— Reste que notre caisse, même déguisée, ne peut absolument pas passer pour une voiture de flics, souligne William.
— La vôtre non, admet Patrick. Mais la mienne, si. C’est une 308 blanche.
— Et elle est où, cette tire ?
— Dans le deuxième garage. Celui à côté duquel vous avez dû mettre votre voiture je suppose. Elle sort de la révision, en plus. Vous êtes de sacrés veinards !
Patrick aspire son café avec un bruit répugnant, William fait la grimace.
— Alors ?
Les deux frères se regardent encore. Et échangent un sourire complice.
— Ça pourrait bien nous intéresser, papa !
— Je le savais.
— Et on peut savoir pourquoi tu nous proposes ça ?
— Pour que vous partiez le plus rapidement possible de chez moi en ne nous faisant aucun mal. Voilà pourquoi. Et puis…
Il s’essuie la bouche avec sa serviette, la plie soigneusement en six avant de la ranger à côté de son bol.
— Et puis ? s’impatiente Raphaël.
— Et puis je crois que ça mériterait bien un petit quelque chose… Le seul braquage dont j’ai entendu parler récemment, c’est celui de la place Vendôme. Alors je pense que vous êtes en possession d’un butin plutôt alléchant.
— Attends… Je rêve ou t’es en train de me dire que tu veux en croquer ?!
— Toute prise de risque mérite salaire, non ?
Raphaël lui adresse un sourire inquiétant.
Je vais te bouffer tout cru, papa.
— Désolé, mais tu n’auras rien. Pas un centime. De toute façon, je ne vois pas ce que tu en ferais. C’est pas des liasses de billets qu’on a fauchées, mais des bijoux qui valent chacun entre trois cent mille et trois millions d’euros. Des trucs que tu ne peux pas refourguer au bijoutier du coin si tu vois ce que je veux dire.
— Bien sûr… Mais peut-être avez-vous un peu d’argent liquide ?
Le sourire de Raphaël disparaît. Lentement.
— Écoute-moi bien : je vais étudier ta proposition. Mais la seule chose que tu obtiendras en échange, c’est que vous serez encore en un seul morceau quand nous serons partis, ta femme et toi. Rien d’autre. Parce que je pourrais aussi prendre ta caisse, tes uniformes, vous tirer une balle dans la tête et vous enterrer dans votre jardin, qu’est-ce que t’en dis ?
— Ça nous convient parfaitement, intervient précipitamment Sandra. On n’a pas besoin de votre fric ou de vos bijoux à trois millions d’euros. Juste que vous nous laissiez tranquilles.
— Tu vois, murmure Raphaël, ta gonzesse est plus raisonnable que toi, papa…
— Certes. Mais ça valait le coup d’essayer, non ? répond Patrick avec un mystérieux sourire.
*
Raphaël pousse la porte de la salle de bains devant laquelle il monte la garde depuis maintenant un bon quart d’heure.
— T’as fini ?
Christel est assise sur le tabouret. Habillée. Les yeux dans le vide.
— T’as fini ? répète Raphaël.
— Oui.
— Alors bouge ton cul.
Elle ne bouge rien, pas même un cil. Sculpture de sel dont le profil délicat se découpe avec grâce dans la lumière poudreuse.
— Faut que je vienne te chercher ?
— Pourquoi tu ne m’as pas tuée ?
Raphaël soupire.
— Magne-toi.
— Pourquoi tu ne m’as pas tuée ?
Il se campe devant elle. Impressionnant.
— Si tu te lèves pas de ce putain de tabouret, je te jure que…
— Pourquoi tu ne m’as pas tuée ? répète inlassablement Christel.
— Parce qu’il ne tuera jamais une femme, répond une voix à l’entrée de la pièce.
Raphaël tourne la tête vers Sandra.
— Qu’est-ce que tu fous là ?
— J’ai besoin d’un désinfectant qui se trouve dans le placard… Pour ton frère.
Sandra s’avance dans la pièce à pas feutrés, comme si elle avait peur de déranger. Elle attrape le flacon neuf de Dakin, ressort aussitôt. Le regard de Christel la suit. Tel un viseur laser, avec un stock de munitions derrière.
— Tu aurais dû me tuer, même si je suis une femme, murmure-t-elle une fois qu’ils sont à nouveau seuls.
— Sans aucun doute, rétorque Raphaël avec un rictus crispé. En attendant, lève-toi.
Elle obtempère enfin, plonge son regard dans les prunelles gris acier du braqueur.
— Qu’est-ce que tu vas faire de moi ?
— Tu verras le moment venu.
— Sans Fred, je ne sais pas ce que je vais devenir de toute façon…
— Fallait y penser avant d’essayer de me baiser. Maintenant, c’est un peu tard.
— On ne voulait pas s’éterniser ici, c’est tout. Fred a essayé de te le dire, mais tu ne l’as pas écouté…
— On descend, ordonne Raphaël. Tu manges un morceau, tu bois un café et je te recolle dans ton fauteuil.
— Et puis tout ça, c’est la faute de cette salope… !
Sa voix monocorde vient de changer. Pour glisser vers la haine pure.
— Qu’est-ce que tu me chantes ?
— Fred m’a raconté quand tu les as surpris dans la chambre. Tu as cru qu’il voulait la violer, mais…
— Je n’ai rien cru du tout, se défend Raphaël. J’ai juste constaté l’évidence.
Cette conversation commence à l’exaspérer. Il attrape Christel par un bras, la conduit de force dans le couloir.
— Il m’a raconté qu’elle lui a sauté dessus et qu’ensuite elle s’est mise à hurler ! Il n’aurait jamais…
— Tais-toi, coupe Raphaël en la poussant vers l’escalier.
— Depuis le début, elle cherche à nous diviser. Le lendemain de notre arrivée, elle m’a raconté qu’elle t’avait entendu dire à Will que tu allais te débarrasser de nous. Pour ne pas avoir à nous donner notre part du butin.
Raphaël se fige.
— C’est quoi ces conneries ?
— Elle m’a juré que tu l’avais dit à ton frère, pendant la nuit, et qu’elle t’avait entendu. Je l’ai répété à Fred. C’est pour ça qu’il a décidé de mettre les voiles. Il pensait que tu allais nous buter.
Une colère sourde s’empare de Raphaël. Laquelle des deux ment ? Curieusement, il est naturellement porté à croire Christel. Parce qu’il sait Sandra capable de ce genre de manipulation.
— Si elle ne m’avait pas dit ça, on n’aurait jamais essayé de te doubler. Tout ça, c’est de sa faute… Fred est mort à cause d’elle ! Pas à cause de toi.
Raphaël fixe Christel d’un drôle d’air. Envie de la pousser dans l’escalier pour qu’elle se rompe les cervicales. Et se taise, à jamais.
Envie de la prendre dans ses bras. Pour la consoler d’avoir perdu son mec.
— On part cette nuit, révèle soudain Raphaël. Avec la caisse du flic.
— Et moi ?
— Je te file la S4 et un peu de fric. Et je ne veux plus jamais entendre parler de toi.
Il l’attrape par les épaules, la fixe droit dans les yeux.
— Je te laisse ta chance, Chris… Alors ne me donne pas aux flics. Sinon je te jure que je te retrouverai et que je te ferai payer le prix fort. Et même si j’atterris en cabane, tu ne seras pas à l’abri…
— Je ne te balancerai jamais. De toute façon, je ne sais même pas où vous allez vous planquer…
— Exact.
— Moi non plus, je ne sais pas où je vais me planquer.
— Tu n’es pas fichée, rappelle Raphaël. Si tu sais te débrouiller, tu t’en sortiras.
— Emmène-moi avec toi ! implore-t-elle soudain.
— Hors de question. Je ne veux pas de toi.
Elle essaie de se rapprocher de lui, il la tient à distance.
— Entre nous, il y a le cadavre de Fred. Ne l’oublie pas.
Elle baisse les yeux, il la lâche.
— On descend, maintenant.
Elle passe devant, mais se retourne aussitôt.
— Merci, Raphaël. Tu aurais pu me tuer, je le sais.
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