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Patrick s’éloigne un peu, Sandra se bouche les oreilles. Il appuie sur la détente et la serrure du placard vole en éclats. Il aurait pu aller chercher la clef dans le blouson de Raphaël ou bidouiller le verrou avec un tournevis, mais trouve plus distrayant de se servir du Double Eagle. Comme dans ces films d’action dégoulinants de testostérone.
Lui qui n’a pourtant jamais tué personne.
Jamais avec une arme à feu, en tout cas.
Trop facile, trop banal. Trop vulgaire.
Toujours des lames tranchantes, des objets contondants, des cordes, ou à mains nues.
Il considère que les armes à feu sont réservées à ceux qui manquent d’imagination ou sont pressés. À ceux qui ne vénèrent pas l’acte de mise à mort.
Il monte sur la pointe des pieds pour attraper le sac de sport contenant les bijoux, le pose au milieu de la table.
— Voyons un peu ça, dit-il en se frottant les mains.
Sandra s’assoit sur un des bancs, attendant sagement de découvrir le butin. Son mari enfile des gants de chirurgien et commence à extirper les joyaux du sac, avec des gestes précautionneux. Certains sont encore dans leur écrin, d’autres dans des chiffons. Il étale les bijoux en ordre parfait sur la table, Sandra reste bouche bée.
Jamais elle n’a vu quelque chose d’aussi extraordinaire. Colliers, bracelets, bagues, broches… Diamants, émeraudes, saphirs, rubis, améthystes rivalisent de beauté. Explosion de couleurs, de délicatesse.
Un rayon de soleil timide entrant par la fenêtre suffit à faire étinceler les parures de mille feux. Leur éclat sans pareil se reflète dans les yeux de jade. Fascinés.
— Pas mal, hein bébé ?
— C’est magnifique, murmure Sandra avec un sourire de gamine émerveillée.
Elle approche sa main d’une bague, Patrick la stoppe d’un geste brutal.
— Ne touche à rien !
Il tourne la tête vers William.
— Joli travail ! On dirait que ton frangin était un bon, non ?
— Le meilleur, murmure Will comme s’il se parlait à lui-même.
Patrick vient se poster devant lui :
— Et que comptiez-vous faire de tout ça ?
William sourit méchamment.
— C’était pour offrir à la reine d’Angleterre ! Te voilà bien emmerdé, hein papa ? Toutes ces pierres, qui valent une fortune… Tu sais à combien est estimé le contenu de ce sac ?
— Non, mais tu vas me le dire.
— Un peu plus de trente millions d’euros.
Patrick émet un sifflement d’admiration un peu exagéré.
— Coquette somme, dis-moi !
— Mais sans Raphaël, ça ne vaut plus rien ! annonce William. Strictement plus rien !
— Allons, fiston, je suis sûr que tu sais comment transformer tout ça en monnaie sonnante et trébuchante…
— Moi ? Non ! Raphaël a fait le coup pour un commanditaire, à l’étranger. Je ne connais même pas son nom. Désolé, mais je ne peux vraiment rien pour toi ! Le seul qui pouvait t’aider, c’était mon frère.
Une lance traverse le cœur de William.
C’était mon frère.
J’avais un frère.
— Tu mens, répond Patrick d’un ton posé. Je sens que tu mens.
— Non, je sais que dalle.
Papa soupire. Il s’accorde un instant de réflexion tout en admirant le collier qu’il tient dans ses mains.
— Ce sont des pièces uniques, sorties tout droit des ateliers d’un des plus grands joailliers suisses, poursuit William. Les photos de chacun de ces bijoux et de chacune des pierres qui les composent circulent déjà partout en Europe. Tu pourras jamais les fourguer. À personne.
— Nous verrons.
— C’est tout vu.
Les deux hommes s’affrontent du regard.
— Alors, il va falloir que tu remplaces ton grand frère, petit…
Will secoue la tête.
— Je te dis que je ne connais même pas le nom du fourgue.
— Tu en connais sûrement un autre.
— Des types capables d’écouler ce genre de marchandises ? Ça court pas les rues ! Alors non, je n’en connais pas. Je ne vois vraiment pas ce que je pourrais faire pour toi. Et puis je ne risque pas d’aider l’enfant de salaud qui a buté mon frère. Tu peux crever !
— Tu es décidément aussi con que ton frangin… Tu te crois en position de refuser ?
— T’as qu’à me tuer, balance froidement William. Ça ne changera rien à ton problème. Je ne peux pas transformer ces cailloux en fric. Et je suis sûr que tu es suffisamment intelligent pour le comprendre.
— Hmm… Ce que je comprends, c’est que tu n’es pas disposé à coopérer.
Patrick arrache soudain le bâillon de Christel.
— Et toi, ma jolie ? Montre-toi plus coopérative que ce crétin et je ne serai pas ingrat.
Elle le fixe avec hargne, finit par lui sourire. C’est crispé, mais elle ne parvient pas à faire mieux.
— Alors, ma petite chatte, raconte-moi un peu… Quel était ton rôle dans tout ça, hein ?
— Elle n’est au courant de rien, intervient William.
Patrick lève les yeux au ciel.
— Écoute, je ne vais pas te le répéter cent fois : tu parles quand je te le demande. Le reste du temps, tu fermes ta grande gueule. Sinon, je vais être obligé de m’énerver.
William serre les mâchoires, Christel prend le relais.
— Je ne sais pas à qui Raphaël prévoyait de remettre ces bijoux. C’était lui le chef, lui qui décidait.
— Vraiment ? Alors explique-moi pourquoi ton mec, qui est d’ailleurs en train de pourrir dans mon garage, a essayé de se casser avec le butin. S’il a tenté de le prendre, c’est qu’il savait quoi en faire, non ?
Christel hésite à répondre. Mais le regard de Patrick la persuade de trouver une réponse.
— Fred ne connaissait pas ce commanditaire. Mais…
— Mais ?
— Il s’est dit qu’on pourrait démanteler les bijoux et faire fondre l’or. En le vendant à plusieurs endroits, gramme après gramme. Ça aurait pris un certain temps, et surtout, ça n’aurait plus du tout eu la même valeur. Mais c’était toujours mieux que de partir les mains vides.
— Et qu’auriez-vous fait avec les joyaux ?
— On s’en serait débarrassés.
Papa écarquille les yeux.
— Pas le choix. Ces cailloux, c’est de la dynamite. Une bombe à retardement prête à t’exploser à la gueule. De quoi te faire choper illico et finir ta vie en taule. Alors, on aurait fait en sorte que personne les retrouve.
Patrick s’intéresse à nouveau à William.
— Si ton frangin avait pu livrer tout ça à son commanditaire, combien aurait-il obtenu en échange ?
Le jeune homme n’a plus envie de répondre ; il regarde droit devant lui. Il fixe Sandra, absorbée dans la contemplation silencieuse du butin.
Il ne la reconnaît pas.
— Je t’ai posé une question, Willy…
— Va te faire foutre.
Patrick secoue la tête, d’un air un peu désolé.
— Je vais être obligé de sévir, tu sais…
William braque ses yeux clairs au fond des siens.
— Va te faire foutre, répète-t-il en détachant chaque syllabe.
Patrick s’éloigne ; les deux prisonniers le voient poser le collier, ôter ses gants. Puis s’emparer du colt. Leurs cœurs s’affolent de concert. Pourtant, ils tentent de ne rien laisser paraître.
Sandra, quant à elle, ne bouge toujours pas. Hypnotisée par les pierres, comme si elle était seule dans la pièce. Comme si elle était ailleurs.
Comme si tout cela ne la regardait pas le moins du monde.
Papa est de retour face à ses otages, le calibre en main. Il fixe William, le jeune homme se prépare à un torrent de menaces. « Parle ou je te descends. » Du genre compte à rebours. « Tu as dix secondes pour me dire… »
Mais Patrick ne dit rien. Il ajuste son tir et appuie sur la détente. Sans sommation.
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