question. Il semble avoir pris possession de son âme, la manipule comme un pantin. Simple marionnette dénuée de libre arbitre.
Et on dirait que ça la soulage de s’abandonner ainsi.
Mais ce que Will a vu dans les yeux de Sandra va bien au-delà. Ça le glace encore jusqu’aux os.
Colère, haine, souffrance. Peur.
Jouissance.
*
Sandra avait vu juste.
Aurélie n’a pas montré le moindre signe de rébellion. Même libérée de ses liens, elle n’a pas osé se révolter, se laissant dévêtir entièrement. Sans un mot, sans un cri.
Les yeux débordants de frayeur, elle a consenti au rituel.
Vêtue d’une sorte de tunique beige en coton épais et rêche qui lui arrive aux genoux, elle est désormais assise sur son lit. Un poignet menotté aux barreaux. Tremblante de la tête aux pieds.
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