— Pas plus que moi, assure Raphaël en souriant.
Il pose la main sur la crosse de son colt.
— Je lui réserve un accueil qu’il est pas près d’oublier !
— Oui, mais…
— Tu as confiance en moi, non ?
— Plus qu’en moi-même, avoue William.
— Alors ne t’inquiète pas. Je vais nous sortir de là.
*
1 h 22
Le canon d’un flingue vient se coller sur son front. Il ouvre les yeux.
Le visage de Christel se dessine dans une sorte de flou artistique.
— Je vais te crever, espèce de fumier. T’aurais pas dû m’enlever Fred !
Les mains de Raphaël se crispent sur les accoudoirs du fauteuil.
— J’avais pas le choix… Il m’a trahi !
— Je vais faire exploser ta sale gueule… une balle dans la tête, pour toi comme pour lui !
Le bruit de la détonation rebondit sur les murs, Raphaël se réveille en sursaut.
Il s’est endormi, finalement. À peine quelques minutes, dans le fauteuil.
Il se frotte les yeux, les pose aussitôt sur William, rassuré de le voir respirer presque paisiblement. Ça efface un peu le visage de Christel, le canon du Glock et cette trouille féroce qui lui tord encore les entrailles. Ce goût amer qui traîne dans sa bouche.
Fred…
C’était lui ou moi.
Il se lève sans le moindre bruit, fume une clope devant la maison. Le brouillard est revenu, fidèle parmi les fidèles. Existe-t-il une nuit limpide, par ici ?
Un vent froid s’amuse à disséminer les cris d’une chouette, brouillant les pistes.
Raphaël écrase son mégot ; heureusement qu’il avait pris un bon stock de munitions… Quand on se terre dans une planque, on ne peut pas forcément aller acheter ses cigarettes au tabac du coin. Mieux vaut être prévoyant.
Encore un café infâme, encore une clope. Cette fois, il ne faut pas qu’il se rendorme. Le flic peut débarquer d’un moment à l’autre, le comité d’accueil doit être prêt.
Il décide de rendre une petite visite à ses deux captives. Une ronde, comme celle des matons en taule.
Christel, d’abord.
Il appuie sur l’interrupteur du bureau, elle ferme les yeux sous l’agression du spot.
Raphaël prend la bouteille d’eau posée près du PC, arrache le scotch qui bâillonne la jeune femme. Elle fixe le mur en face. Aussi froide que la nuit, aussi insaisissable que le vent.
Pas une supplique, pas un mot. Raphaël ne peut s’empêcher de l’admirer.
Il approche le goulot de ses lèvres, elle détourne la tête.
— Je ne reviendrai pas avant demain matin, tu sais…
— Va te faire foutre, salopard d’assassin.
Il serre les mâchoires.
— Comme tu voudras.
Il hésite à lui remettre son bâillon, décide finalement de la laisser respirer librement. Il éteint la lumière, referme la porte avant de pousser celle de la chambre voisine.
Violent frisson ; même s’il a fermé les volets, la vitre cassée laisse entrer la nuit glacée. Sandra doit être frigorifiée.
Il allume la lampe de chevet, s’assoit sur le lit.
— Je te réveille ? demande-t-il doucement.
Elle fait non, d’un signe de tête. Il passe quelques secondes à la contempler.
Elle est belle. Sans défense, attachée sur ce lit.
Raphaël se sent seul. Il a froid. Envie de mêler leurs solitudes, de venir se réchauffer contre elle.
Mais il tente de se contrôler. De toute façon, elle ne serait pas d’accord… Il pourrait ajouter le viol à la longue liste de ses crimes, mais la forcer ne fait pas partie de ses phantasmes.
Il effleure son front, y enlevant une mèche de cheveux rebelle ; elle se contracte immédiatement.
— Ton mec ne devrait plus tarder. On va l’attendre ensemble.
Elle le regarde avec désarroi.
— Tu vas pas le tuer, hein ?
Il ne répond pas, se contente de défaire ses liens. Il lui faut un moment pour venir à bout des nœuds qu’il a lui-même confectionnés.
Enfin libre, Sandra s’assoit. Elle le dévisage toujours, comme si elle cherchait à lire dans ses pensées. Puis elle se rapproche lentement, jusqu’à ce que leurs épaules se touchent. Sa main hésite pour finalement se poser sur son visage marqué par les coups. Surpris, il ne bouge pas. Elle suit la cicatrice sur sa joue, il la fixe droit dans les yeux.
— Si tu comptes me voler mon flingue, tu perds ton temps, murmure-t-il. Je l’ai laissé près de Will.
Sa main continue à descendre pour atteindre son cou et passer derrière sa nuque.
Ce n’est donc pas le colt qu’elle veut.
Elle l’attire doucement contre elle, il résiste sans trop savoir pourquoi.
— Qu’est-ce que tu cherches ?
Elle l’embrasse, il se laisse faire. Docile comme jamais. Sur ses gardes, pourtant.
— Je ne veux pas que tu le tues…
Il sourit tristement.
C’est donc ça ! Et elle croit que c’est la manière de me persuader ? Pourquoi pas, après tout.
Elle tombe en arrière sur le lit, il cesse d’hésiter.
Une rafale de blizzard traverse la pièce, Sandra ferme les yeux. Raphaël l’embrasse dans le cou, déboutonne le haut de son chemisier.
Quand il retrouve ses yeux de jade, il se fige. Ils brillent, telles ces pierres précieuses qu’il a l’habitude de dérober. Étincelants de larmes autant que de haine.
Elle a les poings serrés, comme si elle s’apprêtait à livrer un combat à mort.
Il se redresse. Blessé.
— Je te fais horreur ?
Sa voix est menaçante.
— Non ! assure Sandra.
— C’est si dur que ça ?
— Continue, susurre-t-elle d’un ton qui se voudrait langoureux.
— Rhabille-toi, ordonne-t-il.
— Non ! C’est ce que tu veux, je le sais.
— Et toi, c’est ce que tu veux ?
— Ça n’a pas d’importance.
Il fronce les sourcils.
— Si j’avais eu envie de te forcer à coucher avec moi, je ne t’aurais pas détachée !
Elle tente encore de le retenir, de l’amadouer. S’accroche à ses épaules alors qu’il lui a tourné le dos.
— Arrête ! dit-il en se dégageant. Tu me fais pitié !
Il se lève, elle reste un instant tétanisée sur le lit. Avant de se mettre à pleurer doucement. Il ouvre la porte de la chambre, s’appuie contre le chambranle, bras croisés.
— Allez, amène-toi.
Elle reboutonne sa chemise, se met debout. Lorsqu’elle passe près de lui, il la saisit par le poignet.
— C’est dangereux ce que tu viens de faire…
— Je ferais n’importe quoi pour lui.
Sa voix est devenue glacée. Elle sait qu’elle a perdu.
— Sauf que visiblement, tu n’en es pas capable, balance Raphaël.
Il saisit son visage à deux mains, la pousse contre le mur.
— J’ai pas envie que tu joues avec moi, alors recommence jamais ça. Jamais, tu entends ?
— Oui, pardon, c’était… ridicule. Mais j’ai cru que…
— Que quoi ?
— Je sais pas, j’ai tellement peur… Je n’ai que lui. Ne me l’enlève pas s’il te plaît.
Raphaël est touché. Malgré lui. Il essuie les larmes qui coulent à nouveau, ne peut s’empêcher de l’embrasser. Il aurait peut-être dû en profiter, finalement.
Mais la partie n’est pas encore terminée.
Il se remémore alors les paroles de Fred.
« C’est elle qui a voulu. Et puis elle s’est mise à hurler… »
— C’est comme ça que tu as piégé Fred ?
Les yeux de Sandra s’affolent.
— Non !
— Non ? Moi je crois que oui… Je crois que tu as fait ça pour que je lui explose la gueule… Ou qu’on s’entre-tue.
— Non ! répète Sandra. Comment j’aurais pu savoir que tu réagirais ainsi ? J’ai crié, en espérant que tu m’entendrais et que tu l’empêcherais… Mais je n’en savais rien. Tu aurais tout aussi bien pu l’aider.
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