— Vous avez laissé son cadavre ici ?
Raphaël a des picotements dans la nuque.
— Tu aurais préféré que je l’installe dans ton plumard ?
— Et… Que comptez-vous en faire ?
— Je te le laisse en souvenir. Tes semblables seront ravis de le retrouver, depuis le temps qu’ils essayaient de le coincer…
Sa gorge se serre, il pousse Patrick vers le box suivant.
— Ouvre.
Le gendarme soulève la grosse porte en alu, la 308 blanche montre sa calandre. Raphaël est presque surpris.
— Vous souhaitez l’essayer ?
— Non, pas maintenant. Je voulais juste vérifier que tu ne m’avais pas raconté des salades. De toute façon, elle n’a rien d’extraordinaire… Au moins, je risque pas de griller les limitations de vitesse avec ce tracteur !
— Elle marche bien, réplique Patrick. C’est une bonne voiture.
— Ouais, papa ! Allez, on va de l’autre côté, maintenant… Bouge-toi.
Ils repassent devant la ferme, Raphaël aperçoit Christel derrière la fenêtre. Même au travers d’une vitre, son regard a quelque chose de fascinant. D’inquiet, en l’occurrence.
Ils arrivent à la petite annexe devant laquelle est stationnée la fourgonnette. Blanche, elle aussi.
— T’as combien de bagnoles, dis-moi ?
— Le fourgon et la 308.
— Plus le Qashqai de Sandra !… Ils ont augmenté le salaire des képis, ou quoi ?
— C’est surtout ce que gagne ma femme qui nous permet de vivre correctement, reconnaît modestement Patrick.
Comment peut-on supporter d’être entretenu par une gonzesse ? se demande le braqueur.
— Je vois… Avance.
Tandis que Patrick ouvre la porte, Raphaël remarque des traces de pas dans la boue, juste sur le seuil.
— T’es déjà venu là cette nuit ?
— Vous êtes observateur, dites-moi. Vous auriez fait un bon flic !
— Tu me cherches ou quoi ?
— Pas du tout… Je suis effectivement venu cette nuit. J’avais récupéré quelques merdes dans mon fourgon, je les ai balancées à l’intérieur. J’ai une fâcheuse tendance à ramasser tout ce qui traîne ! Une manie comme une autre…
Curieux, songe Raphaël en lui emboîtant le pas. Il rentre à presque trois heures du mat et prend le temps de débarrasser son fourgon ? Maniaque de première !
Ils se trouvent dans un couloir aussi étroit que sombre. Sur le côté, une première porte que Patrick délaisse pour avancer encore.
Direction la porte du fond, à droite.
Le gendarme cherche la bonne clef, gêné par la pénombre, tandis que Raphaël ne le quitte pas des yeux. Il sifflote avec nonchalance, ça tape encore plus sur les nerfs du braqueur qui le trouve très décontracté. Trop. Préparerait-il un coup tordu ?
Essaie, papa… Et je te jure que je te paye un ticket pour le paradis des poulets !
Et s’il avait enfermé un clébard dans cette pièce ?… Style pitbull enragé ?
Ridicule, je l’aurais entendu aboyer… Relax, Raph ! Ce n’est qu’un nain de jardin, incapable de faire du mal à une mouche.
Il pose tout de même une main sur la crosse de son Double Eagle, au cas où.
Enfin, Patrick a ouvert la porte qui donne sur une pièce aveugle.
Il entre en premier, Raphaël reste sur le seuil.
— Je cherche la lumière, annonce Patrick. Je vous préviens, vous allez être surpris par le bordel !
Une ampoule s’allume, Raphaël met quelques centièmes de seconde à réaliser ce qu’il y a sous ses yeux.
Oui, il est surpris. Et même plus que ça.
Deux filles, très jeunes, allongées par terre. Ligotées et bâillonnées avec du scotch. Qui lui jettent des regards terrifiés.
Il ouvre la bouche, reste une seconde paralysé par la stupeur. Et l’horreur.
Une seconde de trop.
— Mais qu’est-ce que…
Avant même d’appuyer sur l’interrupteur, Patrick avait saisi la batte de base-ball toujours posée contre le mur, à droite de l’entrée.
Prête à l’emploi.
Raphaël n’a pas le temps de reculer ou de dégainer. Il se prend la batte en pleine figure, part en arrière. Son crâne heurte le mur, il s’écroule.
Encore conscient, il tente de sortir son arme. Mais un deuxième coup s’abat sur sa main, lui brisant plusieurs phalanges. Il hurle de douleur, se recroqueville sur lui-même, comme s’il tentait de se réfugier dans une carapace imaginaire.
Il reçoit la batte sur le crâne, ses dents s’entrechoquent jusqu’à s’ébrécher. Il roule sur le côté, l’arme lui fracasse alors l’épaule.
Patrick cogne avec une force incroyable pour sa stature.
— Ça te plaît fils de pute ? Papa va te donner une correction que t’es pas près d’oublier !
Raphaël cesse de bouger. Il a encore les yeux ouverts, l’impression que l’ampoule suspendue au plafond est écarlate. Que des insectes maléfiques bourdonnent partout dans la pièce. Puis un flash les fait partir en fumée, une énorme boule en fusion apparaît au-dessus de sa tête ; sorte de monstrueux soleil qui va s’écraser sur lui.
Il gémit quelques mots incompréhensibles. Patrick croit entendre : « William ». Il se penche au-dessus de sa victime et sourit.
— Je vais m’en occuper de ton petit connard de frangin… Fais-moi confiance.
Le gourdin en bois massif recommence à s’abattre, tel un fléau éternel.
Raphaël n’arrive même plus à crier. Il encaisse, en silence.
Avant de se fermer, ses yeux croisent d’autres yeux bleus, terrorisés.
Ceux d’une jeune fille qui attend son tour.
Patrick s’acharne. Avec calme et méthode. Avec un sourire froid.
Avec enfin quelque chose dans les yeux. Quelque chose d’effrayant.
Il persévère. Jusqu’à ce que Raphaël s’en aille.
Patrick lui file un coup de pied dans les côtes pour vérifier qu’il est bien parti. Puis il accorde un regard aux filles.
— Alors, mes colombes ? Vous vous sentiez seules ? Maintenant vous avez de la compagnie. Un joli cadavre pour vous toutes seules ! Ne vous inquiétez pas, je ne vous oublie pas… Je sais que vous êtes impatientes, mais j’ai un petit problème à régler et je reviens m’occuper de vous bientôt… Très bientôt, mes jolies !
Il voit alors une tache foncée se propager sur le jean d’Aurélie. Juste entre ses cuisses. Elle tremble de la tête aux pieds.
Elle avait réussi à se retenir jusque-là. Jusqu’à ce qu’elle voie son tortionnaire massacrer un homme avec une indicible jouissance.
Patrick éclate de rire, récupère le colt du braqueur, vérifie qu’il est chargé avant de le glisser dans la poche intérieure de son blouson.
— Magnifique calibre ! murmure-t-il. Tu avais bon goût, Raph …
Il éteint ensuite la lumière, ferme la porte à double tour et s’engage dans le couloir en sifflotant son air préféré.
Tu vois, Raphaël, tu t’es trompé.
Je ne suis pas une femme comme les autres.
Vulnérable, fragile ou sans défense.
Plutôt un monstre qui grandit en enfer à l’ombre de son maître et se nourrit de chair humaine.
Au milieu d’un terrain vague, un petit garçon court en hurlant.
Un jeune homme le poursuit, un énorme bâton à la main.
— Je vais t’avoir, p’tit con !
Le garçon continue de courir, de hurler.
Il fait semblant d’avoir peur, il rit aux éclats. Il se retourne, adresse une grimace à son grand frère, prenant une seconde pour le narguer avant de repartir au galop.
Raphaël retient ses foulées, laissant William prendre de l’avance.
Puis enfin, il le rejoint, le ceinture et le soulève dans les airs en poussant des cris qu’il voudrait effrayants.
Читать дальше