— C’est ce qu’elle a dit, faut que tu me croies…
Elle a le sentiment qu’il ne l’écoute pas. Qu’il n’est pas venu pour parler.
Alors qu’il passe son autre bras autour de sa taille pour une étreinte forcée, Sandra n’esquisse pas le moindre mouvement. Volontaire, en tout cas. Car elle ne peut contrôler les tremblements qui agitent son corps. Sauf que ce n’est plus de froid, qu’elle tremble. Ces lèvres qui frôlent sa gorge, ces mains qui la touchent, même au travers des vêtements, lui infligent d’atroces brûlures, de violentes décharges électriques.
Oui, ça fait beaucoup plus mal. Que n’importe quel coup.
Et il le sait.
Il la lâche enfin, mais elle devine d’instinct que ce n’est pas terminé.
Il récupère un cran d’arrêt au fond de sa poche, tranche le scotch qui enserre les chevilles de sa prisonnière. Il regarde la lame un instant, comme s’il réfléchissait à une autre utilisation.
Une autre destination.
Sandra n’essaie même pas de s’éloigner de lui. Incroyable docilité pour celle qui cette nuit à peine tentait de le tuer avec un couteau. Chacun son tour…
Mais ce n’est pas de la soumission, pas encore. Juste de la peur, intense, panique. Qui la ligote de la tête aux pieds.
L’impression qu’au moindre geste, il se jettera sur elle pour la mordre au sang.
Raphaël braque à nouveau ses yeux clairs dans ceux de sa proie. Deux projecteurs de lumière brutale qui s’enfonce jusque dans le cerveau de Sandra.
Il sourit, presque imperceptiblement.
Elle a replié ses jambes devant elle, protection illusoire.
Raphaël fait remonter ses mains sur les mollets de la jeune femme. Ses yeux toujours plantés dans les siens. À hauteur des genoux, il l’oblige à écarter les jambes avant de la tirer brutalement jusqu’à lui, la décollant du mur contre lequel elle avait trouvé appui. Son dos, puis son crâne heurtent violemment le sol, elle laisse échapper un hurlement. Raphaël se penche légèrement vers l’avant et lui pose un doigt sur la bouche.
— Chut…
Le cran d’arrêt vient se plaquer sur sa joue, juste en dessous de son œil gauche.
— Ne bouge surtout pas, murmure-t-il. La lame pourrait déraper.
Elle ferme les paupières, serre les dents. Sent le froid et la dureté de l’acier contre son visage. La pointe du couteau qui touche son globe oculaire, au travers de la peau si fine à cet endroit.
— Ne tremble pas comme ça, sinon, je vais abîmer ta jolie petite gueule…
— Arrête, implore-t-elle enfin. Arrête !
Il passe sa main libre sous son pull, découvre sa peau glacée d’effroi.
— Mon frère va mal, il souffre. Tu aurais dû prendre soin de lui au lieu d’essayer de me planter ou de nous monter les uns contre les autres… Il risque de mourir, par ta faute.
Sandra se met à pleurer, le liquide salé inonde la lame avant de réchauffer les doigts de Raphaël.
— Je voulais juste te prévenir ! dit-elle en desserrant à peine les dents. T’aider…
La lame fait pression sur son œil. Encore un millimètre et elle le crèvera.
— M’aider ? Mais je n’ai pas besoin de ton aide. Il n’y a que mon frère qui en a besoin…
— Je vais le sauver ! promet Sandra.
En la tenant toujours en respect, il pose ses lèvres sur son ventre qui se creuse à son contact.
— Il a bien de la chance, ce flic…
— Je vais le sauver ! répète désespérément Sandra. Je vais le sauver…
Le couteau glisse le long de sa joue, descend sur son cou pour se caler juste sous sa mâchoire.
— Je ne voulais pas vous diviser, je te le jure. Juste te prévenir !
La main de Raphaël monte jusqu’à s’insinuer dans son soutien-gorge. Sa peau, d’une extraordinaire douceur… Sandra pousse un hurlement, le couteau s’enfonce légèrement dans sa chair. Le sang coule doucement le long de sa gorge.
— Je t’avais dit de ne pas bouger, soupire Raphaël.
— Je vais le sauver ! Je vais le sauver…
Elle éclate en sanglots, répète sa promesse à l’infini. Raphaël la contemple un instant, essayant d’éteindre le feu qu’il a lui-même allumé. De contrôler ses pulsions.
Il la relève en force et la plaque face au mur. Il est obligé de la tenir pour qu’elle ne retombe pas.
Elle continue à gémir, encore et toujours. Je vais le sauver.
Il tranche le scotch autour de ses poignets, la fait pivoter et bloque le poignard sous son sein gauche.
— Mon frère t’attend. Et je te conseille de faire en sorte qu’il vive. Sinon, je te crève. C’est clair ?
Il la lâche, garde le cran d’arrêt en main et lui montre la porte d’un signe de tête.
Pleurant toujours à chaudes larmes, agrippée au mur en pierre, elle marche vers la sortie, Raphaël sur ses talons.
Juste avant le seuil, elle se plie en deux, une main sur son ventre.
— Avance !
Son estomac se retourne en une douloureuse convulsion. Elle vomit un peu de bile, beaucoup de peur. S’étouffe.
— Magne-toi.
Elle s’essuie la bouche et reprend son souffle avant de franchir la porte. La lumière subite du soleil lui explose les rétines, elle vacille. Raphaël l’empoigne par un bras pour accélérer le mouvement.
Mais avant d’entrer dans la maison, ils s’arrêtent encore. Raphaël prend un Kleenex dans la poche de son blouson, sèche le visage de Sandra, enlève le sang dans son cou.
— Arrête de chialer, maintenant. Je veux pas que mon frère te voie comme ça.
Elle hoche la tête, tremblant toujours autant.
— Je ne t’ai pas menti…
— Ta gueule. Je ne veux plus t’entendre.
Elle tente de se contrôler, il lui accorde une minute avant de la conduire au chevet de William.
17 h 30
Fred observe Sandra d’un œil étonné.
À peine rentrée, elle a donné les médicaments à William, lui a prodigué quantité de soins. A vérifié son pouls, sa température. A refait les pansements, désinfecté les plaies. Lui a préparé du thé brûlant, posé des compresses sur le front, une deuxième couverture sur le corps.
Une véritable petite infirmière, dévouée et silencieuse.
Visiblement terrorisée.
Plus une once de rébellion.
Raphaël surveille également chacun de ses gestes, assis près de Fred.
— Qu’est-ce que tu lui as fait ? demande-t-il à voix basse.
Pour toute réponse, Raphaël se contente d’un sourire méchant, très explicite. Il sort le cran d’arrêt de sa poche, le pose en évidence sur la table.
— En tout cas, c’est drôlement efficace ! admet Fred.
Raphaël continue de sourire. Pourtant, la colère lui étreint la gorge. Maintenant, il en est sûr : Sandra n’a pas menti, Christel a vraiment souhaité la mort de son frère.
Une envie de meurtre s’insinue dans ses entrailles. Cette salope ne perd rien pour attendre. Il n’aurait jamais dû accepter de la prendre dans l’équipe. Mais Fred ne voulait pas monter sur ce coup sans elle. Il est dingue de cette fille, c’est évident. Pourtant, Raphaël ne les a jamais vus s’embrasser ni même s’enlacer.
— Son mari est flic, lâche soudain Raphaël. Enfin, gendarme.
— Quoi ? s’écrie Fred en écarquillant les yeux. Merde… Tu le sais depuis quand ?
— Cette nuit. Ça ne change rien, assure son complice avec calme. Mais ne le dis pas à Chris. Elle est déjà assez nerveuse comme ça.
— Putain de merde ! grommelle Fred. Putain de merde…
Will aussi, a entendu. Il dévisage son frère avec angoisse.
— Poulet ou pas, lorsqu’il rentrera à la maison, il aura la surprise de sa vie, ricane Raphaël. Et il me remerciera d’avoir transformé sa harpie en une épouse modèle, douce et soumise !
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